Supposez un ministre de la Justice ou des Cultes chargé de
recevoir Mm6 Pauline Deschamps, plus connue, dans le monde
où l’on s’amuse, sous le nom d’Yvonne Lévy da Silva. N’aurait-
il pas été tenté d’accorder l’ordre du Mérite à cette ingénieuse
personne qui, ayant été royalement entretenue par un fils de
famille, et ayant été lâchée ensuite— ces choses-là arrivent —
continua à faire des emplettes chez les bijoutiers, en se targuant
d'un crédit qu’elle n’avait plus?
— Patachon, disait-elle, continue à faire des folies pour moi.
11 va m’acheter un coquet petit hôtel de 150,000 francs.
Alors, les bijoutiers attendris, malgré la grève et le lock-out,
fournissaient, à la belle, 144,000 francs de bijoux qu’elle s’em-
pressait d’aller vendre à Saint-Sébastien.
A la onzième chambre, le président Salvador— un beau nom
pour une affaire de bijouterie — trouve queM™6 Yvonne Lévy da
Silva tombe sous le coup de l’article 405 du Code pénal, escro-
querie, en faisant croire à un crédit imaginaire.
— Mais, pas du tout, proteste la pauvre Yvonne, je n’étais pas
sans ressources. J’avais de vieilles parures de toilette, et aussi
ma fourrure. Avec cela, on n’est pas à la côte, quand on est jolie
comme moi. Un ami de perdu, dix de retrouvés.
La voilà bien la consécration, la véritable consécration du
mérite féminin! En notre doux pays de France, si corrompu,
comme le prétendent les Teutons, on ne se contente pas
d’ambassadeurs, d’adjudants-généraux pianistes et de petits
blaireaux; on ne suit pas les cuirassiers en bottes et en pantalon
blanc. Dieu merci, on aime les belles filles comme Yvonne
Lévy da Silva, et pour un ami de perdu, elle en aurait retrouvé
dix qui auraient désintéressé les bijoutiers inquiets.
O Salvador, prends garde!
Et n’oublie pas, en présidant,
Qu’un œil noir te regarde!...
Dans l’intérêt même des bijoutiers, je laisserais Yvonne Lévy
en liberté, avec sa fourrure. Et ce serait de la bonne justice.
En attendant le Mérite féminin, ces dames ont, du moins,
conquis le droit au Mérite agricole, vulgairement nommé le
poireau, par les envieux. On nous a annoncé la promotion de
Mme Duvillard, dont le mari préside le syndicat des maraîchers
de la Seine. Evidemment, le mari est bien pour quelque chose
dans cette faveur — un président de syndicat! tu parles! —
mais on a estimé également que le rôle de la femme, dans une
exploitation agricole bien dirigée, avait son importance. Donc,
— Alors, à c’t’heure, si les hommes voltigent, va falloir que les oi-
seaux se mettent à faire de l’automobile. Dessins de Métivet.
PATRIOTE ET APOPLECTIQUE
— A force de te demander tout le temps : Sommes-nous défendus f
Tu finiras par avoir une attaque.
honneur à Mm' Duvillard, et félicitations au ministre pour ne
pas lui avoir fait faire... le poireau!
*
* *
Occupons-nous un peu des modes.
Désormais l’habit noir sera bleu,disait dernièrement mon spi-
rituel collaborateur Métivet, et le chapeau haut-de-forme sera
bas. Pour l’habit bleu, la mode viendrait d’Angleterre, et ne
serait qu’un recommencement. Nos pères portaient des habits
bleus à boutons d’or, et, l’été, cette tenue se complétait par un
gilet blanc et un pantalon gris perle. Ce n’était pas plus laid
qu’autre chose, et cela avait l’avantage de différencier des
maîtres d’hôtel, alors que la moustache tend à disparaître chez
nos snobs.
