LA
DANSE DES MORTS
DU LOCLE
n croit généralement en France, même parmi les lettrés et les éru-
dits, que la danse des morts, qui florissait au xve siècle et dont on
trouve encore un certain nombre de représentations peintes ou
sculptées, remonte seulement à Holbein et n'a pas eu, en dehors
du xvic siècle, d'édition imprimée perpétuant pour ainsi dire jusqu'à
nous son souvenir.
Ce sont là des erreurs très-naturelles, car le sujet est bien
spécial, et peu de personnes s'en occupent. Néanmoins, une petite
découverte que je viens de faire sur les quais, en me promenant,
prouve que même au xvine siècle, et sur la fin, à la veille même de
la Révolution, on s'occupait encore, sinon chez nous, du moins chez nos voisins, à rajeunir le sombre
et terrible drame issu du moyen âge, et que nos pères se plaisaient à aller contempler en leurs jours
de philosophie ou de tristesse, au Charmer des Innocents. En effet, sur le quai de la Monnaie, en face
la rue Guénégaud, là où, le long du parapet qui avoisine le Pont-Neuf, on voyait flâner MM. Boulard,
Bertin de Vaux, Pixérecourt ou M. de Montmerqué autour des boîtes du père Tabary,, qui offraient
toujours quelques surprises aux bibliophiles et aux fureteurs de vieux livres, j'ai rencontré, il y a
quelques semaines, un petit volume en fort mauvais état intitulé :
LA DANSE DES MORTS
ou
MIROUËR DE LA NATURE HUMAINE
AVEC LE COSTUME DiSSINÉ A LA MODERNE ET DES VERS A CHAQUE FIGURE
Imprimé ait Locle chei Samt-Girardet.
C'est de ce livre que sont tirées les quelques gravures qui accompagnent cet article.
Chacune d'elles est suivie d'un huitain adressé par la mort au personnage qu'elle entraîne, et de la
réponse de celui-ci. Voici quelques-unes de ces octaves :
LA MORT AU PAPE
Sans trop de compliments, sans vous baiser la mule,
Grand Pape, je vous viens ordonner de partir.
Il n'est ni distance ni bulle
Qui puisse de ma main jamais vous garantir.
Sachant qu'à vous, Saint-Père, on doit la préférence,
A votre primauté je ne ferai point tort.
Je veux que le premier vous fassiez une danse
Au tambour de la Mort.
RÉPONSE DU PAPE
Sera-t-il dit qu'un Dieu sur terre,
Un des successeurs de saint Pierre,
Un puissant Prince, un grand Docteur,
Essuie de la mort l'insolente rigueur,
E t faudra-t-il si tôt, sans nulle résistance
Qu'obéissant à tes édits,
J'éprouve si les clefs que j'eus en ma puissance,
Peuvent m'ouvrir le Paradis }
DANSE DES MORTS
DU LOCLE
n croit généralement en France, même parmi les lettrés et les éru-
dits, que la danse des morts, qui florissait au xve siècle et dont on
trouve encore un certain nombre de représentations peintes ou
sculptées, remonte seulement à Holbein et n'a pas eu, en dehors
du xvic siècle, d'édition imprimée perpétuant pour ainsi dire jusqu'à
nous son souvenir.
Ce sont là des erreurs très-naturelles, car le sujet est bien
spécial, et peu de personnes s'en occupent. Néanmoins, une petite
découverte que je viens de faire sur les quais, en me promenant,
prouve que même au xvine siècle, et sur la fin, à la veille même de
la Révolution, on s'occupait encore, sinon chez nous, du moins chez nos voisins, à rajeunir le sombre
et terrible drame issu du moyen âge, et que nos pères se plaisaient à aller contempler en leurs jours
de philosophie ou de tristesse, au Charmer des Innocents. En effet, sur le quai de la Monnaie, en face
la rue Guénégaud, là où, le long du parapet qui avoisine le Pont-Neuf, on voyait flâner MM. Boulard,
Bertin de Vaux, Pixérecourt ou M. de Montmerqué autour des boîtes du père Tabary,, qui offraient
toujours quelques surprises aux bibliophiles et aux fureteurs de vieux livres, j'ai rencontré, il y a
quelques semaines, un petit volume en fort mauvais état intitulé :
LA DANSE DES MORTS
ou
MIROUËR DE LA NATURE HUMAINE
AVEC LE COSTUME DiSSINÉ A LA MODERNE ET DES VERS A CHAQUE FIGURE
Imprimé ait Locle chei Samt-Girardet.
C'est de ce livre que sont tirées les quelques gravures qui accompagnent cet article.
Chacune d'elles est suivie d'un huitain adressé par la mort au personnage qu'elle entraîne, et de la
réponse de celui-ci. Voici quelques-unes de ces octaves :
LA MORT AU PAPE
Sans trop de compliments, sans vous baiser la mule,
Grand Pape, je vous viens ordonner de partir.
Il n'est ni distance ni bulle
Qui puisse de ma main jamais vous garantir.
Sachant qu'à vous, Saint-Père, on doit la préférence,
A votre primauté je ne ferai point tort.
Je veux que le premier vous fassiez une danse
Au tambour de la Mort.
RÉPONSE DU PAPE
Sera-t-il dit qu'un Dieu sur terre,
Un des successeurs de saint Pierre,
Un puissant Prince, un grand Docteur,
Essuie de la mort l'insolente rigueur,
E t faudra-t-il si tôt, sans nulle résistance
Qu'obéissant à tes édits,
J'éprouve si les clefs que j'eus en ma puissance,
Peuvent m'ouvrir le Paradis }