BONINGTON
ET
LES COTES NORMANDES DE SAINT-JOUIN
k
a route d'Étretat au Havre traverse
un paysage bien différent de celui que
la Normandie a coutume de présenter.
Le magnifique manteau de végétation
luxuriante qui, jeté avec ampleur sur
toute la province depuis les rives de la
basse Seine jusqu'aux extrémités du
Cotentin, étale à l'infini sa succession
de vergers, de moissons et de pâturages,
s'arrête tout à coup avant d'atteindre
la côte, comme s'il craignait de ternir le lustre de son étoile
au contact de la marée. Le vêtement du sol est ici plus
modeste et plus rude. Sur ce plateau battu des vents ,
tourmenté par des mouvements de terrain capricieux, mais
qui n'altèrent pas sensiblement l'aspect général de ses
lignes, s'étendent un peu au hasard et comme accordées
par grâce quelques maigres cultures, quelques dépaissances
courtes et desséchées, quelques lisières de bois chétif. Des
Lettre composte p« Gtiiud. habitations clairsemées et basses, sentinelles avancées de la
Dessin de Scott, gravure de Lcveillc. . ,
conquête du paysan sur ce terrain tant soit peu rebelle, se
dressent çà et là aux endroits les plus favorisés, avec toutes les allures d'une prudence
soupçonneuse, se faisant petites contre la tempête à venir, et cherchant à se défendre des rafales
de la mer par une ceinture d'arbres qui leur sert de rempart et de retraite, champions dévoués
et solides, mais horriblement maltraités des ouragans qui ont courbé violemment leur échine,
détruit l'ordonnance de leur ramure, et ne leur permettant pas de pousser contre leur souffle ont
rabattu leurs branches sur le toit qu'ils protègent dans des attitudes désespérées.
Sous ces aspects un peu mélancoliques, mais d'un charme intime et pénétrant, le plateau
s'étend jusqu'à la côte où il s'arrête subitement sur la tranche d'une falaise de cinquante pieds.
De là on voit la haute mer s'étendre à l'infini. La lame se roule sur une plage étroite et court
se briser tantôt contre un mur naturel qu'elle a creusé légèrement et qui surplombe, tantôt contre
un entassement de rochers groupés en masses confuses et bizarres, ou semés tout le long de la
côte, profilant çà et là leurs silhouettes étranges, et se rattachant par une série d'échelons, de
saillies imprévues , de dentelures fantaisistes, à la grande crevasse d'où ils sont tous sortis.
Cette ceinture de rochers ne rend point la plage d'un accès facile ; on est obligé pour
la joindre de se glisser par des sentiers à peine indiqués, entaillés dans la pente raide, perdus
derrière chaque obstacle, balayés par tous les vents, ravinés par toutes les pluies, comblés de
nouveau par tous les débris de pierres qui pleuvent des cimes ; véritables chemins de chèvres,
de malfaiteurs et de contrebandiers, bien faits pour exercer la vigilance des gardes-côtes et pour
complaire aux touristes en quête de pittoresques émotions.
ET
LES COTES NORMANDES DE SAINT-JOUIN
k
a route d'Étretat au Havre traverse
un paysage bien différent de celui que
la Normandie a coutume de présenter.
Le magnifique manteau de végétation
luxuriante qui, jeté avec ampleur sur
toute la province depuis les rives de la
basse Seine jusqu'aux extrémités du
Cotentin, étale à l'infini sa succession
de vergers, de moissons et de pâturages,
s'arrête tout à coup avant d'atteindre
la côte, comme s'il craignait de ternir le lustre de son étoile
au contact de la marée. Le vêtement du sol est ici plus
modeste et plus rude. Sur ce plateau battu des vents ,
tourmenté par des mouvements de terrain capricieux, mais
qui n'altèrent pas sensiblement l'aspect général de ses
lignes, s'étendent un peu au hasard et comme accordées
par grâce quelques maigres cultures, quelques dépaissances
courtes et desséchées, quelques lisières de bois chétif. Des
Lettre composte p« Gtiiud. habitations clairsemées et basses, sentinelles avancées de la
Dessin de Scott, gravure de Lcveillc. . ,
conquête du paysan sur ce terrain tant soit peu rebelle, se
dressent çà et là aux endroits les plus favorisés, avec toutes les allures d'une prudence
soupçonneuse, se faisant petites contre la tempête à venir, et cherchant à se défendre des rafales
de la mer par une ceinture d'arbres qui leur sert de rempart et de retraite, champions dévoués
et solides, mais horriblement maltraités des ouragans qui ont courbé violemment leur échine,
détruit l'ordonnance de leur ramure, et ne leur permettant pas de pousser contre leur souffle ont
rabattu leurs branches sur le toit qu'ils protègent dans des attitudes désespérées.
Sous ces aspects un peu mélancoliques, mais d'un charme intime et pénétrant, le plateau
s'étend jusqu'à la côte où il s'arrête subitement sur la tranche d'une falaise de cinquante pieds.
De là on voit la haute mer s'étendre à l'infini. La lame se roule sur une plage étroite et court
se briser tantôt contre un mur naturel qu'elle a creusé légèrement et qui surplombe, tantôt contre
un entassement de rochers groupés en masses confuses et bizarres, ou semés tout le long de la
côte, profilant çà et là leurs silhouettes étranges, et se rattachant par une série d'échelons, de
saillies imprévues , de dentelures fantaisistes, à la grande crevasse d'où ils sont tous sortis.
Cette ceinture de rochers ne rend point la plage d'un accès facile ; on est obligé pour
la joindre de se glisser par des sentiers à peine indiqués, entaillés dans la pente raide, perdus
derrière chaque obstacle, balayés par tous les vents, ravinés par toutes les pluies, comblés de
nouveau par tous les débris de pierres qui pleuvent des cimes ; véritables chemins de chèvres,
de malfaiteurs et de contrebandiers, bien faits pour exercer la vigilance des gardes-côtes et pour
complaire aux touristes en quête de pittoresques émotions.