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L' art décoratif: revue de lárt ancien et de la vie artistique moderne — 2,1.1899/​1900

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No. 13 (Octobre 1899)
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Jacques, G. M.: Fantaisie pour piano
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https://doi.org/10.11588/diglit.34203#0018

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L'ART DÉCORATIF

FANTAI$!E POUR PIANO
La définition est un art difficile; aussi, j'ai
peu d'espoir d'en donner une acceptable du
piano. Entre celles qui se présentent, je ris-
querais pourtant celle-ci : «Vilaine caisse en
vilain bois, dont une vilaine jeune personne
fait sortir, en pressant de petits carrés d'ivoire,
ou «ZVr/M'én? A77T777/<r>>. Cette
définition est d'aiüeurs variable; l'air change
tous les trois ou quatre ans. Il y a trente
ans, c'était «An AAVf 7/7/77^ et «A77
yD/TMf 7/77 77777V7A77» que la jeune personne
extrayait de la caisse. Je regrette pour ma
part cette versatilité. La préférence pour les
souvenirs de jeunesse, infirmité dont une certaine
ardeur aux oeuvres d'art nouvelles (je n'ai pas
dit archi-nouvelles!) ne me défend pas plus
qu'un autre, y est peut-être pour quelque chose;
mais je crois tout de même que dans l'ordre
des mélodies niaises ou triviales, les vieilles
valent réellement mieux que les neuves. Les
premières, au moins, sonnent franc, parce
qu'elles sont bâties sur les notes composant
les accords qu'elles traversent, et que chaque
accord s'y résoud naturellement sur le suivant :
l'auteur ne risquait rien. Dans les secondes,
au contraire, le vernis d'actualité s'obtient
surtout en substituant aux composantes des
accords, dans la mélodie, des appogiatures
non préparées ni résolues, en conduisant le
dessin mélodique à travers des notes étrangères
aux accords, en résolvant systématiquement
ces derniers par des sauts, au contraire des
résolutions naturelles. Par exemple — le plus
simple — la note sensible dans l'accord de
septième de dominante (le xf de l'accord sn/,
V, 7',r, yhz, dans la tonalité de 7/77 majeur) sera
résolu constamment sur la tierce de l'accord
de tonique (le 7777' de l'accord 7777) x<V) au
lieu de remonter à la tonique (le Or,
si ces procédés, dans les mains de musiciens
talentueux et habiles, sont, par leur mariage à
de piquantes incidences harmoniques, susceptibles
de communiquer à la mélodie un pittoresque
extrême — voyez les compositions de M. Ganne
— ils ne peuvent, livrés à leurs seules ressources
par l'harmonie indigente de croque-notes vul-
gaires, engendrer autre chose qu'une insuppor-
table mièvrerie. Ils donnent de la mélodie
anémiée, faisant sur l'oreille saine l'impression
des minauderies d'une femme aux chairs sans
fermeté, au pas inassuré, sur l'homme robuste
et de goûts sains.
Laissons ce qui sort de l'instrument pour
en venir au piano lui-même. Nul ne contre-
dira que de toutes les pièces qui composent le
mobilier bourgeois, c'est la plus attristante: un

cas désespéré. Cette caisse funèbre, avec ses
deux cierges comme préparés pour la veillée,
évoque des visions de cérémonies mortuaires.
Le AhAr 77u? hotte dans l'air autour d'elle.
Puis les détails : ces appliques en zinc doré
à l'ignominieux modelé, ce couvercle en rouleau
faisant de ce qu'il cache une énigme, ces in-
variables consoles en S, vulgaires comme la
panse bedonnante dont elles sont inspirées! Le
lugubre dans la platitude !
Pourquoi faut-il que le piano soit noir?
Pourquoi pas en chêne, en acajou, en frêne
ou n'importe quel autre bois, comme tout autre
meuble? Mystère. Sans doute parceque cela
s'est toujours fait ainsi.
Pourquoi le clavier doit-il être enfermé? Ques-
tion plus délicate, parcequ'elle se complique d'une
autre. Je m'explique.
Les bonnes gens qui recouvrent les meubles
de leur salon de housses qu'on retire le dimanche
vous font sourire; autrement, vous ne liriez
pas cette publication. Pour la même raison,
je dois supposer que votre lit est fait de telle
manière, que l'oreiller — à plus forte raison
les oreillers, si vous êtes deux — soient bien
visibles, qu'ils vous appellent, qu'ils vous disent
les délices du moment où votre tête appesantie
y trouvera le repos. Deux oreillers bien frais,
c'est autrement éloquent que les allégories de
M. M. X. ou Y., cela, et même — rie qui voudra
— autrement décoratif, parcequ'expressif de
soi-même. La triste chose que ces lits où les
oreillers, roulés en boudin au bout de la
courte-pointe, ne disent rien, ne parlent de rien;
où c'est, au lieu d'une douce invite, une
masse inerte, informe, vide de sens qui se pré-
sente à vos yeux! Ces lits-là n'ont point d'âme.
La première chose à demander aux objets
qui nous entourent, c'est de nous dire ce qu'ils
font là, pourquoi ils y sont, quels services ils
nous rendent, ce qu'ils nous sont. Des meu-
bles qui parlent ce langage sont des com-
pagnons, des amis. Ils vivent; et quel décor sur-
passe en beauté celui-là, la vie?
Je voudrais donc qu'un piano, de même
qu'un lit ou une bibliothèque, nous dise ce
qu'il est: c'est-à-dire qu'il se montre le clavier
découvert, le pupitre prêt à recevoir la par-
tition — si elle n'y est déjà. Mais voici le
point délicat. Aux yeux d'un musicien, le
piano prend une signification assez particulière:
il lui rappelle qu'il est là pour s'en servir, pour
faire de la musique ; il lui parle des musiciens
qu'il aime. Or tel n'est pas le cas général;
il s'en faut. Le piano est plus ordinairement
tantôt une nécessité conventionnelle dont la raison
s'entoure d'épaisses ténèbres, tantôt une sorte
de jouet mécanique qu'on reprend de temps

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