Cette mode de l’habit bleu n’avait pas d’ailleurs tout à fait
disparu, et les compères de Revues étaient là pour en perpétuer
le souvenir. Il faut l’habit bleu pour savoir accueillir, avec le
sourire qui convient, les jeunes personnes peu vêtues qui repré-
sentent « les actualités », de même qu’il faut le chapeau gris,
aux longs poils argentés, pour leur adresser le salut final, au
moment du chœur de sortie.
— Allons, adieu, mesdemoiselles; mes hommages à mesdames
vos mères.
Et le compère escorte le gracieux bataillon jusqu’aux cou-
lisses, en tenant sa canne comme un sabre, et en scandant un
pas redoublé.
Outre l’habit bleu, nous sommes également menacés de la
cravate Fallières. Notre vénérable président, qui n’attache à
l’élégance vestimentaire que l’importance qu’elle mérite, porte
des nœuds tout faits, en foulard bleu à pois blancs, qui valaient
jusqu’ici treize sous dans les grands bazars. Ce nœud à la La
Vallière, ou plutôt à la La Fallières, sera le dernier cri, cet hiver,
à moins qu’une vigoureuse protestation de M. Le Bargy ne
vienne remettre les choses au point. Il y a, pour l’éminent
sociétaire, une brillante revanche à prendre. Lui seul a la
compétence et l’autorité nécessaires pour trancher ce nœud, et
lutter contre le prestige écrasant d’un président. Les présidents
de République, il les connaît — il connaît même leur famille —
et cette prise d’écharpe serait intéressante entre le porte-parole
de Molière et le successeur de Louis-Quatorze.
Le Roi-Soleil avait d’ailleurs une manière toute différente de
comprendre le nœud à la La Vallière. g .
recevoir Mm6 Pauline Deschamps, plus connue, dans le monde
où l’on s’amuse, sous le nom d’Yvonne Lévy da Silva. N’aurait-
il pas été tenté d’accorder l’ordre du Mérite à cette ingénieuse
personne qui, ayant été royalement entretenue par un fils de
famille, et ayant été lâchée ensuite— ces choses-là arrivent —
continua à faire des emplettes chez les bijoutiers, en se targuant
d'un crédit qu’elle n’avait plus?
— Patachon, disait-elle, continue à faire des folies pour moi.
11 va m’acheter un coquet petit hôtel de 150,000 francs.
Alors, les bijoutiers attendris, malgré la grève et le lock-out,
fournissaient, à la belle, 144,000 francs de bijoux qu’elle s’em-
pressait d’aller vendre à Saint-Sébastien.
A la onzième chambre, le président Salvador— un beau nom
pour une affaire de bijouterie — trouve queM™6 Yvonne Lévy da
Silva tombe sous le coup de l’article 405 du Code pénal, escro-
querie, en faisant croire à un crédit imaginaire.
— Mais, pas du tout, proteste la pauvre Yvonne, je n’étais pas
sans ressources. J’avais de vieilles parures de toilette, et aussi
ma fourrure. Avec cela, on n’est pas à la côte, quand on est jolie
comme moi. Un ami de perdu, dix de retrouvés.
La voilà bien la consécration, la véritable consécration du
mérite féminin! En notre doux pays de France, si corrompu,
comme le prétendent les Teutons, on ne se contente pas
d’ambassadeurs, d’adjudants-généraux pianistes et de petits
blaireaux; on ne suit pas les cuirassiers en bottes et en pantalon
blanc. Dieu merci, on aime les belles filles comme Yvonne
Lévy da Silva, et pour un ami de perdu, elle en aurait retrouvé
dix qui auraient désintéressé les bijoutiers inquiets.
O Salvador, prends garde!
Et n’oublie pas, en présidant,
Qu’un œil noir te regarde!...
Dans l’intérêt même des bijoutiers, je laisserais Yvonne Lévy
en liberté, avec sa fourrure. Et ce serait de la bonne justice.
