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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 14.1888 (Teil 1)

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Badin, Adolphe: Gustave Guillaumet, [3]
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6o

L’ART.

ristique, de Guillaumet, c'est la loyauté, la sincérité, la recherche de la vérité avant tout et par-
dessus tout.

Cette conscience, qu'il poussait à un degré extrême, était cause que jamais on ne le vit
pleinement satisfait de ce qui sortait de sa plume ou de son pinceau, et qu’il cherchait toujours
à y ajouter, à le perfectionner. Ce n’est point lui qui eût usé de ces procédés plus ou moins
habiles, de ces tricheries déloyales qui en imposent trop souvent au public. Aussi, ce qui l’attirait,
ce qui le charmait dans ce beau pays d’Algérie et ce qu’il voulut rendre, ce n’est point son côté
brillant, pittoresque, qui lui eût peut-être obtenu plus rapidement un succès plus facile, ce ne
sont point les costumes éclatants, les bibelots précieux, et tout ce bric-à-brac oriental dont le
Salon de chaque année nous montre d’innombrables reproductions ; mais c’est le côté intime, le
sens véritable, la poésie des mœurs arabes, qu’il étudia dans les fêtes et les cérémonies aussi
bien que dans les travaux de chaque jour, et, par-dessus tout, la grandeur qui se dégage de ces
horizons infinis, la majesté imposante du désert.

Une de ses principales préoccupations, suite naturelle de la noblesse de son caractère, qui se
trahit dans toutes ses œuvres, c’est le souci de rester original, personnel, de n’imiter personne.

Il n’avait point inventé l’Algérie. Avant lui, de grands artistes, depuis Decamps et Delacroix
jusqu’à Fromentin, pour ne parler que des plus illustres, l'avaient admirablement comprise et
rendue ; mais ce qui est indiscutable, c’est qu’en dehors de ses premières toiles, où son indivi-
dualité ne s’est pas encore complètement dégagée, son œuvre est bien à lui, son originalité est
bien réelle, bien personnelle.

On peut donc dire que Guillaumet ne procède de personne, qu’il n’appartient à aucune école.
C’est pour cela, sans doute, que ses camarades de toutes les écoles s’accordaient pour rendre
hommage à sa haute valeur. Aucun artiste moderne ne fut moins discuté par ses confrères, et
l’on sait pourtant que nos artistes ne sont guère tendres les uns pour les autres.

Et pourtant, il avait, lui, le sincère artiste, des idées très arrêtées et des préférences très
marquées. Quand il était question devant lui de peinture, il s’exprimait avec une conviction
extrême, se passionnant volontiers pour une œuvre ou pour un homme; son teint alors s’animait,
ses yeux étincelaient, et ses paroles s’échappaient de ses lèvres avec une abondance et une netteté
qui montraient bien que, si ses idées étaient profondément raisonnées, il n’entrait aucune complai-
sance dans ses jugements. C’est ainsi qu’à un moment où Manet n’était guère en odeur de
sainteté auprès du public et même auprès de la majorité du jury, Guillaumet rompit de nombreuses
lances en sa faveur et contribua à la réception de quelques-unes de ses toiles les plus discutées,
comme il devait contribuer plus tard à faire donner la décoration à l’artiste si violemment attaqué.

Tel nous l’avons vu, d’ailleurs, dans sa peinture et dans ses études littéraires, tel il se
montra toujours dans la vie privée, sincère, loyal, enthousiaste pour les idées élevées et les
hommes dans lesquelles elles s'incarnaient.

Ami très tendre et très chaud, il fut aimé de tous ceux qui le connaissaient. Bien que ses
habitudes de travail et sa mauvaise santé l’empêchassent de beaucoup fréquenter le monde, il
était, quand il y allait, accueilli avec empressement, surtout dans quelques salons républicains où
l’attiraient les opinions professées par lui toute sa vie en matière politique.

Peut-être vaudrait-il mieux passer sous silence les misères de sa fin, qu’on n’eût pas eu sans
doute à regretter s’il avait trouvé autour de lui, dans les conditions de sa vie intime, une
tranquillité d’esprit dont, avec sa nature nerveuse, un peu surexcitée, il avait besoin plus qu’un
autre.

Il a couru sur cette fin lamentable plus d’un bruit erroné ou exagéré, que ses amis ont
cruellement souffert de ne pas oser démentir, par respect même pour cette tombe fraîchement
ouverte.

Plus tard, le moment viendra peut-être où, sans s’écarter de ce respect, l’on pourra rétablir
les faits dans leur intégrité. Ce jour-là, nous reprendrons la plume pour dire la vérité tout
entière.

Adolphe Badin.
 
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