NOTRE BIB
LXIX.
UN MOIS EN ITALIE (GÊNES — BOLOGNE — FLO-
RENCE — PISE — ROME — NAPLES — VENISE
— MILAN — TURIN ET LE MONT-CENIS), par
F. CHON, Officier de l'Instruction publique, Cheva-
lier de la Légion d'honneur, ancien Professeur agrégé
d'Histoire au Lycée et a la Faculté des Sciences de
Lille, Membre de la Société des Sciences, des Arts et
de l'Agriculture de Lille, de la Commission histori-
que du de'partrement du Nord, etc., etc. Lille, L. Danel,
imprimeur-éditeur, 1876. Un volume in-18 de 513 pages.
Prix : 4. francs.
L'auteur, qui a soin de faire suivre son nom de tant de
titres, sans compter les etc., débute —il aime sans doute l'anti-
thèse — par un avant-propos où il nous apprend qu'il n'a
I aucune prétention d'érudit, de critique ou d'archéologue ».
II a cependant un but : « Nous nous proposons de faire connaître
simplement les impressions spontanées, rapides et durables
néanmoins, que nous avons éprouvées ici ou là, sans y ajouter
plus d'importance qu'elles n'en méritent, » ce qui ne l'empêche
pas d'être d'avis que « cet ouvrage, à la rigueur, pourra suppléer
des Guides plus complets et plus détaillés », et de déclarer qu'il
« écrit pour les gens du monde », qui, au siècle où nous sommes,
s'ils ne brillent point par un excès d'instruction, aiment en géné-
ral à s'instruire sur les pays qu'ils visitent et à ne pas s'exposer
à en parler à tort et à travers. Il ne m'est point démontré que
« l'ouvrage » de M. Chon, qui a cependant eu la délicate atten-
tion « d'écrire pour eux », ait la moindre chance de remplacer
dans la faveur de ces ingrats, les excellents Guides de Du Pays.
Je m'associe et de tout cœur, au souhait final de ce remar-
quable avant-propos : « Dieu veuille que mon livre, en obtenant
les suffrages du public, justifie la bienveillance de l'excellent édi-
teur qui fut autrefois mon élève et qui est resté mon ami ! 1
mais je crains fort que le ciel ne fasse la sourde oreille, et s'il
en doit être ainsi, hélas! il ne me reste qu'à émettre à mon tour
ce vœu sincère : c'est que M. Danel n'ait point poussé la bien-
veillance jusqu'à éditer à ses frais « les impressions spontanées,
rapides et durables néanmoins » de son ancien professeur.
Ce dernier titre, sans parler de tous les autres étalés sur la
couverture de ces 513 pages, impliquait des devoirs auxquels
M. Chon est resté par trop étranger. Si un professeur peut
n'être ni érudit, ni critique, ni archéologue, il devrait au moins
lui être interdit d'accumuler presque à chaque instant les preu-
ves d'une légèreté sans bornes. Il est grand temps que les livres
écrits en France sur les pays étrangers cessent d'encourir ce
grave reproche ; un membre de l'Université eût dû, moins que
tout autre, s'y exposer, et il est d'autant plus en faute qu'il « écrit
pour les gens du monde » tout disposés naturellement à prendre
ses titres au sérieux et à les considérer comme une garantie de
ses renseignements.
Quiconque a visité Gênes sait que le palais Durazzo est
admirable entre tous, que ses merveilles artistiques l'emportent
et de beaucoup sur toutes les autres collections patriciennes, qu'à
San Ambrogio tous les tableaux italiens sont écrasés par l'éclat
incomparable d'une prodigieuse toile de Rubens ; — pour M. Chon
le palais Durazzo n'existe pas, et il n'a nul souci de ce Rubens.
Il n'est allé à San Ambrogio qu'à une « heure avancée », ce qui
est cause qu'il n'a pu y voir « une Assomption du Guide ».
Mais il a vu bien d'autres peintures et n'a garde de ne point
signaler Teverone, Piola, Carlone, « une toile de Guido Reni,
Sainte Marguerite, qui brille par une Gloire superbe, » et de
manquer l'occasion d'apprécier un Guerchin de façon à rendre Henri
Monnier jaloux, « une Madone qui peut être considérée comme
LIOTHÈQUE
*
un des bons ouvrages de cet auteur. » Joseph Prudhomme est
d'excellente composition s'il n'intente pas un procès en contre-
façon.
