10 Juin 1877.
L'ECLIPSE, REVUE COMIQUE ILLUSTRÉE
393
UNE ÉTRANGÈRE A PARIS
Un appartement meublé boulevard Malesherbes.
— Huit heures du matin. — Catherine met son cos-
tume d'amazone, monte à cheval et va faire une pro-
menade matinale.
Les promeneurs des Champs-Elysées et les habi-
tués du Bois regardent avec curiosité la jeune étran-
gère, qui porte crânement sur ses cheveux roulés le
chapeau masculin au voile flottant. — Corsage moulé,
jupe traînante, mains correctement gantées, la gau-
che tenant les rênes, la droite armée d'une fine cra-
vache.
Retour à dix heures et demie. Toilette du matin.
Robe de chambre algérienne, avec un pli à la taille.
Déjeuner à l'anglaise.
Après déjeuner, Catherine s'assied au piano, joue
le Beau Danube bleu, les Gardes de la reine, deux
valses favorites ; puis elle ouvre son buvard et met à
jour sa correspondance.
A Mademoiselle Pépita S..., à B.
Paris, juin 1877.
Ma chère Pépita,
Je t'avais promis, ma chérie, de t'écrire à mon ar-
rivée. Si j'ai tardé jusqu'ici à te donner de mes nou-
velles, il y a un peu de paresse, un peu de fatigue,
et encore une autre raison que je te dirai, si tu ne
devines pas.
Nous sommes installés rue Tronchet, dans un ap- I
partement meublé que mon père a loué pour un
mois. Si tu savais comme tu me manques, ma bonne
Pépita ! J'avais si bien l'habitude de te dire ce qui
me passait par la tête.
Malgré la saison, nous faisons le tour des théâtres.
Croirais-tu que je ne connaissais ni l'Opéra, ni les
Italiens, ni le Théâtre-Français ? Maintenant, j'ai été
un peu partout, au Cirque, au concert des Champs-
Élysôes. J'ai assisté à une séance de la Chambre et
j'ai vu faire un journal. Si cela continue, je vais de-
venir une Parisienne, et je ne voudrai plus retourner
à Bukarest.
Ce qui m'amuse le plus est d'aller m'asseoir aux
Champs-Elysées, et de voir défiler à pied, à cheval,
en voiture, tous les échantillons d'un monde encore
nouveau pour moi.
Il y a des femmes qu'on se montre et qu'on nomme
tout haut. Ce sont les célébrités du demi-monde. Je
ne comprends pas comment on peut les reconnaître
quand elles passent en voiture. Elles se ressemblent
toutes. C'est la même forme de chapeau, la même
attitude, les mêmes toilettes tapageuses, la même
victoria, les mêmes bijoux et les mêmes cheveux.
Elles me font l'effet d'une procession de religieuses
(la comparaison ne va pas plus loin), et tu sais qu'il
faut bien en connaître une pour la distinguer au
milieu de la communauté. Les femmes du monde
s'occupent beaucoup de ces dames, et sont très-cu-
rieuses de connaître les moindres détails qui les con-
cernent. J'ai cru aussi remarquer comme une espèce
de rivalité de toilette, mais il se peut que je me
trompe. Pour mon compte, je ne tiens pas même à
les connaître de réputation.
Le défilé des Champs-Elysées ne commence guère
qu'à cinq heures. C'est le moment favorable pour
voir de la poussière, des toilettes et des voitures,
UN SUCCÈS ÉPISTCLAIRE
J avais confié un jour à un commis- Chemin faisant, il hasarda un coup A la 3e ligne, le sourire s'épanouit, A la 8e, il fit entendre les premiers
sionnaire une lettre fort spirituelle d'œil dans la lettre, et aussitôt sa figure illuminant tout son visage. pétillements d'un franc rire,
pour Mn« Bouffaméme, premier mau- s'égaya d'un rayonnant sourire,
vais sujet des Folies-Bergère.
N° 50.
L'ECLIPSE, REVUE COMIQUE ILLUSTRÉE
393
UNE ÉTRANGÈRE A PARIS
Un appartement meublé boulevard Malesherbes.
