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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 5.1879 (Teil 4)

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Yriarte, Charles: Françoise de Rimini dans la légende, l'art et l'histoire, [2]: D'après les documents de la Gambalunga de Rimini et les pièces produites par feu M. Tonini.
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https://doi.org/10.11588/diglit.17802#0052

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FRANÇOISE DE RIMINI

dans la legende, l'art et l histoire

D'après les documents de la Gambalunga de Rimini et les pièces produites par feu M. Tonini.

(suite.)

Voici les origines nettement établies; le fait du meurtre sera
prouvé au courant de l'enquête, regardons-le comme prouvé et
voyons comment les témoignages, sinon contemporains, au moins
les plus rapprochés de l'époque, l'envisagent et le jugent. Quelle
opinion se faisait-on alors de ce meurtre dans la région où il
s'était accompli ? Comment Dante avait-il été amené à s'en
emparer? Est-ce seulement au nom de son droit de poète?
Voulait-i! accoler une épithète sanglante au nom d'un chef
guelfe ? Quels liens particuliers l'unissaient à la victime ou à
sa famille ?

Si les faits sont positifs et les circonstances réelles, il y a là
légitime défense et constatation d'un crime où nos lois modernes
elles-mêmes ne trouveraient pas les éléments d'une flétrissure
pour le meurtrier. « Tue-la ! » a dit un auteur dramatique
célèbre, le Sciancato n'a pas hésité, et du même coup il a fait
Jeux victimes. Mais, en voyant l'auteur de la Divine Comédie
supprimer du récit toute circonstance aggravante, on serait
tenté de ne voir que des victimes pitoyables là où la première
généalogie venue nous montre deux coupables que tout devait
arrêter sur la pente où les entraînait un amour criminel.

Dante est un contemporain; né à Florence, en 1265, il
avait dix ans le jour du mariage de Francesca, et quand, plein
de fureur, Malatesta frappa les deux amants , le poète était un
homme et il chantait déjà. Comment ce grand cœur si accessible
à l'amour, comment cette âme haute, éprise d'une passion
immortelle, seraient-ils restés insensibles à l'émotion que lit
naître une telle aventure ? Dante n'avait-il pas été pour ainsi
dire le témoin du meurtre; il avait des amis à Pesaro, à Forli,
à Ravenne, à Rimini; en 1282, il avait pu connaître à Florence
l'une des victimes, Paolo Malatesta, Capitaine du peuple et Con-
servateur de la paix de la commune. Une circonstance beau-
coup plus intime de sa vie devait lui rendre chère la mémoire
de la seconde. Après avoir, comme tous les Italiens de son temps,
versé des larmes au récit du meurtre de Francesca transmis de
ville en ville par la voix publique et devenu en peu de temps
une touchante et populaire légende, le poète, l'ambassadeur,
le soldat, vaincu, chassé de sa patrie en 1 ;o2 , le cœur brisé de
douleur, était venu à Ravenne manger le pain de l'exil dans la
patrie de Francesca.— Que dis-je dans sa patrie; dans la propre
maison où elle était née, au foyer même de Guido da Polenta,
seigneur du lieu, poète comme lui, grand guerrier, fils d'Ostasio,
et petit-fils de Guido il Minore, père de la victime de Malatesta.

Ce n'étaient ni le hasard ni un élan spontané du prince poète
qui avaient appelé Dante à Ravenne ; c'était la seconde fois
déjà que le chantre de la Divine Comédie venait dans la ville de
Théodoric, et, plus près de la source, il avait pu recueillir tous
les bruits relatifs au drame sinistre. Pour preuve irrécusable
de ses relations déjà anciennes avec les Polenta , on n'a qu'à
lire, en tête de la Can^one sur la mort de Henri VII, la dédicace
du poète à Guido Novello.

On a avancé parfois qu'en écrivant l'épisode de Francesca
et Paolo Dante payait la dette de l'hospitalité; en comparant
les dates on verra qu'au contraire c'est le seigneur de Polenta
qui prouve toute sa reconnaissance envers le Dante en lui don-
nant un appui, qui ne s'est jamais démenti, et qui reste un hom-
mage pour sa mémoire et pour la ville de Ravenne.

