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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 16.1890 (Teil 2)

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Audebrand, Philibert: Pages d'histoire contemporaine: les salonniers depuis cent ans
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https://doi.org/10.11588/diglit.25870#0276

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244

L’ART.

Il n’y avait guère, à ce sujet, que deux exceptions à faire, deux hommes à nommer : MM. A. Jal
et M. E. Delécluze, celui que les rapins d'alors, déjà marqués par la tache originelle du roman-
tisme, devaient surnommer irrévérencieusement : le père Delécluze.

Ancien aspirant de marine, ayant commencé à servir sous l'Empire, mis en demi-solde par
la Restauration, M. A. Jal, encore jeune, était un homme de belle mine, qui, pour se trouver
des ressources, s’était de bonne heure jeté dans la presse libérale. Pour commencer, il avait
écrit tour à tour à la Pandore et à la Silhouette, petites feuilles satiriques, mais qui s’occu-
paient moins de politique que de théâtres et de Musées. Ce fut dans ce milieu qu’il s'éprit des
choses de l'art. Dans sa jeunesse, il avait eu à étudier le dessin. Un peu plus tard, il a dû faire
campagne sur un navire de l’Etat. Etudes préliminaires et voyages sur mer s’accordant avec les
tendances de son esprit, il s’était mis peu à peu à aimer les grandes scènes de la nature et à
en composer des tableaux par la pensée. De là à devenir un critique d’art, il ne pouvait y avoir
bien loin. Or, en se faisant journaliste, puisqu'on venait de briser son épée, il se faufila peu à
peu dans cette spécialité qui a pour mission d’examiner le mouvement artistique du jour, et,
comme c’était un esprit appliqué, une volonté opiniâtre, il ne tarda pas à y réussir. Dès 1827,
il avait conquis une certaine réputation en tant que juge et, en i83o, tout ce qu’il écrivait à ce
sujet avait force de loi. Un moment, il avait fait le Salon dans les colonnes du Constitutionnel,
grand carré de papier, qui, à cette époque, était regardé comme le principal organe de l'opinion
publique. Il fit mieux encore et, en se modelant sur Diderot, il publia ses observations sous la
forme d’un volume. L’in-12 de 3oo pages devint le guide des amateurs et des visiteurs. Un livre
où l’on apprend au public quelles toiles il doit préférer et ce qu’il doit penser de chacune d’elles,
c’est un succès assuré d’avance.

Il n’y a pas bien longtemps, à propos de la réception de M. Jules Claretie à l’Académie
française, un très fin observateur, M. Ernest Renan, disait qu’après cent ans écoulés, de toutes
les œuvres littéraires publiées pendant ce laps de temps, il ne reste parfois pas un seul tome.
Si l'observation est à faire pour les poètes et pour les romanciers, elle est plus exacte encore
pour les critiques, ces prosateurs qui écrivent au jour le jour et à main courante. Des jolis
in-12 de M. A. Jal, si recherchés il y a soixante ans, a-t-on retenu un chapitre ou même une
page? Répondons non bien nettement. Néanmoins les fureteurs rencontreraient là dedans une
forte dose de bon sens, d’abord; puis, çà et là, pas mal de remarques piquantes, du savoir et
de l’esprit. Mais il s’est passé tant de choses depuis soixante ans et la langue a mué si souvent
que ce qui plaisait aux délicats de 1828 ne serait plus du tout en faveur auprès des dilettantes
de 1890. Ne nous lassons pas de répéter un alexandrin de nos pères, assez bien frappé pour
figurer parmi les proverbes :

L’aigle d’un quart de siècle est oison dans un autre.

Ce que nous venons de dire pour M. A. Jal, il faudrait le répéter à peu près mot pour mot
pour M. E. Delécluze, l’aristarque en titre du Journal des Débats (peinture, sculpture, gravure,
émaux). Ce dernier, issu d’une bonne famille, un peu homme du monde par conséquent, est
demeuré un peu plus longtemps sur la brèche. Il faisait encore de la critique pendant le second
Empire. Qui n’a eu à lire ses analyses ? Pendant une quarantaine d’années, immobile au milieu
de l’instabilité générale, ce Nestor a paru ne se préoccuper que de portraits, de tableaux d’his-
toire et de paysages. Un jour, il voyait les Barbares envahir la France; un autre jour, le canon
de la guerre civile tonner à travers les rues de Paris, et il n’en continuait pas moins son labeur.
Une autre fois, il rencontrait le choléra sur son chemin, et, une autre fois encore, c’était le
retour de l’aigle. Tout s’en allait pour revenir; tout revenait pour s’en aller. Multa renascentur
quœ jam cecidere... Peu lui importaient tous ces revirements. Le stoïque et vénérable père
Delécluze, comme on l’appelait, indifférent à tous ces coups de théâtre, concentrait avec un
héroïsme superbe toute sa pensée sur ce qu’on exposait au Salon. Durant ce long exercice de
son métier, il n’a pas cessé d’être bon juge et c'est pour cette raison qu’il a toujours été lu avec
empressement par l'élite de la société française.
 
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