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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 13.1887 (Teil 1)

DOI Artikel:
Mairet, Jeanne: Paysanne: première partie, [1]
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PAYSANNE

PREMIÈRE PARTIE

Le jeune homme
alla s’installer
un peu loin de la maison, sur un
banc circulaire, cloué autour d’un
vieux chêne...

Depuis de
longs mois,
dans le pays, on appelait
Etienne Larcher le « Mon-
sieur peintre ». Son vrai
nom, prononcé fort ra-
rement, commençait à
sonner d’une façon
presque étrange à ses
propres oreilles. Il
avait voulu faire
peau neuve, oublier
son passé, oublier, s’il était
possible, sa personnalité,
oublier le monde, oublier
qu’une grande ville, sem-
blable à un monstre ac-
croupi, l’attendait toujours
comme une pâture qui lui
était due ; il semblait au
peintre qu’il y avait presque réussi. L’apaisement, l’oubli
— un oubli partiel au moins — lui était venu.

On avait fini de dîner. L’auberge, une espèce de ferme-
auberge où Etienne logeait, était silencieuse. Il n’y avait
guère de voyageurs dans ce coin perdu de la Touraine;
l’été, il y venait bien quelques pensionnaires, des peintres
surtout, épris de la beauté calme et tempérée du pays ;
mais l’été ne s’annonçait pas encore, et Etienne prenait
ses repas dans un coin de la salle à manger solitaire.

Comme il faisait très beau, le jeune homme alla s’ins-
taller un peu loin de la maison, sur un banc circulaire
cloué autour d’un vieux chêne; et, tout en fumant, il étu-
diait patiemment un effet de soir qui, depuis longtemps, le
tentait. Il voulait faire un tableau où il mettrait quelque
chose de cet effet d’apaisement qu’il bénissait, où il ferait
sentir que le jour avait été cruel, que les nuages avaient
assombri le ciel, que, pendant ce jour, les hommes avaient
peiné et souffert ; et, qu’après les nuages, après les angoisses,
la paix était venue ; après le bruit, le silence ; après la vie,
la mort — une mort très douce, presque pas triste : le
repos, l’anéantissement...

Seulement, de ce tableau-là il voulait faire un chef-
d’œuvre; aussi n’existait-il qu’en rêve. Il est plus aisé de
rêver des chefs-d’œuvre que d’en faire.

On était encore au petit printemps. Le village — le
hameau plutôt — de Grand’Croix se composait d’une tren-
taine de chaumières égrenées le long de la route. Il était

Tome XLII.

situé à une lieue environ d’Azay-le-Rideau, dans un pays
assez boisé, peu accidenté, gras, paisible ; un pays où la
vie est bonne, où les troupeaux viennent bien, où les
vaches se reposent à l’ombre d’arbres, tout ronds, poussant
magnifiquement au beau milieu des pâturages. Un pays
fait pour les paysagistes modernes qui demandent à la
nature surtout l’intimité, le charme discret des « petits
coins » ; qui savent faire d’un bout de champ, d’un sous
bois, d’un ruisseau ombragé, des tableaux exquis, des
paysages pleins de poésie qui parlent au cœur autant qu’ils
parlent aux yeux.

L’auberge du père Moyan se trouvait presque à l’extré-
mité du village; au delà, il n’y avait que la ferme Coul-
hard, la grande ferme du pays. On voyait la maison, du
banc où Etienne s’était assis ; une grande bâtisse aux larges
ailes; cette maison réclamait de fortes réparations que le
maître se souciait peu d’entreprendre. La maison, c’est
bon pour y manger, pour y dormir et, quand on a bien
peiné pendant la journée, ce n’est pas une goutte de pluie,
filtrant à travers le toit, qui peut gêner beaucoup... c’est
bon pour y laisser les femmes et les enfants, ceux-là y
poussent bien tout de même.

Le soleil avait disparu depuis quelque temps déjà,
mais il avait laissé derrière lui un embrasement d’or et de
pourpre qui s’effaçait lentement, lentement... Le ciel, très
bleu une heure auparavant, était verdâtre maintenant,
d’une tonalité très douce ; et, en regardant attentivement,
on voyait par-ci par-là des scintillements vagues qui
annonçaient les étoiles. Autour du peintre, les formes des
chaumières, des arbres, se dessinaient fortement, presque
en noir, contre le ciel encore clair ; seulement, du côté de
la ferme, les cerisiers, les pommiers, montraient tout un
joyeux épanouissement. Les arbres, à l’exception des bou-
leaux poudrés d’un vert blanchâtre, étaient encore nus ; il
n’y avait de gai, de jeune, de triomphant que ces gros
bouquets blancs ou rosés, qui annonçaient au monde que
les tristesses de l’hiver étaient finies, que l’année était
jeune et serait heureuse.

La dernière lueur du soleil couché s’effaçait tout à fait.
Le silence du soir n’était interrompu que par un lointain
mugissement de vache, par un aboiement, par le bruit
sourd d’un chariot sur la route. Les formes des choses se
dessinaient de plus en plus en masses noires ; les étoiles
se comptaient maintenant, et le peintre, absorbé, étudiait
avec amour cette lente prise de possession de la terre par
la nuit.

Et, quoiqu’il étudiât son « effet », quoique le peintre,
en lui, restât bien éveillé, son esprit, par un curieux
dédoublement, avait fait un grand détour, un grand saut
en arrière; et ce qu’il était venu oublier, Etienne, tout d’un
coup, le revit avec une netteté désespérante, avec une
angoisse indicible.

Cependant son histoire était fort simple, très banale.
Les choses banales ne le sont que pour les désintéressés;
une souffrance commune à beaucoup n’en est pas moins,
chaque fois qu’elle est éprouvée par un être nouveau, aussi
atroce qu’elle le fut pour le premier qui l’endura.

Étienne Larcher, fils de négociant, ne connut aucune
des luttes communes aux vocations artistiques nées, on ne
sait comment, derrière un comptoir. Ses parents moururent

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