— Huit heures du matin. — Catherine met son cos-
tume d'amazone, monte à cheval et va faire une pro-
menade matinale.
Les promeneurs des Champs-Elysées et les habi-
tués du Bois regardent avec curiosité la jeune étran-
gère, qui porte crânement sur ses cheveux roulés le
chapeau masculin au voile flottant. — Corsage moulé,
jupe traînante, mains correctement gantées, la gau-
che tenant les rênes, la droite armée d'une fine cra-
vache.
Retour à dix heures et demie. Toilette du matin.
Robe de chambre algérienne, avec un pli à la taille.
Déjeuner à l'anglaise.
Après déjeuner, Catherine s'assied au piano, joue
le Beau Danube bleu, les Gardes de la reine, deux
valses favorites ; puis elle ouvre son buvard et met à
jour sa correspondance.
A Mademoiselle Pépita S..., à B.
Paris, juin 1877.
Ma chère Pépita,
Je t'avais promis, ma chérie, de t'écrire à mon ar-
rivée. Si j'ai tardé jusqu'ici à te donner de mes nou-
velles, il y a un peu de paresse, un peu de fatigue,
et encore une autre raison que je te dirai, si tu ne
devines pas.
Nous sommes installés rue Tronchet, dans un ap- I
partement meublé que mon père a loué pour un
mois. Si tu savais comme tu me manques, ma bonne
Pépita ! J'avais si bien l'habitude de te dire ce qui
me passait par la tête.
Malgré la saison, nous faisons le tour des théâtres.
Croirais-tu que je ne connaissais ni l'Opéra, ni les
Italiens, ni le Théâtre-Français ? Maintenant, j'ai été
un peu partout, au Cirque, au concert des Champs-
Élysôes. J'ai assisté à une séance de la Chambre et
j'ai vu faire un journal. Si cela continue, je vais de-
venir une Parisienne, et je ne voudrai plus retourner
à Bukarest.
Ce qui m'amuse le plus est d'aller m'asseoir aux
Champs-Elysées, et de voir défiler à pied, à cheval,
en voiture, tous les échantillons d'un monde encore
nouveau pour moi.
Il y a des femmes qu'on se montre et qu'on nomme
tout haut. Ce sont les célébrités du demi-monde. Je
ne comprends pas comment on peut les reconnaître
quand elles passent en voiture. Elles se ressemblent
toutes. C'est la même forme de chapeau, la même
attitude, les mêmes toilettes tapageuses, la même
victoria, les mêmes bijoux et les mêmes cheveux.
Elles me font l'effet d'une procession de religieuses
(la comparaison ne va pas plus loin), et tu sais qu'il
faut bien en connaître une pour la distinguer au
milieu de la communauté. Les femmes du monde
s'occupent beaucoup de ces dames, et sont très-cu-
rieuses de connaître les moindres détails qui les con-
cernent. J'ai cru aussi remarquer comme une espèce
de rivalité de toilette, mais il se peut que je me
trompe. Pour mon compte, je ne tiens pas même à
les connaître de réputation.
Le défilé des Champs-Elysées ne commence guère
qu'à cinq heures. C'est le moment favorable pour
voir de la poussière, des toilettes et des voitures,
UN SUCCÈS ÉPISTCLAIRE
J avais confié un jour à un commis- Chemin faisant, il hasarda un coup A la 3e ligne, le sourire s'épanouit, A la 8e, il fit entendre les premiers
sionnaire une lettre fort spirituelle d'œil dans la lettre, et aussitôt sa figure illuminant tout son visage. pétillements d'un franc rire,
pour Mn« Bouffaméme, premier mau- s'égaya d'un rayonnant sourire,
vais sujet des Folies-Bergère.
N° 50.
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
Un succès épistolaire
Weitere Titel/Paralleltitel
Serientitel
L' Eclipse: journal hebdomadaire politique, satirique et illustré
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
S 25 / T 6
Objektbeschreibung
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Künstler/Urheber/Hersteller (GND)
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)