6o L'ART.
Musée fut décidé et réalisé, mais dans l'Amérique du Nord,
comme en Angleterre malheureusement, les institutions de ce
genre sont fermées le dimanche. Nous avons signalé le premier
pas accompli dans la voie d'une réforme radicale plus que néces-
saire, à propos de l'ouverture du Musée de Maidstone le
dimanche, et nous avons manifesté l'espoir sérieusement fondé,
de voir ce succès inespéré de la pression de l'opinion publique
être le début de nombreuses conquêtes du même genre dans le
Royaume-Uni où il est vraiment scandaleux de voir, tous les
dimanches, les Gin Palaces accessibles aux travailleurs qui y
dissipent, en quelques heures de honteuse ivresse, la plus large
part, si ce n'est la totalité de leur salaire de la semaine, tandis
que les Musées et toutes les Institutions artistiques et scienti-
fiques de cette nature qui aident si puissamment aux progrès de
l'éducation populaire, restent impitoyablement portes closes.
Nous avons dit aussi les efforts de la Sunday Society qui pour-
suit en Angleterre, avec une ténacité toute britannique, une
campagne moralisatrice contre ce préjugé absurde, dont elle
finira par triompher.
Nous sommes heureux d'apprendre qu'en dépit d'une
sérieuse opposition la direction du Musée philadelphien a décidé
d'admettre le public le dimanche ; cette résolution si équitable
et si utile a obtenu le plus complet succès, et ce progrès si
désirable et si désiré a obtenu gain de cause définitif.
GUIDE RAISONNÉ DE L'AMATEUR ET DU CURIEUX
i
Rien jusqu'ici, pas la moindre vente sérieuse à signaler chez
MM. Christie, Manson et Woods, les grands Auctioneers de
Londres. Absence non moins absolue d'affaires importantes à
l'hôtel Drouot, où on n'annonce encore rien de bien attractif
pour la saison qui s'ouvre. Deux petites exceptions cependant,
l'une rétrospective, l'autre pour un prochain avenir. M0 Guer-
reau a procédé le 16 décembre dernier —-assisté de deux ex-
perts : M. Charles Mannheim, pour les marbres et bronzes, et
M. Féral, pour les tableaux et dessins — à la vente après décès
de M. Pajou, de Bustes en marbre, bronzes, terres cuites,
tableaux, pastels et dessins, parmi lesquels figuraient des oeuvres
de l'illustre sculpteur dont le défunt était l'un des descendants.
« N° 1. Buste de Le Moyne, célèbre sculpteur, par Pajou,
1759. Grandeur nature. On lit sur le socle :
Tu vois ici le Moyne, on connaît son ciseau.
Nul n'enseigna son art avec plus d'éloquence.
L'Amitié, la Nature et la Reconnaissance
Ont, avec la Vertu, pleuré sur son tombeau.
Par M. Dncis, de l'Académie française.
Pajou a rendu les traits fort peu séduisants de Le Moyne,
de manière à en faire une œuvre qui vous fascine; c'est de la
sculpture pleine de flamme, prodigieusement vivante, mouve-
mentée comme l'était évidemment le modèle, et d'une science
accomplie.
Cet admirable marbre a été adjugé à fi, 100 francs seule-
ment; sa place était au Louvre, absolument comme le beau
Buste de Pajou par Rolland, N" 2, adjugé à 6,500 francs.
Ni l'un ni l'autre n'a été acquis par le Musée dont le maigre
budget, hélas ! était épuisé. M. Barbet de Jouy a dû se borner
à assister à la vente en simple spectateur, et en a cruellement
souffert, car, mieux que personne, il comprenait que la grande
collection nationale était aux yeux de tous l'acquéreur-né de
ces deux portraits d'un si vif intérêt pour l'histoire de l'art
français et pour l'instruction des artistes. Que n'a-t-il eu l'heu-
reuse inspiration de s'adresser à M. Mannheim! Avec un expert
tel que lui, nous savons quelle eût été la réponse. Il eût immé-
diatement acheté les deux bustes pour le Louvre et eût avancé
les fonds sans consentir à recevoir la moindre rémunération de
ce patriotique service, jusqu'à ce que le Musée eût été en situa-
tion de le rembourser.
