— Comme on voit que vous habitez les bords de la mer ! Ces sardines à l'huile sont des merveilles!
Dessin d'Abel Faivrb.
VERS LA MÈRE!
Tragi-comédie expresse en 5 actes et autant de stations.
La scène se passe dans le train semi-direct de Paris à Dieppe.
M. Montpavon, marchand de bois, est confortablement installé dans
un compartiment de seconde. L'espace de deux ou trois stations il
s'y est trouvé tout seul et a joui de l'illusion exquise qu'il voyageait
dans un train spécialement chauffé pour lui. Aussi fait-il une gri-
mace épouvantable en voyant la portière s'ouvrir à Saint-Pierre-en-
Vauvray et un monsieur, les bras chargés d'un bébé en maillot, se
hisser sur le marchepied.
montpavon, presque agressif. — Monsieur cherche le comparti-
ment des dames seules?
le monsieur. — Non. Pourquoi?
montpavon, désignant le bébé. — Je pensais que monsieur était
nourrice.
le monsieur, conciliant. — Vous êtes un joyeux drille à ce que je
vois. (Il s'installe et donne le biberon au bébé.)
Le train file en teuf-teul'ant. Conversation mortellement ennuyeuse
entre le Monsieur et Montpavon. Ils ne s'entendent pas l'un l'autre,
obligés de parler bas pour ne pas réveiller le bébé qui s'est endormi.
— Rouen, cinq minutes d'arrêt.
Le monsieur, visiblement agité, supplie tout à coup Montpavon
de tenir le bébé une minute pour lui permettre d'aller satisfaire un
besoin des plus pressants. Le marchand de bois s'y prête généreu-
sement... Le train siffle et se remet en marche sans que l'étranger
ait reparu.
montpavon, après avoir fait retentir le compartiment d'impré-
cations diverses. — Me voilà propre ! avec un enfant sur les bras
dont je ne sais pas seulement le nom ! Mais je veux être pendu si je
ne le colle pas au premier voyageur qui montera !
— Maromme, trois minutes dsarrêt.
Gaudissart, commis-voyageur en vins, montre sa tête à la por-
tière. Montpavon aussitôt fait des grimaces coliquatives et se met à
tanguer comme une frégate en détresse.
gaudissart, entrant. — Monsieur est malade, à ce que je vois ?
montpavon. — Oui, et vraiment vous tombez à pic pour me tirer
d'un rude embarras. Tenez-moi ce môme un instant... Je m'éclipse
et je reviens. (Il descend précipitamment.)
gaudissart, obligeant. — C'est à droite, vous savez.
Le train siffle et repart. Tête du commis-voyageur, qui ne goûte
cette plaisanterie qu'à moitié.
gaudissart. — Ce fumiste s'est payé ma bille, mais comme je ne
me sens aucune vocation pour le rôle de nourrice, je vais confier ce
petit orphelin aux filets de cette patère, vide... Quand je dis orphelin...
pater is quem... (Se souriant à lui-même.) Tiens! tiens! je re-
placerai ce mot-là !
— Abbencourt, cinq minutes d'arrêt.
Gaudissart descend, les mains dans ses poches et va explorer les
autres voitures. Il ne tarde pas à découvrir Montpavon tranquille-
ment installé dans un compartiment en tête à tête avec une lady
anglaise qui a profité de l'occasion pour se faire donner une leçon
de français.
gaudissart, faisant irruption dans le coupé. — Vous voilà, si-
nistre farceur'! Que dois-je penser d'un père qui laisse ses gosses
sur les bras des autres pendant qu'il s'en va tranquillement flirter
avec des étrangères.
montpavon. — Écoutez, j'aime autant vous dire la vérité. Je ne
suis pas du tout le père de cet enfant. Un quidam quelconque me
l'a collé dans les bras à Rouen sous prétexte d'un besoin à satis-
faire, et, dame, je me suis servi du même truc pour vous le repasser.
gaudissart.— Oui, mais moi, pas si bête, je l'ai froidement confié
à l'une des patères du compartiment où il dort actuellement à poings
fermés, bercé comme dans les bras d'une mère.
l'anglaise, qui s'est fait expliquer le cas et fond en larmes tout
à coup. — C'été vraiment barbare ce que vô avez fait là!... Moâ, je
voulai adopter le petit enfant.
montpavon, versant un pleur à son tour. — Madame a raison,
Dessin d'Abel Faivrb.
VERS LA MÈRE!
Tragi-comédie expresse en 5 actes et autant de stations.
La scène se passe dans le train semi-direct de Paris à Dieppe.