« Cet auteur » vaut sans contredit son pesant d'or; mais il
est une perle d'une plus belle eau : « N'oublions pas le violon
de Paganini. »
Les gens du monde qui choisiraient M. Chon pour guide,
apprendraient encore — on ne peut trop s'instruire — que
« les arabesques du palais Doria sont des chefs-d'œuvre », et que
« presque toujours Perino del Vaga semble vouloir imiter Michel-
Ange ».
A Bologne, notre professeur se livre à des aphorismes de ce
goût-ci : « Les Italiens, comme nous aurons plusieurs fois l'occa-
sion de le constater, ont, au plus haut degré, l'instinct musical,»
et à propos du Martyre de saint Pierre de Vérone : « Le Domi-
niquin, traitant le même sujet que Titien, est inférieur, suivant
nous, à son émule. »
Il va sans dire que M. Chon, qui est un grand consomma-
teur de clichés, divinise Raphaël à bouche que veux-tu, « qu'il
lui semble que Michel-Ange a laissé trop de sculptures inachevées
et qu'il se demande pourquoi, « qu'il ne comprend pas le premier
mot à la Sainte Famille du maître qui est à la Tribune ec qu'après
lui avoir reproché de « s'être avisé de faire des tableaux de che-
valet »,ilne pouvait manquer de proclamer ex cathedra que
ladite Sainte Famille « n'a ni sens ni sentiment ».
Que voulez-vous ! on ne peut avoir tous les mérites. Le génie
n'est pas accessible au premier venu, et c'est ma foi fort heureux,
car, si cela permet à M. Chon d'imprimer à propos du palais Pitti,
cette conception géante de Brunelleschi, que « l'effet que le
monument produit d'abord n'est pas favorable », cela lui procure
la joie de ne pas hésiter à juger « magnifiques les appartements
inhabités du Roi » qui brillent par leur ameublement de paco-
tille, le nec plus ultra du mauvais goût.
A propos des Parques attribuées à Michel-Ange et qui se
trouvent au palais Pitti et non ailleurs, on lit en note, page 63 :
« Les catalogues parlent, au n° 113, des Parques de Michel-Ange ;
je ne les ai pas vues au palais Pitti, mais je suis certain d'avoir
rencontré, je ne sais où, en Italie, ces trois horribles vieilles, et
j'avoue qu'elles ont produit sur moi le plus vilain effet ; peinture
incolore, vulgaire, d'une laideur sans compensation. On a eu
raison, pour l'honneur de Michel-Ange, de l'enlever d'une col-
lection qui a un si grand nombre de chefs-d'œuvre ; la compa-
raison l'écraserait. »
N'allez pas croire que j'aie changé une seule syllabe, et ne
soyez pas plus sévères que de raison : M. Chon ne se donne pas
comme professeur de langue française.
Page 87, l'auteur prétend qu'au Palano Vecchio, « dans un
renfoncement obscur, le custode lui a montré une fresque attri-
buée à Giotto, » et il ajoute en note : « Est-ce au Palais Vec-
chio ou au Palais du Podestà? Je ne saurais affirmer. »
C'est bien au Palano del Podestà, et ce n'est nullement « dans
un renfoncement obscur », mais dans la chapelle parfaitement
éclairée de ce Bargello dont M. le commandeur Aurelio Gotti a
fait un musée sans rival pour la sculpture des xve et xvie siècles.
M. Chon est revenu d'Italie sans même savoir écrire correc-
tement Buonarroti dont il fait Buonarotti ; il est vrai qu'il a eu
un mois durant des billets de banque italiens entre les mains et
qu'il nous avertit qu'ils « sont reconnaissables par les têtes impri-
mées aux quatre coins de Cavour, de Colomb, de Mania et de
Garibaldi », prenant tout simplement Dante pour Garibaldi !
Je n'en finirais pas si je m'attachais à relever toutes les
erreurs.
Si les gens du monde perdaient leur temps à lire M, Chon,
qui place au premier étage du palais Borghèse la galerie que
tout le monde sait être installée aurez-de-chaussée, ils se deman-
LXIX.
