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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 6.1880 (Teil 1)

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Montrosier, Eugène: Art dramatique, [2]: Daniel Rochat, par M. Victorien Sardou$nElektronische Ressource
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https://doi.org/10.11588/diglit.18607#0238

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ART DRAMATIQUE

DANIEL ROCHAT, par M. Victorien Sardou.

Daniel Rochat, que la Comédie française vient déjouer, a été
quelque peu cahoté le premier soir et les jours qui ont suivi. Le
public, en présence d'une œuvre qui repose sur une abstraction
plutôt que sur une idée dramatique, s'est trouvé désorienté, sur-
tout quand il a vu que l'auteur lui-même ne se sentait pas de force
à conclure. Car le divorce qui sert de péripétie à cette comédie
n'est pas une solution; à peine est-ce un dénouement.

Certes, dans la tentative de M. Victorien Sardou, on pour-
rait relever bien des faiblesses, mais la plus criante, à notre
sens, celle qui, tout d'abord, ferait crouler la pièce la mieux
charpentée, la plus habilement conduite, c'est celle que nous
allons signaler en indiquant rapidement le point de départ et le
point d'arrivée de Daniel Rochat.

Ce Daniel Rochat, député français, leader de la gauche,
disciple de la libre-pensée, ennemi des préjugés et des supers-
titions, toujours en guerre contre « l'infâme » , nous est
présenté comme un homme d'une intelligence peu ordinaire,
d'une conviction invulnérable. Les hasards d'un repos largement
conquis, d'une échappée buissonnière en Suisse, le font le com-
pagnon de route de trois Américaines distinguées, libérales,
accessibles aux beaux mouvements de l'âme et aux grands en-
thousiasmes de la nature. Il s'agit de mistress Pauwers et de ses
nièces, miss Esther et miss Léa Henderson. Son esprit, sa belle
humeur, son amour de l'humanité les ont conquises sans qu'il
ait eu à déchirer le voile d'incognito dont il a su se couvrir. Le
Centenaire de Voltaire est célébré à Ferney, et dans un discours
qu'il y prononce, non seulement il gagne la cause de Voltaire,
mais encore la sienne propre auprès de miss Léa qui l'admire
et qui, tout de suite, à l'américaine, lui accorde sa main.
Le mariage sera purement civil, pense Daniel, puisque sa
future paraît n'attacher aucune importance aux manifestations
d'un culte religieux quelconque. Ici nous nous permettrons de
faire remarquer que si l'auteur avait voulu s'occuper un peu de
la vraisemblance, des règles ordinaires de la vie, des usages pra-
tiqués chez tous les peuples civilisés, l'erreur de son héros n'au-
rait pu se produire; car, en bonne conscience, comment
admettre qu'à la veille de se marier, Daniel et Léa ne sachent,
ni l'un ni l'autre, quelle valeur ils attachent l'un et l'autre
aux cérémonies religieuses qui accompagnent d'ordinaire le
mariage. Il est inadmissible que, précisément à cause des
préventions de Daniel, il n'ait pas cru devoir y faire allusion.
Le contraire serait le fait d'un indifférent ou d'un étourneau.
Eh bien, c'est ce qui se produit pourtant. On marie civilement
Daniel et Léa, un peu à la diable, au milieu du brouhaha des
conversations, et pendant qu'une écervelée taquine le piano et
fredonne un air havanais. Pas une cérémonie, à peine une for-
malité. Daniel est ravi. Il sauvegarde ses idées de libre-penseur,
donne satisfaction à ses amis politiques et consolide du même
coup sa popularité, un peu ébranlée. Hélas! pour Daniel, la
roche Tarpéienne confine au Capitole. Celle qui est sa femme
devant la loi lui manifeste son intention formelle, sa volonté
irrévocable de l'être devant son Dieu, non le Dieu des catho-
liques, mais le Dieu des protestants. Daniel procède d'abord par
la douceur, se fait persuasif, tendre, aimant, soumis, prêt à tout
sacrifier en cachette pour gagner sa femme, celle que son cœur
a choisie et que la loi lui a donnée. Vaines faiblesses, inutiles
compromissions ! C'est au grand soleil, devant la foule as-
semblée que Léa, vierge biblique, veut conduire son esclave à
l'autel sacré. La lutte religieuse dure ainsi trois actes, toujours

