L' art décoratif: revue de lárt ancien et de la vie artistique moderne (8,2.1906)

PA U UNE DE BEAUMONT
ET SES PAYSAGES

/^*"''nsTàtitre «d'artiste suisse" qu'on me
demande de présenter aux lecteurs de
l'Arf la personne et l'œuvre de
M"c Pauline de Beaumont.
Genevoise et Suisse, elle l'est en effet
par la naissance, la famille, l'éducation,
niais il se trouve que personne ne fut moins
suisse par son art de paysagiste. A l'inverse
de tous ses émules helvétiques, elle n'a
jamais peint ni un panorama alpestre, ni
un morceau de montagne, ni un lac, ni une
voile de barque profilant sa forme latine
entre l'azur du ciel et l'azur de l'eau. Elle
ne doit rien de son inspiration ni à la
nature suisse, ni à l'école nationale du
paysage. Ayant grandi et vécu surtout dans
son domaine familial de Collonges-sous-
Salève (Haute-Savoie), elle tourne résolu-
ment le dos à la montagne qu'elle n'honore
pas même d'un regard et elle concentre
tout son intérêt et tout son amour sur le
vaste plateau qui s'étend devant elle et qui
est comme un commencement de plaine.
Elle a pour les maîtres paysagistes français,
et pour le paysage de France lui-même,
une prédilection si forte et si intransigeante
qu'un premier hiver passé à Rome (1871-
[872), la laisse indifférente pour l'art et
même pour la Campagne de Rome. C'est

dans les vastes plaines et dans les champs
déserts des campagnes lorraines qu'elle trou-
vera la terre d'élection de son art, non
dans les montagnes, les cascades et les pré-
cipices de l'Alpe suisse. Si détachée d'ail-
leurs de tout nationalisme, que je trouve,
parmi les pensées favorites qu'elle aimait à
transcrire entre deux croquis de ses albums,
cette phrase de Dante : « Le monde est notre
patrie. Ne puis-je de tous les coins de la
terre apercevoir le soleil et les astres et
goûter partout les joies de la vérité?" Et
de tous les coins de la terre, en effet, elle
aperçut ce qui répondait et suffisait à l'élan
de sa vie intérieure: les vastes ciels, les
horizons lointains, les formes immenses des
nuages que varient à l'infini les jeux capri-
cieux et fugitifs de la lumière.
C'est cette vie intérieure si intense et
si haute, qui s'exprime par son œuvre de
paysagiste, que nous aurons à étudier bientôt.
Sa vie extérieure, simple, unie, tout entière
remplie par la passion de la nature et de la
peinture, peut se raconter en quelques lignes.
Née le 20 août i8q6 à Genève, Pauline
de Beaumont grandit et se développe libre-
ment, en pleine campagne, dans un vieux
domaine de famille où les grands arbres,
jamais coupés ni émondés, recouvrent de

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