M. Montpavon, marchand de bois, est confortablement installé dans
un compartiment de seconde. L'espace de deux ou trois stations il
s'y est trouvé tout seul et a joui de l'illusion exquise qu'il voyageait
dans un train spécialement chauffé pour lui. Aussi fait-il une gri-
mace épouvantable en voyant la portière s'ouvrir à Saint-Pierre-en-
Vauvray et un monsieur, les bras chargés d'un bébé en maillot, se
hisser sur le marchepied.
montpavon, presque agressif. — Monsieur cherche le comparti-
ment des dames seules?
le monsieur. — Non. Pourquoi?
montpavon, désignant le bébé. — Je pensais que monsieur était
nourrice.
le monsieur, conciliant. — Vous êtes un joyeux drille à ce que je
vois. (Il s'installe et donne le biberon au bébé.)
Le train file en teuf-teul'ant. Conversation mortellement ennuyeuse
entre le Monsieur et Montpavon. Ils ne s'entendent pas l'un l'autre,
obligés de parler bas pour ne pas réveiller le bébé qui s'est endormi.
— Rouen, cinq minutes d'arrêt.
Le monsieur, visiblement agité, supplie tout à coup Montpavon
de tenir le bébé une minute pour lui permettre d'aller satisfaire un
besoin des plus pressants. Le marchand de bois s'y prête généreu-
sement... Le train siffle et se remet en marche sans que l'étranger
ait reparu.
montpavon, après avoir fait retentir le compartiment d'impré-
cations diverses. — Me voilà propre ! avec un enfant sur les bras
dont je ne sais pas seulement le nom ! Mais je veux être pendu si je
ne le colle pas au premier voyageur qui montera !
— Maromme, trois minutes dsarrêt.
Gaudissart, commis-voyageur en vins, montre sa tête à la por-
tière. Montpavon aussitôt fait des grimaces coliquatives et se met à
tanguer comme une frégate en détresse.
gaudissart, entrant. — Monsieur est malade, à ce que je vois ?
montpavon. — Oui, et vraiment vous tombez à pic pour me tirer
d'un rude embarras. Tenez-moi ce môme un instant... Je m'éclipse
et je reviens. (Il descend précipitamment.)
gaudissart, obligeant. — C'est à droite, vous savez.
Le train siffle et repart. Tête du commis-voyageur, qui ne goûte
cette plaisanterie qu'à moitié.
gaudissart. — Ce fumiste s'est payé ma bille, mais comme je ne
me sens aucune vocation pour le rôle de nourrice, je vais confier ce
petit orphelin aux filets de cette patère, vide... Quand je dis orphelin...
pater is quem... (Se souriant à lui-même.) Tiens! tiens! je re-
placerai ce mot-là !
— Abbencourt, cinq minutes d'arrêt.
Gaudissart descend, les mains dans ses poches et va explorer les
autres voitures. Il ne tarde pas à découvrir Montpavon tranquille-
ment installé dans un compartiment en tête à tête avec une lady
anglaise qui a profité de l'occasion pour se faire donner une leçon
de français.
gaudissart, faisant irruption dans le coupé. — Vous voilà, si-
nistre farceur'! Que dois-je penser d'un père qui laisse ses gosses
sur les bras des autres pendant qu'il s'en va tranquillement flirter
avec des étrangères.
montpavon. — Écoutez, j'aime autant vous dire la vérité. Je ne
suis pas du tout le père de cet enfant. Un quidam quelconque me
l'a collé dans les bras à Rouen sous prétexte d'un besoin à satis-
faire, et, dame, je me suis servi du même truc pour vous le repasser.
gaudissart.— Oui, mais moi, pas si bête, je l'ai froidement confié
à l'une des patères du compartiment où il dort actuellement à poings
fermés, bercé comme dans les bras d'une mère.
l'anglaise, qui s'est fait expliquer le cas et fond en larmes tout
à coup. — C'été vraiment barbare ce que vô avez fait là!... Moâ, je
voulai adopter le petit enfant.
montpavon, versant un pleur à son tour. — Madame a raison,
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
- Comme on voit que vous habitez les bords de la mer! Ces sardines à l'huile sont des merveilles!
Weitere Titel/Paralleltitel
Serientitel
Le rire: journal humoristique
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
G 3555 Folio RES
Objektbeschreibung
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Künstler/Urheber/Hersteller (GND)
Entstehungsdatum
um 1898
Entstehungsdatum (normiert)
1893 - 1903
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)
Thema/Bildinhalt (normiert)
Tischgesellschaft <Motiv>
Literaturangabe
Rechte am Objekt
Aufnahmen/Reproduktionen
Künstler/Urheber (GND)
Reproduktionstyp
Digitales Bild
Rechtsstatus
In Copyright (InC) / Urheberrechtsschutz
Creditline
Le rire, 4.1897-1898, No. 198 (20 Août 1898), S. 8
Beziehungen
Erschließung
Lizenz
CC0 1.0 Public Domain Dedication
Rechteinhaber
Universitätsbibliothek Heidelberg