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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 14.1888 (Teil 1)

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Véron, Eugène; Chennevières, Henry de: Une correspondance d'amateur [Henry de Chennevières]: (1760 - 1790)
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UNE CORRESPONDANCE D’AMATEUR

( 1760- I 790)

oici bien l’un des exemples les
plus courtois des relations d’a-
mateurs à artistes au milieu du
xvme siècle. Les lettres de Mari-
gny et de d’Angevilliers, en nous
montrant le tour de style si
affable et amical de la littérature
administrative sous ces direc-
teurs des Bâtiments du roi,
peuvent nous rendre difficiles à
l’égard des simples correspon-
dances de collectionneurs. Il ne paraît guère possible, en
effet, de voir dépasser en bonne grâce et en amabilité cou-
rante ces modèles de goût et de déférence sortis de la plume
des deux intendants ; et néanmoins il se rencontre plus
d’une liasse de papiers de famille où les rapports d’art se
trouvent écrits dans une langue d’une urbanité parfaite et
d’une très active sympathie. Sans nous arrêter aux lettres
connues de Mariette, de M. de Jullienne, de Randon de
Boisset, de Bachaumont, il convient, pour plus belle
preuve, de dépouiller un menu lot de feuillets cueillis au
milieu de la correspondance générale d’un homme de cour
ou plutôt d’ambassade. En sa qualité de diplomate, cet
homme pourrait être suspect de formes complimenteuses,
car le métier veut du liant et du pliant partout, mais on
jugera si le machiavélisme de la profession a déteint trop
banalement sur le personnage. Au reste, graveur et peintre
lui-même à ses jours de sieste politique, il met, au con-
traire, une bonne part de sa coquetterie à se familiariser
du ton le plus ouvert avec les artistes ses correspondants.
Il y a ainsi un double caractère, curieux à suivre dans ses
lettres, où l’homme extérieur et l’amateur frotté d’un peu
d’expérience s’emmêlent et se fondent fort joliment. Ce
parangon de style épistolaire est Michel Hennin, très
connu de la cour et de Paris sous le nom du Résident de
Genève. Entré tout jeune aux bureaux des affaires étran-
gères, puis de la suite du comte de Broglie pendant l’am-
bassade de Pologne, Michel Hennin eut vite la confiance
de Louis XV, et l’on en aurait fait un ambasadeur à Vienne
ou à Londres si sa fortune, par trop mince de revenus,
n’avait toujours formé obstacle à un grand établissement.
Faute d’un patrimoine plus en rapport avec son mérite, il
dut donc se contenter d’emplois de seconde importance, et
partager sa carrière entre Varsovie et Genève. Et comme
Genève fut surtout sa Résidence, on s’était habitué à ne
plus séparer le nom d’Hennin de son titre d’office auprès
delà petite république où il s’oubliait heureux. Aussi bien
lui croirait-on un vrai goût pour Genève, à juger par son
éloignement assez déclaré pour la Pologne, pays trop
à l’écart de la zone des arts et de ses relations d’esprit.
Dans les intervalles de ses séjours à l’étranger, ou même
au cours de ses étapes administratives, à Rome surtout, il
s’était lié, presque de camaraderie, avec des peintres ses
nationaux. A ceux-là, il écrit de l’air le plus gai du monde,
réservant davantage l’affabilité sérieuse aux artistes hors
de sa connaissance. Le moindre intérêt de sa correspon-
dance n’est pas, d’ailleurs, la mention de certains tableaux
vus à divers Salons et tout expliqués là dans leur origine.
La première lettre en date vient de Pologne, à l’adresse de
Natoire, alors directeur de l’Académie de France à Rome,
Tome XLIV.

et elle met tout de suite au fait de la nature souriante et
prévenante de l’amateur :

« A Varsovie, ce lundy 28 juillet 1760. — Monsieur, je
mérite bien qu’en recevant cette lettre vous demandiez
quel est cet homme-là? En allant aux informations cepen-
dant, peut-être se trouvera-t-il encore à Rome quelqu’un
qui vous dira que j’y étois il y a environ dix-huit mois,
ayant l’honneur de vous voir le plus souvent qu’il m’étoit
possible et m’estimant heureux de pouvoir jouir de votre
conversation et admirer vos ouvrages. J’ay été si balotté
depuis ce tems-là, que, parmi le nombre des personnes
auxquelles je devois des marques de ma reconnoissance,
il y en a plusieurs de qui j’ai mérité les memes reproches
que de vous. Agréez, Monsieur, je vous prie, mes excuses
d’une conduite aussi mal sonnante. En arrivant d’Italie,
j’ai commencé par être six mois malade, puis destiné à
diverses places, enfin renvoyé en Pologne où je suis depuis
peu de tems. Ma principale occupation pendant mon
séjour en France a été de mettre en ordre les différentes
choses que j’avois rassemblées dans mes voyages. Je com-
mençois à m’y reconnoitre lorsqu’il a fallu tout quitter;
c’est ainsi que va le monde. Me voici maintenant dans le
pays le plus ingrat pour tous les objets de curiosité. On y
voit peu de belles choses, à peine les y connoit-on. La vie
se passe à parler d’affaires et à gagner des indigestions. Je
tâche de me préserver de ces deux excès, mais le moyen
de ne pas hurler avec les loups. Il y a cependant quelques
personnes qui se garantissent de la contagion générale,
quelques hommes qui aiment à penser, quelques femmes
qui cherchent à plaire. Je m’en accoste le plus que je peux
et j’adoucis mon exil. Vous avez sans doute beaucoup
augmenté la collection que vous formiés avec tant de soins
et de succez. Si vous en faisiez faire un catalogue, je vous
serois très obligé de m’en envoyer une copie. Je n’ose vous
prier de vous souvenir de moi dans vos délassemens, mais
si Mlle votre sœur avoit jamais besoin d’une pelisse, la
seule chose présentable que l’on puisse envoyer d’icy, je
la solliciterois fortement pour qu’elle vous dérobât quelque
esquisse qui pût, en ornant mon cabinet, me rappeler plus
souvent son aimable frère. Quand je parle de mon cabinet
le cœur me saigne. J’ai un tableau de Hutin qui a fait for-
tune au Salon dernier et quelques autres choses passables
de Hollande et d’Allemagne. Les chevaux de poste m’ont
mangé ce que je comptois acheter en Italie, mais c’est une
chose réparable, surtout si, comme je m’en flatte, je ne
tarde pas à être employé sur un pied différend. Alors je
me recommenderai à vous, Monsieur, et j’espère que non
content de m’avoir pardonné ma première faute, vous vou-
drez bien me donner vos conseils sur ce qu’on me propo-
sera d’acquérir à Rome. Je vous supplie d’agréer, etc.

Hennin 1. »

A part l’insinuation de la pelisse, trop couleur locale
pour être défendue à un curieux, figé sur la Vistule, la
diplomatie de cette page est toute d’amitié. Après dix-huit
mois de perte de vue et de mutisme, Hennin se reprend de
son mieux au commerce de Natoire, sans douter une

1. Nous devons communication de ces lettres à la bienveillance
si universellement connue de M. Ludovic Lalanne. Il a bien voulu
nous les réserver, en dépouillant la correspondance générale d’Hen-
nin, à la Bibliothèque de l’Institut.

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