Il nous est douloureux d'avoir à constater qu'aucun ama-
teur n'a songé à se donner ces deux œuvres magistrales ; elles
ont été adjugées à des marchands qui ont fait preuve dégoût.
« N° 5. Statuette de Psyché, par Pajou. Terre cuite signée
par le citoyen Pajou : l'an V de la République française, l'an
rj()6, vieux style. » Adjugé à 565 francs.
On a aussi vendu à Drouot la Collection Duclos au sujet de
laquelle on avait fait quelque bruit, — much ado about nothing.
Nous ne mentionnerions même pas cet événement négatif si le
vrai morceau de résistance de cette vente n'y avait brillé par
son absence, à la suite d'une saisie pratiquée au palais du Troca-
déro où cette fort belle toile a figuré parmi les portraits histo-
riques. Il s'agit du portrait dit de M. de Julienne par Watteau.
Que ce soit ou non M. de Julienne, ce n'en est pas moins un
superbe portrait. Mais qu'il soit de Watteau, jamais. Pas un
expert qui se respecte n'oserait signer pareille attribution abso-
lument fantaisiste. C'est un Lancret et un merveilleux Lancret.
Le 6 février prochain, M. Charles Pillet, assisté de
M. George, expert, vendra la collection de tableaux de feu
M. Lenglart, de Lille; il y a là un tableau qui domine tous les
autres, et de très-haut; c'est un Paul Potter que nous ne sau-
rions trop vivement recommander aux vrais connaisseurs. Le
Coup de Vent que M. Léon Gaucherel a supérieurement inter-
prété, et qui est signé en toutes lettres, à gauche dans le haut :
Paulus Potter, et daté 1646, est un tableau d'un intérêt excep-
tionnel et d'un mérite non moins exceptionnel dans l'œuvre du
maître. Potter, dont la carrière fut si courte, s"est surtout com-
plu à la représentation des calmes prairies sans fin de la Hol-
lande, et chez lui l'animalier domine presque invariablement le
paysagiste qui semble prendre plaisir à s'effacer discrètement.
Cette fois l'artiste a tenu à se révéler grand paysagiste et il y a
merveilleusement réussi dans ce petit panneau en hauteur de
om 30 sur o"1 24, où l'homme et les animaux — toute une ribam-
belle de pourceaux — tiennent si admirablement leur place que la
composition serait boiteuse sans leur présence. Ils ne constituent
pourtant pas une note dominante, mais ils font partie insépa-
rable d'un tout qui, sans le désordre même de leurs attitudes,
n'aurait point sa valeur complète; ils aident tout particulière-
ment à faire comprendre le déchaînement des éléments, l'appro-
che de l'orage qui ont inspiré l'artiste avec un rare bonheur.
Jamais son faire, auquel on peut reprocher d'être parfois épinglé,
ne s'est montré ni plus charmant ni aussi large. Quant au des-
sin, c'est la perfection même. Ce tableautin vaut son pesant
d'or. Se vendra-t-il ce qu'il vaut? Ceci est une tout autre ques-
tion. Ce bulletin des ventes publiques n'a d'autre mission que
de dire la vérité vraie. Nous ne voudrions donc pas jurer que ce
Paul Potter fera florès auprès des amateurs qui n'ont pas acheté
les bustes de Pajou et de Rolland t parce que ce ne sont pas
des portraits de jolies femmes «. L'art n'a rien à voir avec de
pareils raisonnements, et ceux qui les tiennent seraient bien
surpris si on leur disait que les pourceaux du grand Paulus
Potter sont bien autrement morceau de fin connaisseur que la
plupart des « portraits de jolies femmes » dont ils ornent leurs
collections.
