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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 14.1888 (Teil 1)

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Lefranc, F.: Nos auteurs dramatiques, [1]: M. Victorien Sardou
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https://doi.org/10.11588/diglit.25872#0048

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L’ART.

et le trait, les rencontre rarement là où ils lui seraient utiles. J'en conclus qu'il n’a point d’âme,
il met clans son oeuvre toute son habileté, mais il ne s’y met point lui-même. C’est tout le secret
de son infériorité.

M. Sardou n’est point un novateur. 11 n’a renversé aucune idole et il s’est contenté de
marcher lestement sur des sentiers battus. Pour cette raison même, il n’aurait dû s’attirer ni
sympathies profondes ni haines vivaces; or, nul n’a été plus loué ni plus attaqué. On n'apprend
rien à personne quand on parle de sa conversation spirituelle et vive. C'est aussi, paraît-il, un
érudit et un antiquaire. Il sait tout et il a tout vu. Naguère il a bataillé, à propos des vitraux
de Théodora, et ne s’en est point tiré sans quelque meurtrissure. Le crayon a reproduit et la
plume a décrit vingt fois sa demeure de Marly. On n'ignore pas que cet homme qui, au théâtre,
n’a aucune horreur de la banalité, n’aime, chez lui, que les objets rares et d'un fini merveilleux.
Tandis que la Tosca poursuit triomphalement sa carrière à la Porte-Saint-Martin, une villa
s’élève, dit-on, à Nice, sous le ciel bleu, pour perpétuer ce succès. M. Sardou, et il a bien
raison, sait que le marbre résistera mieux au temps que son style. Racine ne prenait point cette
précaution-là et Athalie s’en est tirée toute seule. Chacun va à la postérité comme il peut, il
suffit qu’on y arrive. Les ennemis de M. Sardou, qui ne sont guère moins nombreux que ses
amis, ce que je regrette, lui reprochent surtout ses plagiats. Ils insinuent que si, par hasard, on
rencontre dans ses comédies une bonne scène, cette scène n’est pas de lui. Je suis très peu
touché de cette critique. Il me semble qu’il n’a rien pris d’excellent à personne. Ceux qui vien-
dront dans un siècle puiseront à pleines mains dans ses oeuvres. L'or seul ne se transporte point,
or, il n'en laissera pas. La matière dramatique, celle-là du moins qui n’est que vulgaire, appar-
tient à chacun et, comme les atomes, elle est en perpétuelle circulation, M. Sardou n’a rien
arrêté au passage. La critique ne lui a pas ménagé ses traits. 11 pourrait, comme Voltaire, la
montrer attachée à son flanc depuis le jour où il obtint son premier triomphe. Il est vrai qu'il a
riposté souvent et qu’il a mordu plus d'une fois ses censeurs et à belles dents. Il eût mieux valu
pour son repos qu’il se tût. La critique eût été moins amère, mais il n’a point excédé son droit.
Il a des nerfs et du sang et il faut, lui aussi, qu’il éclate. L’injustice le révolte quand il en est
la victime et toute critique est bien près de lui paraître injuste. L’adulation l’a gâté, comme elle
a gâté la plupart de nos contemporains. Elle lui a rendu toute piqûre insupportable. 11 se fie au
succès du jour; il se vante d’être joué à Paris et à Vienne, à Londres et à New-York. Il n’a
pas, ou je me trompe fort, ce souci des vrais maîtres qui consiste surtout à bien faire. 11 s’ima-
gine volontiers qu’une pièce applaudie est une bonne pièce. 11 n’écrit pas pour lui, il ne se
contente pas lui-même, le bruit des applaudissements l’étourdit. Quiconque ose ensuite hasarder
une critique, est un jaloux ou un sot. L’artiste réel n’a point cette superbe confiance en lui-même;
il sent trop bien qu’il reste au-dessous de son idéal, et, quand un honnête homme lui signale
ses défauts, il les a vus lui aussi, et depuis longtemps. Sa main a trahi sa pensée et, comme
Raphaël, il comprend que l’exécution la moins imparfaite est toujours faible en quelque point.
Aussi, M. Sardou n’est-il point un artiste; il n'est, tout au plus, qu’un ouvrier habile; il sait le
métier, il en connaît à merveille les secrets, hors un seul, qui ne s’apprend pas et sans lequel
tout art est caduc, la pensée haute et l'inspiration.

F. Lefranc.
 
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