L' art décoratif: revue de lárt ancien et de la vie artistique moderne (3,2.1901)

N° 31

AVRtL 1901

L'ART DÉCORAT!F

PiERRE ROCHE
r-^ARLANT du sculpteur Pierre Roche, certains
1 répètent: «Quel charmant touche-à-tout! ))
11 y a dans ces mots de la sympathie et
même de Fadmiration pour le curieux créateur
qu'est cet artiste, mais aussi un peu de commi-
sération. Iis se demandenh ces gens, quel
piaisir peut avoir Pierre Rocheà exposer simul-
tanément un beau morceau de pure statuaire et
des petites choses dédaignées jusqu'à lui. Ce-
pendant, comme cehes-ci sont exquises et que
i'on veut être du dernier bateau, ies mêmes
gens vantent ces dernières et oublient un peu
trop ies mërites du Pierre Roche statuaire.
Car, comme tant d'autres bons artistes,
Pierre Roche est ia victime de cette manie bien
française qui consiste à n'attacher d'importance
qu'à ia spécialisation. Nous avons des paysa-
gistes qui n'ont jamais fait de hgure, ils sont
très prisés. D'autres font i'un et i'autre, tout
aussi bien sinon mieux, ils sont seuiement ap-
préciés. Barye créa des chefs-d'œuvre motivés
par la hgure humaine, ii n'est cependant que
i'animaiier Barye.
Contre de teiies mauvaises habitudes ii faut
réagir, aussi bien dans l'intërêt des artistes que
dans celui du pubiic. Nous aiions essayer à
propos de Pierre Roche.
Pierre Roche, scuipteur, a surgi avec la
première exposition de ia Société Nationaie des
Beaux-Arts, en i8$o. Avant cette date ii étudiait
!a peinture sous ia direction de Roli. Maisentre-
temps, à i'occasion d'un concours ouvert en
vue d'élever une statue à Danton, l'envie lui
était venue de modeler un groupeà ia gioire du
grand tribun. Et dans i'ateiier d'un anh absent
ii avait conçu une œuvre toute d'inspiration,
hardie de mouvement et d'exécution, qui eut la
bonne fortune d'intéresser Daiou. Avec sa
fougue et son enthousiasme ceiui-ci dissuada à
Pierre Roche de continuer à peindre et iui
conseiiia de quitter le pinceau pour i'ébauchoir.
Si donc i'écoie française s'enorgueiiiit d'un
curieux sculpteur de pius, c'est à Daiou qu'eiie
le doit.

A dire vrai, Roche était préparé à ce nou-
veau métier. Ii avait eu occasion de fréquenter
longuement ies amphithéâtres et conservait
dans son ateiier des pièces anatomiques, mo-
deiées par iui-même sur nature, qui lui avaient
donné le secret des mouvements du corps hu-
main. Mais ià n'est pas encore ie plus curieux
de ces documents de temps très éioignés.Pierre
Roche peut montrer une série de croquis faits
dans ies hôpitaux, qui sont ies pius curieux do-
cuments qui soient. Par exempie, 1e souvenir
d'une morte, décharnée par la phtisie, évoquée
par un de ces croquis, nous poursuit en écri-
vant ces lignes. Nos yeux croient toujours voir
devant eux l'implacabie dessin !
Cependant Pierre Roche ne va pas s'at-
tacher à modeler i'étrange. Par 1a mort il a
appris à connaître 1e secret de 1a vie, et c'est
elie qu'il traduira avec toute 1a ierveur qui sera


PIERRE ROCHE BUSTE D'ENFANT (MARBRH)

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