UN MOIS EN ITALIE (GÊNES — BOLOGNE — FLO-
RENCE — PISE — ROME — NAPLES — VENISE
— MILAN — TURIN ET LE MONT-CENIS), par
F. CHON, Officier de l'Instruction publique, Cheva-
lier de la Légion d'honneur, ancien Professeur agrégé
d'Histoire au Lycée et a la Faculté des Sciences de
Lille, Membre de la Société des Sciences, des Arts et
de l'Agriculture de Lille, de la Commission histori-
que du de'partrement du Nord, etc., etc. Lille, L. Danel,
imprimeur-éditeur, 1876. Un volume in-18 de 513 pages.
Prix : 4. francs.
L'auteur, qui a soin de faire suivre son nom de tant de
titres, sans compter les etc., débute —il aime sans doute l'anti-
thèse — par un avant-propos où il nous apprend qu'il n'a
I aucune prétention d'érudit, de critique ou d'archéologue ».
II a cependant un but : « Nous nous proposons de faire connaître
simplement les impressions spontanées, rapides et durables
néanmoins, que nous avons éprouvées ici ou là, sans y ajouter
plus d'importance qu'elles n'en méritent, » ce qui ne l'empêche
pas d'être d'avis que « cet ouvrage, à la rigueur, pourra suppléer
des Guides plus complets et plus détaillés », et de déclarer qu'il
« écrit pour les gens du monde », qui, au siècle où nous sommes,
s'ils ne brillent point par un excès d'instruction, aiment en géné-
ral à s'instruire sur les pays qu'ils visitent et à ne pas s'exposer
à en parler à tort et à travers. Il ne m'est point démontré que
« l'ouvrage » de M. Chon, qui a cependant eu la délicate atten-
tion « d'écrire pour eux », ait la moindre chance de remplacer
dans la faveur de ces ingrats, les excellents Guides de Du Pays.
Je m'associe et de tout cœur, au souhait final de ce remar-
quable avant-propos : « Dieu veuille que mon livre, en obtenant
les suffrages du public, justifie la bienveillance de l'excellent édi-
teur qui fut autrefois mon élève et qui est resté mon ami ! 1
mais je crains fort que le ciel ne fasse la sourde oreille, et s'il
en doit être ainsi, hélas! il ne me reste qu'à émettre à mon tour
ce vœu sincère : c'est que M. Danel n'ait point poussé la bien-
veillance jusqu'à éditer à ses frais « les impressions spontanées,
rapides et durables néanmoins » de son ancien professeur.
Ce dernier titre, sans parler de tous les autres étalés sur la
couverture de ces 513 pages, impliquait des devoirs auxquels
M. Chon est resté par trop étranger. Si un professeur peut
n'être ni érudit, ni critique, ni archéologue, il devrait au moins
lui être interdit d'accumuler presque à chaque instant les preu-
ves d'une légèreté sans bornes. Il est grand temps que les livres
écrits en France sur les pays étrangers cessent d'encourir ce
grave reproche ; un membre de l'Université eût dû, moins que
tout autre, s'y exposer, et il est d'autant plus en faute qu'il « écrit
pour les gens du monde » tout disposés naturellement à prendre
ses titres au sérieux et à les considérer comme une garantie de
ses renseignements.
Quiconque a visité Gênes sait que le palais Durazzo est
admirable entre tous, que ses merveilles artistiques l'emportent
et de beaucoup sur toutes les autres collections patriciennes, qu'à
San Ambrogio tous les tableaux italiens sont écrasés par l'éclat
incomparable d'une prodigieuse toile de Rubens ; — pour M. Chon
le palais Durazzo n'existe pas, et il n'a nul souci de ce Rubens.
Il n'est allé à San Ambrogio qu'à une « heure avancée », ce qui
est cause qu'il n'a pu y voir « une Assomption du Guide ».
Mais il a vu bien d'autres peintures et n'a garde de ne point
signaler Teverone, Piola, Carlone, « une toile de Guido Reni,
Sainte Marguerite, qui brille par une Gloire superbe, » et de
manquer l'occasion d'apprécier un Guerchin de façon à rendre Henri
Monnier jaloux, « une Madone qui peut être considérée comme
LIOTHÈQUE
*
un des bons ouvrages de cet auteur. » Joseph Prudhomme est
d'excellente composition s'il n'intente pas un procès en contre-
façon.
