i7o L'ART.
—■ J'veux-t-êt' artisse ! J'veux faire comme Armand! Dailly ne sortait pas de là. J'ignore ce que
M. le directeur de l'Imprimerie Impériale, MM. Renou et Maulde, Simon Raçon et Morris
opposèrent tour à tour à cette énergique profession de foi, mais s'ils ne renvoyèrent pas Dailly
ou le typo malgré lui, du moins ils ne le retinrent pas et le laissèrent aller à son école boule-
vardière. Un jour à noter d'une pierre blanche, la Société des typographes ayant organisé une
représentation au profit de sa caisse de secours et annoncé le Charlatanisme et l'Argent du Diable,
Dailly coula son nom dans le programme et monta sur la scène aux yeux émerveillés des cama-
rades. Mieux encore! En ce temps-là, il y avait, passage du Saumon, un certain Théâtre-Molière,
dirigé par Duquesnois, et servant aux exercices des amateurs qui payaient la location de la salle
à l'aide de combinaisons ingénieuses. Dailly alla porter à Duquesnois le fruit de ses économies,
qui s'élevaient au chiffre exorbitant de trente francs, et acheta la faveur de fasciner, dans Un
Monsieur tout seul, d'E. Pottier, un auditoire au milieu duquel trônaient trente apprentis typo-
graphes recrutés pour la circonstance : Duquesnois avait remboursé Dailly en billets. La soirée
fut bonne, et la digne Mme Duquesnois, au comble de l'enthousiasme, n'hésita pas à prononcer ces
paroles mémorables : « Monsieur Grassot est mort, mais vous le remplacerez. » Le compliment
valait bien trente francs.
Vers 1860, la conscription militaire prit Dailly qui, forcé de rompre avec les Duquesnois,
alla rejoindre dans l'infanterie de marine à Cherbourg. Les enfants de Paris sont meilleurs soldats
en temps de guerre qu'en temps de paix, et, malgré la bravoure qu'il déploya (devant les infirmiers!)
le fusilier Dailly fut réformé pour faiblesse de complexion, détail qui fera sourire tous les
spectateurs de 1882 habitués au Dailly d'à présent, à cette poularde bardée de lard qui débite
des gaudrioles. Revenu à Paris, la tête invinciblement tournée vers la comédie, il alla se proposer
à Eugène Déjazet, directeur du théâtre de ce nom, qui l'accepta comme figurant aux appointements
de trente francs par mois. C'était en 1861. On jouait les Chants de Béranger, avec Virginie
Déjazet. Le rôle par lequel Dailly débuta n'était pas moins exigu que son traitement et se
composait strictement des mots : « Voilà ! Voilà ! », qu'il criait dans la coulisse sur un appel pressant
•de la fameuse actrice; mais il trouva le moyen de les prononcer si drôlement, de se produire en
scène avec une mine si gouailleuse de gamin de Paris, que le directeur jugea prudent de se
l'attacher par les liens de la reconnaissance et l'augmenta séance tenante de dix francs par mois.
La seconde année il eut cinquante francs ; puis, soixante francs la troisième, soixante-dix francs
la quatrième et quatre-vingts francs la cinquième. La sixième il manifesta de légitimes exigences :
Déjazet alla jusqu'à cent vingt-cinq francs. Enfin en 186g, après huit années d'un service assidu
dans ce théâtre, il émargeait deux cent vingt-cinq francs par mois. Si j'ai insisté sur cette
gradation des chiffres, c'est pour les laisser à la méditation des jeunes gens qui se plaignent de
l'ingratitude des temps et pour montrer à quelle somme de vache enragée on peut évaluer le
commencement d'une carrière. Pour joindre les deux bouts, avant les répétitions et parfois après
les représentations, il allait donner un coup de main aux typos de l'imprimerie Morris, flattés de
lever la lettre en compagnie d'un ancien dont la gloire naissait. Car Dailly se formait peu à peu,
cherchant sa voie à travers les rôles grands et petits d'une foule de vaudevilles, de revues, de
parodies pour la plupart oubliés aujourd'hui. La nomenclature en est curieuse : elle raconte à
la fois et l'histoire de Dailly et celle de son premier théâtre.
En 1861, voici, outre les Chants de Béranger, les^ Chevaliers du Pince-ne\ où il fait un
garçon de café, Che\ Bonvalet, et A bas les revues.
En 1862 : Un franc cinquante le kilo, Pharamond II, les Marrons du feu, les Mystères
de l'été.
En 1863, Égarements de deux billets de banque, En ballon, Sous les toits, les Pantins éternels,
Trois Hommes à jupons, la Rosière de quarante ans, Une Montre pour la soif, Crockett et ses
lions, les Prés Saint-Gervais.
En 1864, l'Argent et l'Amour, Monsieur Carat, les Enfants terribles, les Mémoires de
Cherche^ ça, le Petit Journal, le Décapité parlant, Un Mari empoisonné, le Dégel.
