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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 1.1875 (Teil 1)

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Desnoiresterres, Gustave: Pigalle et la statue de Voltaire
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https://doi.org/10.11588/diglit.16670#0146

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PIGALLE ET LA STATUE DE VOLTAIRE. 129

à glisser l'éponge sur le passé, et il répondra: « Je ne donnerai pas un sou pour la souscription;
je me charge de l'inscription. » Au moins est-ce là de la rancune à ciel ouvert et sans masque.
Rousseau savait bien en somme ce qu'il faisait, et la lecture de sa lettre ne chiffonna point
médiocrement l'auteur de la Henriade, qui s'empressait d'écrire à d'Alembert, avec son impétuosité
ordinaire : « Je crois qu'il est très-convenable que le roi de Prusse souscrive, et qu'on rende à Jean-
Jacques son denier. » Il écrivait, trois jours plus tard, à Grimm : « Jean-Jacques est plus enflé que
moi, mais c'est d'amour-propre. Il a eu soin qu'on mît dans plusieurs gazettes qu'il a souscrit, pour
cette statue, deux louis d'or; mes parents et mes amis prétendent qu'on ne doit point accepter son
offrande. » Mais d'Alembert n'est point de cet avis, et ses raisons sont celles d'un homme'habile
dont la passion ne trouble pas les verres. « Si cette offrande, lui marquait-il, était indispensable pour
l'érection de la statue, je conçois qu'on pourrait se faire une peine de l'accepter; mais qu'il souscrive
ou non, la statue n'en sera pas moins érigée ; ce n'est plus qu'un hommage qu'il vous rend, et une
espèce de réparation qu'il vous fait. » Certes, c'était une façon d'envisager la démarche de Rousseau,
et un aspect auquel ce dernier n'avait pas dû songer : s'il eût supposé qu'elle pût se prêter à une
pareille interprétation, il est à croire que ses deux louis ne fussent pas sortis de son gousset.

D'Alembert annonçait au poète le départ du grand artiste, à la date du 30 mai. « Vous avez beau
dire, lui écrivait-il dans la lettre d'introduction que celui-ci emportait avec lui, que vous n'avez pas de
visage à offrir à M. Pigalle; le génie, tant qu'il respire, a toujours un visage que le génie, son con-
frère, sait bien trouver; et M. Pigalle prendra dans les deux escarboucles dont la nature vous a fait
des yeux, le feu dont il animera ceux de sa statue. Je ne saurais vous dire, mon cher et respectable
confrère, combien M. Pigalle est flatté du choix qui a été fait de lui pour ériger ce monument à votre
gloire, à la sienne, et à celle de la nation française. » Mais toutes ces flatteries ne persuadent pas le
poëte, que son miroir rend sceptique; et il répondra à son ami, comme à M'"e Necker : « Le vieux
magot que Pigalle veut sculpter sous vos auspices a perdu toutes ses dents et perd ses yeux; il n'est
point du tout sculptable; il est dans un état à faire pitié. Conseillez, je vous prie, à votre Phidias de
s'en tenir à la petite figure de porcelaine faite à Sèvres, qui lui servirait de modèle. » Mais Pigalle est
venu, et Voltaire l'accueille de son mieux, s'efforce de le divertir, de l'amuser, en faisant appel au
petit nombre de gens pour lesquels, en ce coin perdu du monde, les beaux-arts ne sont pas lettres
mortes. Le résident Hennin, entre autres, qui collectionnait des estampes, fut prié d'apporter à Ferney
ses plus belles épreuves. Les distractions n'étaient pas ce qu'était venu précisément chercher Pigalle,
et il dut rappeler au patriarche, qui semblait l'avoir complètement oublié, le but de son voyage. Mais
il ne tarda pas à connaître à quel homme il avait affaire. Une lettre de Grimm nous initie, de la façon
la plus piquante, aux tentatives avortées, aux mécomptes, aux découragements, aux rages de l'artiste,
qui désespérera de saisir cet ondoyant Protée.

« Phidias-Pigalle a fait son voyage de Ferney, et en est revenu après y avoir passé huit jours. La
veille de son départ, il ne tenait encore rien, et son parti était pris de renoncer à l'entreprise et de
revenir déclarer qu'il n'en pouvait venir à bout. Le patriarche lui accordait bien tous les jours une
séance; mais il était pendant ce temps-là comme un enfant, ne pouvant se tenir tranquille un instant.
La plupart du temps, il avait son secrétaire à côté de lui pour dicter des lettres pendant qu'on
le modelait, et, suivant un tic qui lui est familier en dictant des lettres, il soufflait des pois ou
faisait d'autres grimaces mortelles pour le statuaire. Celui-ci s'en désespéra, et ne vit plus pour lui
d'autre ressource que de s'en retourner ou de tomber malade à Ferney d'une fièvre chaude. Enfin,
le dernier jour, la conversation se mit, pour le bonheur de l'entreprise, sur le veau d'or d'Aaron ;
le patriarche fut si content que Pigalle lui demandât au moins six mois pour mettre une pareille
machine en fonte, que l'artiste fit de lui, le reste de la séance, tout ce qu'il voulut, et parvint
heureusement à faire son modèle comme il avait désiré. Il eut une si grande peur de gâter ce
qu'il tenait dans une seconde séance, qu'il en fit faire le moule aussitôt par son mouleur, et qu'il
partit le lendemain de grand matin et clandestinement de Ferney sans voir personne. »

On sait avec quel acharnement Voltaire s'étudie à démontrer l'impossibilité matérielle de la plu-
part des récits mosaïques, et tout le ridicule qu'il déverse sur la généralité des livres saints. Une des
choses dont il a été le plus choqué et indigné, dont l'absurdité lui paraît le plus palpable, c'est cette

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