Musée fut décidé et réalisé, mais dans l'Amérique du Nord,
comme en Angleterre malheureusement, les institutions de ce
genre sont fermées le dimanche. Nous avons signalé le premier
pas accompli dans la voie d'une réforme radicale plus que néces-
saire, à propos de l'ouverture du Musée de Maidstone le
dimanche, et nous avons manifesté l'espoir sérieusement fondé,
de voir ce succès inespéré de la pression de l'opinion publique
être le début de nombreuses conquêtes du même genre dans le
Royaume-Uni où il est vraiment scandaleux de voir, tous les
dimanches, les Gin Palaces accessibles aux travailleurs qui y
dissipent, en quelques heures de honteuse ivresse, la plus large
part, si ce n'est la totalité de leur salaire de la semaine, tandis
que les Musées et toutes les Institutions artistiques et scienti-
fiques de cette nature qui aident si puissamment aux progrès de
l'éducation populaire, restent impitoyablement portes closes.
Nous avons dit aussi les efforts de la Sunday Society qui pour-
suit en Angleterre, avec une ténacité toute britannique, une
campagne moralisatrice contre ce préjugé absurde, dont elle
finira par triompher.
Nous sommes heureux d'apprendre qu'en dépit d'une
sérieuse opposition la direction du Musée philadelphien a décidé
d'admettre le public le dimanche ; cette résolution si équitable
et si utile a obtenu le plus complet succès, et ce progrès si
désirable et si désiré a obtenu gain de cause définitif.
GUIDE RAISONNÉ DE L'AMATEUR ET DU CURIEUX
i
Rien jusqu'ici, pas la moindre vente sérieuse à signaler chez
MM. Christie, Manson et Woods, les grands Auctioneers de
Londres. Absence non moins absolue d'affaires importantes à
l'hôtel Drouot, où on n'annonce encore rien de bien attractif
pour la saison qui s'ouvre. Deux petites exceptions cependant,
l'une rétrospective, l'autre pour un prochain avenir. M0 Guer-
reau a procédé le 16 décembre dernier —-assisté de deux ex-
perts : M. Charles Mannheim, pour les marbres et bronzes, et
M. Féral, pour les tableaux et dessins — à la vente après décès
de M. Pajou, de Bustes en marbre, bronzes, terres cuites,
tableaux, pastels et dessins, parmi lesquels figuraient des oeuvres
de l'illustre sculpteur dont le défunt était l'un des descendants.
« N° 1. Buste de Le Moyne, célèbre sculpteur, par Pajou,
1759. Grandeur nature. On lit sur le socle :
Tu vois ici le Moyne, on connaît son ciseau.
Nul n'enseigna son art avec plus d'éloquence.
L'Amitié, la Nature et la Reconnaissance
Ont, avec la Vertu, pleuré sur son tombeau.
Par M. Dncis, de l'Académie française.
Pajou a rendu les traits fort peu séduisants de Le Moyne,
de manière à en faire une œuvre qui vous fascine; c'est de la
sculpture pleine de flamme, prodigieusement vivante, mouve-
mentée comme l'était évidemment le modèle, et d'une science
accomplie.
Cet admirable marbre a été adjugé à fi, 100 francs seule-
ment; sa place était au Louvre, absolument comme le beau
Buste de Pajou par Rolland, N" 2, adjugé à 6,500 francs.
Ni l'un ni l'autre n'a été acquis par le Musée dont le maigre
budget, hélas ! était épuisé. M. Barbet de Jouy a dû se borner
à assister à la vente en simple spectateur, et en a cruellement
souffert, car, mieux que personne, il comprenait que la grande
collection nationale était aux yeux de tous l'acquéreur-né de
ces deux portraits d'un si vif intérêt pour l'histoire de l'art
français et pour l'instruction des artistes. Que n'a-t-il eu l'heu-
reuse inspiration de s'adresser à M. Mannheim! Avec un expert
tel que lui, nous savons quelle eût été la réponse. Il eût immé-
diatement acheté les deux bustes pour le Louvre et eût avancé
les fonds sans consentir à recevoir la moindre rémunération de
ce patriotique service, jusqu'à ce que le Musée eût été en situa-
tion de le rembourser.
