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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 1.1875 (Teil 1)

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Desnoiresterres, Gustave: Pigalle et la statue de Voltaire
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https://doi.org/10.11588/diglit.16670#0144

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PIGALLE ET LA STATUE DE VOLTAIRE

Le 17 avril 1770, M™ Necker avait réuni à sa table les chefs de file de la secte encyclopédique
qui, « après avoir dûment invoqué le Saint-Esprit, copieusement dîné et parlé à tort et à travers sur
bien des choses », s'étonnèrent qu'on n'eût point encore songé à ériger une statue à l'auteur de
Zaïre, de Mérope et du Siècle de Louis XIV. Il fut décidé sans désemparer que l'on mettrait
tout en œuvre pour réparer un oubli qui avait toutes les apparences de l'ingratitude. Mais l'idée
originelle du projet serait de date moins récente, puisque Pigalle, auquel l'abbé Raynal avait été
député, avait eu le temps de faire une première ébauche en terre, qui ne trouva, à ce moment,
que des admirateurs. « Le prince de la littérature y est assis sur une draperie qui lui descend
de l'épaule gauche par le dos, et enveloppe tout son corps par derrière. Il a la tète couronnée de
lauriers1; la poitrine, la cuisse, la jambe et le bras droit sont nus. Il tient de la main droite,
dont le bras est pendant, une plume. Le bras gauche est appuyé sur la cuisse gauche. Toute
la position est de génie. Il y a dans la tète un feu, un caractère sublime; et si l'artiste réussit à faire
passer ce caractère dans le marbre, cette statue l'immortalisera plus que tous ses précédents
ouvrages. » Ainsi s'exprime le petit prophète de Boehmischroda, dont l'optimisme faiblira bien un peu
dans la suite.

Diverses questions furent posées et agitées. L'on trouvait convenable que les seuls gens de
lettres français fussent reçus à concourir à l'érection d'un pareil monument, quitte à se montrer
peu rigoureux sur les mérites de chacun : un ouvrage, bon ou mauvais, eût suffi. Mais ces clauses
restrictives avaient bien leurs inconvénients et furent repoussées à la majorité de 11 voix contre 6 :
quiconque se présenterait pour souscrire à titre d'homme de lettres serait accueilli, sans autre
enquête. Cela avait l'avantage, tout en conservant à l'entreprise un caractère particulier, d'étendre
indéfiniment le nombre des souscripteurs qui différemment ne fût pas allé au delà d'un chiffre assez
restreint2. Aussi fut-il arrêté que la liste des adhérents ne serait point publiée. L'on ne devait pas
donner moins de deux louis. Le maréchal de Richelieu, que le poète appelait son « héros », envoya
50 louis à l'abbé Raynal, qui le fit prier de ne pas humilier ses co-associés par tant de magnificence,
et son concours se réduisit à 20 louis. Les dix-sept convives de M"'e Necker 3 étaient les receveurs
naturels de l'argent des souscripteurs, et ils prirent l'engagement, en dehors de la souscription régle-
mentaire, de combler la différence, si, par impossible, les frais excédaient les ressources. On laissa
Pigalle maître absolu du prix qu'il se croirait en droit d'exiger. Il voulut reconnaître le procédé par
la modestie de ses prétentions : il estima ses honoraires à 10,000 livres, non compris les frais de voyage
et l'achat du marbre, cela va sans dire. Le notaire de Voltaire, Delaleu, fut choisi pour encaisser
les fonds et remettre au sculpteur les avances dont il pourrait avoir besoin.

Instruit du complot, Voltaire ne sait trop comment témoigner sa gratitude et sa confusion;
car, de bonne foi, ce corps décharné, ce squelette vivant est-il, peut-il être sujet à statue? « J'ai
soixante-seize ans, écrit-il à M"'e Necker, et je sors à peine d'une grande maladie qui a traité
fort mal mon corps et mon âme, pendant six semaines. M. Pigalle doit, dit-on, venir modeler
mon visage; mais, madame, il faudrait que j'eusse un visage; on en devinerait à peine la place.
Mes yeux sont enfoncés de trois pouces, mes joues sont du vieux parchemin mal collé sur des os qui
ne tiennent à rien, le peu de dents que j'avais est parti... on n'a jamais sculpté un pauvre homme

1. La couronne a disparu, la tète est nue. Sur la cuisse gauche se déroule une longue bandelette de papyrus qui n'est pas indiquée
ici, et sans laquelle la plume ou le stylet que Voltaire tient de sa main droite n'aurait aucune raison d'être.

2. Voici l'inscription qui fut alors décidée et qu'on lit encore au socle de la staLue : ■ A M. de Voltaire, par les gens de lettres ses
compatriotes et ses contemporains. 1770. i>

3. Nous disons dix-sept pour nous conformer au dire de Grimm ; ils n'étaient en réalité que seize : Diderot, Suard," le chevalier de
Chatellux, Grimm, le comte de Schomberg, Marmontel, d'Alembert, Thomas, Necker, Saint-Lambert, Saurin, l'abbé Raynal, Helvétius,
Bernard, les abbés Arnaud et Morellet.
 
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