« Cet auteur » vaut sans contredit son pesant d'or; mais il
est une perle d'une plus belle eau : « N'oublions pas le violon
de Paganini. »
Les gens du monde qui choisiraient M. Chon pour guide,
apprendraient encore — on ne peut trop s'instruire — que
« les arabesques du palais Doria sont des chefs-d'œuvre », et que
« presque toujours Perino del Vaga semble vouloir imiter Michel-
Ange ».
A Bologne, notre professeur se livre à des aphorismes de ce
goût-ci : « Les Italiens, comme nous aurons plusieurs fois l'occa-
sion de le constater, ont, au plus haut degré, l'instinct musical,»
et à propos du Martyre de saint Pierre de Vérone : « Le Domi-
niquin, traitant le même sujet que Titien, est inférieur, suivant
nous, à son émule. »
Il va sans dire que M. Chon, qui est un grand consomma-
teur de clichés, divinise Raphaël à bouche que veux-tu, « qu'il
lui semble que Michel-Ange a laissé trop de sculptures inachevées
et qu'il se demande pourquoi, « qu'il ne comprend pas le premier
mot à la Sainte Famille du maître qui est à la Tribune ec qu'après
lui avoir reproché de « s'être avisé de faire des tableaux de che-
valet »,ilne pouvait manquer de proclamer ex cathedra que
ladite Sainte Famille « n'a ni sens ni sentiment ».
Que voulez-vous ! on ne peut avoir tous les mérites. Le génie
n'est pas accessible au premier venu, et c'est ma foi fort heureux,
car, si cela permet à M. Chon d'imprimer à propos du palais Pitti,
cette conception géante de Brunelleschi, que « l'effet que le
monument produit d'abord n'est pas favorable », cela lui procure
la joie de ne pas hésiter à juger « magnifiques les appartements
inhabités du Roi » qui brillent par leur ameublement de paco-
tille, le nec plus ultra du mauvais goût.
A propos des Parques attribuées à Michel-Ange et qui se
trouvent au palais Pitti et non ailleurs, on lit en note, page 63 :
« Les catalogues parlent, au n° 113, des Parques de Michel-Ange ;
je ne les ai pas vues au palais Pitti, mais je suis certain d'avoir
rencontré, je ne sais où, en Italie, ces trois horribles vieilles, et
j'avoue qu'elles ont produit sur moi le plus vilain effet ; peinture
incolore, vulgaire, d'une laideur sans compensation. On a eu
raison, pour l'honneur de Michel-Ange, de l'enlever d'une col-
lection qui a un si grand nombre de chefs-d'œuvre ; la compa-
raison l'écraserait. »
N'allez pas croire que j'aie changé une seule syllabe, et ne
soyez pas plus sévères que de raison : M. Chon ne se donne pas
comme professeur de langue française.
Page 87, l'auteur prétend qu'au Palano Vecchio, « dans un
renfoncement obscur, le custode lui a montré une fresque attri-
buée à Giotto, » et il ajoute en note : « Est-ce au Palais Vec-
chio ou au Palais du Podestà? Je ne saurais affirmer. »
C'est bien au Palano del Podestà, et ce n'est nullement « dans
un renfoncement obscur », mais dans la chapelle parfaitement
éclairée de ce Bargello dont M. le commandeur Aurelio Gotti a
fait un musée sans rival pour la sculpture des xve et xvie siècles.
M. Chon est revenu d'Italie sans même savoir écrire correc-
tement Buonarroti dont il fait Buonarotti ; il est vrai qu'il a eu
un mois durant des billets de banque italiens entre les mains et
qu'il nous avertit qu'ils « sont reconnaissables par les têtes impri-
mées aux quatre coins de Cavour, de Colomb, de Mania et de
Garibaldi », prenant tout simplement Dante pour Garibaldi !
Je n'en finirais pas si je m'attachais à relever toutes les
erreurs.
Si les gens du monde perdaient leur temps à lire M, Chon,
qui place au premier étage du palais Borghèse la galerie que
tout le monde sait être installée aurez-de-chaussée, ils se deman-