Il nous est douloureux d'avoir à constater qu'aucun ama-
teur n'a songé à se donner ces deux œuvres magistrales ; elles
ont été adjugées à des marchands qui ont fait preuve dégoût.
« N° 5. Statuette de Psyché, par Pajou. Terre cuite signée
par le citoyen Pajou : l'an V de la République française, l'an
rj()6, vieux style. » Adjugé à 565 francs.
On a aussi vendu à Drouot la Collection Duclos au sujet de
laquelle on avait fait quelque bruit, — much ado about nothing.
Nous ne mentionnerions même pas cet événement négatif si le
vrai morceau de résistance de cette vente n'y avait brillé par
son absence, à la suite d'une saisie pratiquée au palais du Troca-
déro où cette fort belle toile a figuré parmi les portraits histo-
riques. Il s'agit du portrait dit de M. de Julienne par Watteau.
Que ce soit ou non M. de Julienne, ce n'en est pas moins un
superbe portrait. Mais qu'il soit de Watteau, jamais. Pas un
expert qui se respecte n'oserait signer pareille attribution abso-
lument fantaisiste. C'est un Lancret et un merveilleux Lancret.
Le 6 février prochain, M. Charles Pillet, assisté de
M. George, expert, vendra la collection de tableaux de feu
M. Lenglart, de Lille; il y a là un tableau qui domine tous les
autres, et de très-haut; c'est un Paul Potter que nous ne sau-
rions trop vivement recommander aux vrais connaisseurs. Le
Coup de Vent que M. Léon Gaucherel a supérieurement inter-
prété, et qui est signé en toutes lettres, à gauche dans le haut :
Paulus Potter, et daté 1646, est un tableau d'un intérêt excep-
tionnel et d'un mérite non moins exceptionnel dans l'œuvre du
maître. Potter, dont la carrière fut si courte, s"est surtout com-
plu à la représentation des calmes prairies sans fin de la Hol-
lande, et chez lui l'animalier domine presque invariablement le
paysagiste qui semble prendre plaisir à s'effacer discrètement.
Cette fois l'artiste a tenu à se révéler grand paysagiste et il y a
merveilleusement réussi dans ce petit panneau en hauteur de
om 30 sur o"1 24, où l'homme et les animaux — toute une ribam-
belle de pourceaux — tiennent si admirablement leur place que la
composition serait boiteuse sans leur présence. Ils ne constituent
pourtant pas une note dominante, mais ils font partie insépa-
rable d'un tout qui, sans le désordre même de leurs attitudes,
n'aurait point sa valeur complète; ils aident tout particulière-
ment à faire comprendre le déchaînement des éléments, l'appro-
che de l'orage qui ont inspiré l'artiste avec un rare bonheur.
Jamais son faire, auquel on peut reprocher d'être parfois épinglé,
ne s'est montré ni plus charmant ni aussi large. Quant au des-
sin, c'est la perfection même. Ce tableautin vaut son pesant
d'or. Se vendra-t-il ce qu'il vaut? Ceci est une tout autre ques-
tion. Ce bulletin des ventes publiques n'a d'autre mission que
de dire la vérité vraie. Nous ne voudrions donc pas jurer que ce
Paul Potter fera florès auprès des amateurs qui n'ont pas acheté
les bustes de Pajou et de Rolland t parce que ce ne sont pas
des portraits de jolies femmes «. L'art n'a rien à voir avec de
pareils raisonnements, et ceux qui les tiennent seraient bien
surpris si on leur disait que les pourceaux du grand Paulus
Potter sont bien autrement morceau de fin connaisseur que la
plupart des « portraits de jolies femmes » dont ils ornent leurs
collections.