H existe à Londres, où je l'ai souvent visitée pendant un exil de six années, une collection
de figures de cire d'ailleurs très connue et que l'on appelle le Musée Tussaud. En 1870, après le
Quatre-Septembre, les directeurs de cette galerie avaient cru devoir exhiber mon effigie; et
comme j'étais alors membre du Gouvernement de la Défense nationale, ils m'avaient fait
l'honneur fort discutable de m'exhiber parmi les souverains.
A la vérité, mon triomphe fut de courte durée. L'année suivante, j'étais parmi les répu-
blicains vaincus et même parmi les condamnés de l'insurrection parisienne; aussi les mêmes
impresarii n'avaient-ils pas hésité à reléguer mon image dans la salle des Criminels célèbres, au
moment même où l'original était relégué en Nouvelle-Calédonie- Seulement ils avaient eu la
délicate attention d'adoucir ma disgrâce en me plaçant à côté de Nana-Saïb, le grand patriote
hindou qui essaya d'arracher son pays à la domination britannique — ce que les Anglais, bien
entendu, ne lui ont jamais pardonné.
Les sombres gredins qui nous gouvernent, à peu près comme les ministres de ÆLxs
gouvernaient l'Espagne, figurent-ils actuellement au Musée Tussaud? Je l'ignore; mais s'ils s'y
étalent, comme c'est assez probable, on peut prévoir le moment — peut-être plus prochain qu'on
ne croit —où la France écœurée les chassera avec dégoût; car
Ce serait une erreur de croire que ces choses
Finiront par des chants et des apothéoses.
Ce jour-là, ils dégringoleront de la salle des Hommes d'Ëtat dans celle des Grands Scélérats,
à moins que ce ne soit dans la section dénommée « Chambre des Horreurs )) Les dessins de cet
album pourront alors servir d'explications suffisantes aux répugnantes figures des Combes, des
Pelletan, des André et des Delcassé- En effet, pour peu que l'on veuille bien y réfléchir, on
s'apercevra sans peine que chacune de ces pages humoristiques rappelle une trahison, une basse
vilenie, une prévarication cynique, un attentat contre la Liberté ou la Patrie.
Et si j'avais à faire un reproche àBelon, à Bruno et à Somm, courageux artistes qui ont
fouaillé de leur crayon vengeur ces forbans, ces concussionnaires et ces traîtres, ce serait d'avoir
employé leur talent et leur verve ironique à rendre presque amusants à force d'effronterie des
fantoches qui, dans la réalité, ne sont pas drôles, mais qui. en revanche, sont sûrement des drôles.