On ne conteste point que la Divine Comédie, et surtout les
premiers chants, l'Enfer, aient été écrits à Rome vers le mois
d'avril 1300. Dante était ambassadeur de la République de Flo-
rence, au moment où Boniface VIII ordonna le premier jubile:
là, dans un recueillement religieux, il écrit les premiers chants
de l'Enfer, et par conséquent le cinquième, celui qui contient le
touchant épisode. Nous sommes déjà plus près du fait histo-
rique. Quinze années à peine nous en séparent, et quinze ans
sont bien peu de chose pour la vie d'une légende qui va devenir
immortelle.

Dante, exilé depuis l'année r}02, (c'est la date adoptée par
Villani), erre dans les Romagnes ; ce n'est qu'en 1517 qu'il
accepte l'hospitalité de Guido Novello; il séjourne à sa cour
jusqu'au jour de sa mort, le 14 septembre 1521. Il n'avait plus
de patrie, car, lui aussi, il avait fait le Grand Refus, dans cette
lettre admirable où, aussi grand citoyen que grand poète, il
s'indigne à la seule pensée de se courber pour passer sous une
porte basse en rentrant dans Florence. L'hospitalité otlerte
était à la fois l'hommage d'un fils pieux et le tribut d'un poète
au plus illustre des poètes de son temps. Couvrant du manteau
de la poésie la fragilité de l'aïeule des Polenta, Dante, par le
privilège du génie, avait fait une touchante victime d'une épouse
infidèle ; cette âme tière et susceptible avait pu sans remords s'as-
seoir au foyer du petit-fils de Francesca. Aussi, le jour où mourut
le poète, Guido voulut-il lui rendre les derniers honneurs : il le fit
porter à Saint-Pierre Majeur (plus tard San Francesco) sur les
épaules des premiers citoyens de Ravenne: il ordonna un deuil
public, lut une oraison funèbre qu'il avait composée où il le
loua hautement d'avoir substitué dans ses chants la langue ita-
lienne à la langue latine.Là, devant tout Ravenne, le prince déposa
sur la tombe le laurier des poètes, et il allait élever au Dante
un tombeau digne de sa mémoire, quand les troubles politiques
['éloignèrent de la Seigneurie. Il était réservé au Bembo, préteur
de Ravenne pour les Vénitiens et père du fameux cardinal, de
donner un abri définitif aux restes du poète en demandant le
dessin de son mausolée à l'un des plus grands artistes du xv" siè-
cle à Venise, le fameux Pietro Lombardi. Nous reproduisons
ici la vue extérieure du monument et le sarcophage sculpté par
le Lombardi.

Nous sentons désormais le lien entre les victimes et le poète ;
pesons maintenant la valeur des témoignages qui peuvent nous
aider à retrouver la vérité historique sous la poétique légende.

C'est encore la nuit de l'histoire, et, si l'on n'est pas jusqu'ici
parvenu à savoir, à n'en pas douter, la vérité sur les grands
faits de cette période, comment pourra-t-on sérieusement se
vanter d'avoir restitué une scène épisodique qui a pour théâtre
une petite ville des bords de l'Adriatique à la fin du xme siècle ?

Avant d'interroger les historiens nationaux, il faut recourir
aux chroniqueurs du temps, ou, à leur défaut, aux premiers com-
mentateurs qui, dès que la Divine Comédie se répandit en Italie,
tentèrent d'en expliquer le texte. Les premiers en date sont les
propres fils du Dante, Pietro Alighieri et Jacopo. Dix ans après
la mort de son père, Jacopo avait cru qu'il devait à cette grande
mémoire de finir le Paradis, incroyable profanation dont la pen-
sée a pourtant quelque chose de touchant et de naïf; il renonça à
sa tâche et se borna plus tard à rédiger un commentaire en

1. Voir l'Art, $• année, tome IV, page ij.

Tome XIX.

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