En 1865, les Souvenirs de jeunesse, Une Vie de polichinelle, Par un beau soleil, Paris en
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—■ J'veux-t-êt' artisse ! J'veux faire comme Armand! Dailly ne sortait pas de là. J'ignore ce que
M. le directeur de l'Imprimerie Impériale, MM. Renou et Maulde, Simon Raçon et Morris
opposèrent tour à tour à cette énergique profession de foi, mais s'ils ne renvoyèrent pas Dailly
ou le typo malgré lui, du moins ils ne le retinrent pas et le laissèrent aller à son école boule-
vardière. Un jour à noter d'une pierre blanche, la Société des typographes ayant organisé une
représentation au profit de sa caisse de secours et annoncé le Charlatanisme et l'Argent du Diable,
Dailly coula son nom dans le programme et monta sur la scène aux yeux émerveillés des cama-
rades. Mieux encore! En ce temps-là, il y avait, passage du Saumon, un certain Théâtre-Molière,
dirigé par Duquesnois, et servant aux exercices des amateurs qui payaient la location de la salle
à l'aide de combinaisons ingénieuses. Dailly alla porter à Duquesnois le fruit de ses économies,
qui s'élevaient au chiffre exorbitant de trente francs, et acheta la faveur de fasciner, dans Un
Monsieur tout seul, d'E. Pottier, un auditoire au milieu duquel trônaient trente apprentis typo-
graphes recrutés pour la circonstance : Duquesnois avait remboursé Dailly en billets. La soirée
fut bonne, et la digne Mme Duquesnois, au comble de l'enthousiasme, n'hésita pas à prononcer ces
paroles mémorables : « Monsieur Grassot est mort, mais vous le remplacerez. » Le compliment
valait bien trente francs.
Vers 1860, la conscription militaire prit Dailly qui, forcé de rompre avec les Duquesnois,
alla rejoindre dans l'infanterie de marine à Cherbourg. Les enfants de Paris sont meilleurs soldats
en temps de guerre qu'en temps de paix, et, malgré la bravoure qu'il déploya (devant les infirmiers!)
le fusilier Dailly fut réformé pour faiblesse de complexion, détail qui fera sourire tous les
spectateurs de 1882 habitués au Dailly d'à présent, à cette poularde bardée de lard qui débite
des gaudrioles. Revenu à Paris, la tête invinciblement tournée vers la comédie, il alla se proposer
à Eugène Déjazet, directeur du théâtre de ce nom, qui l'accepta comme figurant aux appointements
de trente francs par mois. C'était en 1861. On jouait les Chants de Béranger, avec Virginie
Déjazet. Le rôle par lequel Dailly débuta n'était pas moins exigu que son traitement et se
composait strictement des mots : « Voilà ! Voilà ! », qu'il criait dans la coulisse sur un appel pressant
•de la fameuse actrice; mais il trouva le moyen de les prononcer si drôlement, de se produire en
scène avec une mine si gouailleuse de gamin de Paris, que le directeur jugea prudent de se
l'attacher par les liens de la reconnaissance et l'augmenta séance tenante de dix francs par mois.
La seconde année il eut cinquante francs ; puis, soixante francs la troisième, soixante-dix francs
la quatrième et quatre-vingts francs la cinquième. La sixième il manifesta de légitimes exigences :
Déjazet alla jusqu'à cent vingt-cinq francs. Enfin en 186g, après huit années d'un service assidu
dans ce théâtre, il émargeait deux cent vingt-cinq francs par mois. Si j'ai insisté sur cette
gradation des chiffres, c'est pour les laisser à la méditation des jeunes gens qui se plaignent de
l'ingratitude des temps et pour montrer à quelle somme de vache enragée on peut évaluer le
commencement d'une carrière. Pour joindre les deux bouts, avant les répétitions et parfois après
les représentations, il allait donner un coup de main aux typos de l'imprimerie Morris, flattés de
lever la lettre en compagnie d'un ancien dont la gloire naissait. Car Dailly se formait peu à peu,
cherchant sa voie à travers les rôles grands et petits d'une foule de vaudevilles, de revues, de
parodies pour la plupart oubliés aujourd'hui. La nomenclature en est curieuse : elle raconte à
la fois et l'histoire de Dailly et celle de son premier théâtre.
En 1861, voici, outre les Chants de Béranger, les^ Chevaliers du Pince-ne\ où il fait un
garçon de café, Che\ Bonvalet, et A bas les revues.
En 1862 : Un franc cinquante le kilo, Pharamond II, les Marrons du feu, les Mystères
de l'été.
En 1863, Égarements de deux billets de banque, En ballon, Sous les toits, les Pantins éternels,
Trois Hommes à jupons, la Rosière de quarante ans, Une Montre pour la soif, Crockett et ses
lions, les Prés Saint-Gervais.
En 1864, l'Argent et l'Amour, Monsieur Carat, les Enfants terribles, les Mémoires de
Cherche^ ça, le Petit Journal, le Décapité parlant, Un Mari empoisonné, le Dégel.
En 1865, les Souvenirs de jeunesse, Une Vie de polichinelle, Par un beau soleil, Paris en
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