L' art: revue hebdomadaire illustrée (19.1893 (Teil 2))

HISTOIRE DE L'AMEUBLEMENT EN FRANCE

LA CHAMBRE ET LE SALON

DU XVIe AU XVIIIe SIÈCLE

INTRODUCTION

Les inventaires après décès sont des documents essen-
tiellement suggestifs. Ils nous mettent, en quelque sorte,
en présence des personnes et des choses du passé, et nous
font vivre pendant quelques instants dans des milieux qui
nous étaient inconnus.

C'est d'abord la chambre à coucher et le salon de com-
pagnie, dans lesquels nous pénétrons avec le notaire. Nous
assistons ensuite à la rédaction de l'inventaire du mobilier
répandu dans toute l'habitation.

Cette revue rétrospective paraît monotone ; mais en
comparant l'ensemble des ameublements d'une époque à
une autre, l'attention est attirée par l'aspect même des
choses ; on est étonné de l'intérêt qui s'en détache.

Au xvie siècle, le mobilier est d'une simplicité mona-
cale, qui nous dit bien quels étaient les personnages qui
s'en contentaient : hommes d'action, aux mœurs sévères,
ils ne s'attardaient pas dans les amollissements du bien-
être et du luxe. Les sièges sont en bois et de forme rigide ;
les coffres portatifs remplacent bien souvent les armoires
massives et richement sculptées, que les princes seuls pou-
vaient posséder. Pas de canapés aux coussins souples et
soyeux, pas de chaises rembourrées ; un lit un peu plus
confortable, et c'est tout.

Le xviie siècle laisse pénétrer des meubles plus luxueux
dans de vastes appartements. C'est déjà la richesse et la
recherche, mais ce n'est pas encore l'élégance, la coquette-
rie, la mignardise des boudoirs et des chambres d'apparat,
dans lesquels les meubles de Boulle, les objets d'art, les
statuettes voluptueuses se réunissent pour charmer la vue,
non seulement chez les grands seigneurs et les fermiers
généraux, mais aussi chez les bourgeois enrichis.

C'est ainsi que nous visitons, tour à tour, vingt inté-
rieurs différents. Au xvic siècle, la maison du conseiller
Guérin et le château du seigneur de Roquebrune, en
même temps que le modeste logis du notaire Segond. Au
xvne siècle, le trésorier général Layat, le seigneur de
Linange rivalisent de luxe avec Nicolas Planson, valet de,
chambre ordinaire du roi Louis XIV. Enfin, au xvmc siècle,
le sieur Toudouze, boucher, apparaît à côté du comte de
Valbelle, du marquis de Méjanes et de vingt autres nobles,
bourgeois ou simples prolétaires.

Nous n'insisterons pas sur la valeur des documents
inédits que nous publions ; une rapide énumération des
personnages mis en scène permettra au lecteur d'en appré-
cier tout l'intérêt, au point de vue de l'étude des moeurs et
de l'histoire de l'ameublement.

I

INVENTAIRE DU MOBILIER DE FRANÇOIS GUÉRIN

CONSEILLER AU PARLEMENT D'AIX

(i5 novembre i522)

François Guérin, nommé conseiller au Parlement de
Provence, en i5i6, mourut en i522 à Saint-Saturnin,
près de Manosque, où le Parlement s'était réfugié pendant
la peste. Après son décès, sa veuve, née Marceline de
Rochas, fit faire l'inventaire des meubles conservés dans
leur maison d'habitation située à Aix 1.

i. In primo, domus sita in btirgo Sancti Salvatoris, in qua inhabi-
tabat ipse spectabilis Garini, in quaquidam domus fuerunt inventa bona
mobilia sequentia. (Inventaire du i5novembre i522, en la possession
de M. Garcin, ancien greffier du tribunal civil d'Apt.)

Ce document est rédigé en latin, entremêlé de pro-
vençal et de français; nous en donnons la traduction
ci-après. >

LA SALLE 1
Un banc de noyer de douze pans de longueur2.

1. Aula. Grande salle, salle principale, cour où les châtelains
rendaient la justice.

2. Palma. La palme avait une longueur à peu près égale au pan
(24 cent.}, soit, pour 12 palmes, une longueur totale de 2 m. go cent.