finissant, toujours recommençant, montrant Daniel prêt à céder
et Léa implacable, jusqu'à l'heure où tous deux, écœurés par
une lutte aussi mal engagée, ne trouvent d'autre issue à cette
situation, que de signer l'acte qui les désunit. En vingt-quatre
heures, ils se sont avoué leur flamme, l'ont consacrée devant un
magistrat et l'ont éteinte devant un autre.

Telle est, dégagée des particularités qui l'enveloppent, la
pièce de M. Victorien Sardou : lutte de la libre-pensée et de la
foi religieuse, avec des chances égales pour chaque combattant,
des alternatives diverses pour chaque adversaire, des blessures
inguérissables pour chaque intéressé.

Mais la solution, la morale, la péripétie suprême qui doit
clôturer ce drame, joué entre deux êtres intelligents, qui doit
montrer les douleurs tragiques de ces deux cœurs que la conven-
tion, prise dans les deux sens, terrasse et foudroie, nous la
cherchons vainement. Il manque au drame que ce qui pouvait
en faire un drame, la passion.

Il est toujours dangereux de faire de la scène une tribune ;
il est encore plus difficile d'en faire une chaire à prêcher. Au
théâtre, il ne faut ni discussions, ni controverses, sans quoi l'au-
teur s'expose à la déconvenue qui est venue atteindre M. Victo-
rien Sardou. Remuer les passions actuelles, soulever des
polémiques, froisser des convictions, ridiculiser des choses res-
pectables, n'est pas du domaine du satirique, sinon il fait œuvre
de pamphlétaire ; et, dans ce dernier cas, il s'expose à de justes
représailles. C'est ce qui est arrivé à M. Victorien Sardou, que
son beau talent et le souvenir de ses justes succès n'ont pu sauver.
Il périt par l'épée dont il a voulu frapper ses adversaires.

Cependant, que d'habiletés dans certaines parties de sa pièce !
Que de types charmants finement esquissés ! Quelle allure amu-
sante, quel entrain, quel diable au corps ! Et des mots à foison!
Ah ! prodigue ! que n'avez-vous fait des économies sur vos feux
d'artifice pour échauffer un peu vos héros ! Des discoureurs, des
subtils, des quintessenciés qui, à la belle heure du berger, s'amu-
sent à des arguties de concile. Quelle invraisemblance !

Ce qui, somme toute, a atténué la déroute du premier soir,
c'est le talent des artistes, leur courage superbe, l'énergie avec
laquelle ils ont défendu les points menacés, pied à pied. Même
après le baisser du rideau, Delaunay. qu'une salle chargée de
tempête acclamait, assourdissait de vivats, a dû faire une der-
nière charge pour lancer dans la mêlée de protestations, d'invec-
tives ou d'admirations surexcitées, le nom de l'auteur dont il
venait de sauver le drapeau.

Mile Bartet a été, elle aussi, une grande artiste : une
étoile se lève à l'horizon du Théâtre-Français. Febvre est un
Philinte de belle tournure et de sincère persuasion. Thiron joue
Bidache avec son talent fini et profond. M. Baillet est un inutile
qui jouera les Porel, rue Richelieu. Mllcs Baretta, Samary
sont la grâce et le sourire de cette comédie traversée de nuages.
Delaroche mérite aussi de grands éloges, ainsi que MIle Jouassin.

La mise en scène est très soignée, comme tout ce qui se
fait dans le théâtre que dirige M. Perrin.

Le décor du premier acte représente le salon de Voltaire à
Ferney.

Salon de campagne à boiseries peintes en vert clair. A droite,
un poêle monumental en faïence, rehaussé d'un buste du « pa-
triarche », protégé par un voile de gaze ; à gauche, des couronnes
avec des rubans aux trois couleurs. Décor fidèlement traité et
comme imprégné d'une sorte d'humidité qui a assombri les cou-
 
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