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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 1.1875 (Teil 1)

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Véron, Eugène: Nicolas-Toussaint Charlet, [1]
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https://doi.org/10.11588/diglit.16670#0213
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NICOLAS-TOUSSAINT CHARLET. 195

Armée française. Son intention, comme nous le voyons par une lettre qu'il écrivait à Motte, était de
faire sur ce sujet quarante ou cinquante lithographies. Il en livra d'abord douze qui comptent parmi
ses meilleures. Quelques mois après, on en avait vendu pour vingt-quatre francs! En apprenant
ce résultat, Charlet, comme toujours, se mit à gratter ses pierres, et l'on eut toutes les peines du
monde à en arracher quelques-unes de ses mains. Une de ses compositions les mieux réussies,
l'Ouvrier endormi, n'a été tirée qu'à trois exemplaires. L'éditeur Motte ayant refusé de donner de
la pierre les trente francs que demandait Charlet, il l'effaça comme les autres.

L'anecdote suivante montrera encore mieux jusqu'à quel point le mérite de Charlet était
méconnu. Motte éditait la Vie politique et militaire de Napoléon, par Arnault. On l'illustra de litho-
graphies qu'on demanda à Horace Vernet, à Géricault, à Decamps, à Hippolyte Bellangé, à Louis
Gudin, à Grenier, à Marlet et à quelques autres. L'éditeur, qui s'intéressait à Charlet, obtint à grand'
peine qu'on lui demandât un dessin. Il fit le Siège de Saint-Jean-d'Acre, qui était certainement
supérieur aux pièces de ses collaborateurs, comme on peut s'en assurer en parcourant les premiers
exemplaires du livre. Mais Arnault en jugea autrement. On arrêta le tirage, pour donner à un nommé
Champion, parfaitement inconnu aujourd'hui, mais qui était alors, à ce qu'il paraît, une sorte de per-
sonnage, le temps de corriger le dessin de Charlet ainsi que ceux de Géricault.

Géricault et Charlet étaient liés depuis 1818. Grâce à la recommandation d'un ami, Charlet avait
obtenu d'être employé à la décoration d'une auberge de Meudon. Un jour que, dans le feu de la
composition, il peignait sur la devanture une avalanche de lapins, de lièvres et de canards, on vint
lui dire qu'on le demandait au premier étage. Il monte et trouve une joyeuse société qui venait de
s'attabler. L'un des convives, s'avançant au-devant de lui, lui déclare qu'il se nomme Géricault,
et ajoute : « Vous ne me connaissez pas, monsieur Charlet, mais moi, je vous connais et je vous
estime beaucoup. J'ai vu de vos lithographies qui ne peuvent sortir que du crayon d'un brave, et
si vous voulez vous mettre à table avec nous, vous nous ferez honneur et plaisir. — Comment
donc, messieurs, répondit Charlet, mais tout l'honneur et le plaisir sont pour moi. » Il s'assit à
côté de Géricault et tout se passa bien, si bien même que « de ce jour, écrit Charlet dans la lettre
où il rapporte cette anecdote, date une amitié que la mort seule a contrariée. Pauvre Géricault,
excellent cœur d'honnête homme et de grand artiste! »

L'année suivante, en i8i9,Géricault avait exposé le Naufrage de la Méduse et n'avait guère recueilli
que des sarcasmes et des injures. Il résolut d'aller le montrer aux Anglais, et Charlet l'accompagna.
Mais il ne réussit pas beaucoup mieux à Londres qu'à Paris. Le découragement s'empara de lui, et à plu-
sieurs reprises il essaya de se suicider. Charlet le surveillait. Une nuit, en rentrant à l'hôtel, il apprend
qu'on n'a pas vu Géricault de toute la journée et qu'il n'est pas même sorti de sa chambre pour
prendre ses repas. Il fit aussitôt ouvrir la porte. Géricault était étendu sans connaissance, à demi
asphyxié sur son lit. On parvint à le faire revenir à lui; puis quand il fut seul avec son ami, Charlet,
prenant son air le plus sérieux, lui adressa le discours suivant : « Géricault, voilà déjà plusieurs
fois que tu veux mourir. Si c'est un parti pris, nous ne pouvons l'empêcher. A l'avenir, tu feras
donc comme tu voudras, mais au moins laisse-moi te donner un conseil. Tu es religieux, tu sais
bien que mort, c'est devant Dieu qu'il te faudra paraître et rendre compte; que pourras-tu
répondre, malheureux, quand il t'interrogera?... Tu n'as seulement pas dîné!... »

Cette exclamation sauva Géricault. Il se mit à rire et promit de ne plus recommencer.

Charlet est là tout entier, très-capable d'émotion et de sérieux, mais bien vite emporté d'un
autre côté par sa nature mobile et fantasque. 11 se laissait aller en une heure aux impressions les
plus diverses; rien ne lui répugnait plus que de suivre longtemps une même pensée. C'était en
somme un grand enfant chez qui se trouvait, avec quelques exagérations, cette mobilité de sensations
et d'idées qui est une des conditions de la fécondité artistique, quand toutefois elles laissent aux
artistes le temps de les saisir au passage. Charlet n'a eu qu'une passion durable et profonde, l'amour
de la France. « Sous cette grande enveloppe parfois décousue et plus souvent railleuse, battait le
cœur le plus noble, le plus sensible à tout ce qui pouvait grandir et glorifier la France. Ses instincts
et son culte étaient là. » Cette observation de M. de Rigny, un de ceux qui ont le plus aimé Charlet,
est. profondément juste. Il y faut faire cependant une restriction. Charlet comprenait la gloire,
 
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