En attendant le Mérite féminin, ces dames ont, du moins,
conquis le droit au Mérite agricole, vulgairement nommé le
poireau, par les envieux. On nous a annoncé la promotion de
Mme Duvillard, dont le mari préside le syndicat des maraîchers
de la Seine. Evidemment, le mari est bien pour quelque chose
dans cette faveur — un président de syndicat! tu parles! —
mais on a estimé également que le rôle de la femme, dans une
exploitation agricole bien dirigée, avait son importance. Donc,
— Alors, à c’t’heure, si les hommes voltigent, va falloir que les oi-
seaux se mettent à faire de l’automobile. Dessins de Métivet.
PATRIOTE ET APOPLECTIQUE
— A force de te demander tout le temps : Sommes-nous défendus f
Tu finiras par avoir une attaque.
honneur à Mm' Duvillard, et félicitations au ministre pour ne
pas lui avoir fait faire... le poireau!
*
* *
Occupons-nous un peu des modes.
Désormais l’habit noir sera bleu,disait dernièrement mon spi-
rituel collaborateur Métivet, et le chapeau haut-de-forme sera
bas. Pour l’habit bleu, la mode viendrait d’Angleterre, et ne
serait qu’un recommencement. Nos pères portaient des habits
bleus à boutons d’or, et, l’été, cette tenue se complétait par un
gilet blanc et un pantalon gris perle. Ce n’était pas plus laid
qu’autre chose, et cela avait l’avantage de différencier des
maîtres d’hôtel, alors que la moustache tend à disparaître chez
nos snobs.
Cette mode de l’habit bleu n’avait pas d’ailleurs tout à fait
disparu, et les compères de Revues étaient là pour en perpétuer
le souvenir. Il faut l’habit bleu pour savoir accueillir, avec le
sourire qui convient, les jeunes personnes peu vêtues qui repré-
sentent « les actualités », de même qu’il faut le chapeau gris,
aux longs poils argentés, pour leur adresser le salut final, au
moment du chœur de sortie.
— Allons, adieu, mesdemoiselles; mes hommages à mesdames
vos mères.
Et le compère escorte le gracieux bataillon jusqu’aux cou-
lisses, en tenant sa canne comme un sabre, et en scandant un
pas redoublé.
Outre l’habit bleu, nous sommes également menacés de la
cravate Fallières. Notre vénérable président, qui n’attache à
l’élégance vestimentaire que l’importance qu’elle mérite, porte
des nœuds tout faits, en foulard bleu à pois blancs, qui valaient
jusqu’ici treize sous dans les grands bazars. Ce nœud à la La
Vallière, ou plutôt à la La Fallières, sera le dernier cri, cet hiver,
à moins qu’une vigoureuse protestation de M. Le Bargy ne
vienne remettre les choses au point. Il y a, pour l’éminent
sociétaire, une brillante revanche à prendre. Lui seul a la
compétence et l’autorité nécessaires pour trancher ce nœud, et
lutter contre le prestige écrasant d’un président. Les présidents
de République, il les connaît — il connaît même leur famille —
et cette prise d’écharpe serait intéressante entre le porte-parole
de Molière et le successeur de Louis-Quatorze.
Le Roi-Soleil avait d’ailleurs une manière toute différente de
comprendre le nœud à la La Vallière. g .
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
Patriote et apoplectique; Aéroplanomanie
Weitere Titel/Paralleltitel
Serientitel
Le rire: journal humoristique
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
G 3555 Folio RES
Objektbeschreibung
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Künstler/Urheber/Hersteller (GND)
Entstehungsdatum
um 1907
Entstehungsdatum (normiert)
1902 - 1912
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)
Literaturangabe
Rechte am Objekt
Aufnahmen/Reproduktionen
Künstler/Urheber (GND)
Reproduktionstyp
Digitales Bild
Rechtsstatus
Public Domain Mark 1.0
Creditline
Le rire, N.S. 1907, No. 249 (9 Novembre 1907), S. Bar
Beziehungen
Erschließung
Lizenz
CC0 1.0 Public Domain Dedication
Rechteinhaber
Universitätsbibliothek Heidelberg