L' art décoratif: revue de lárt ancien et de la vie artistique moderne (3,2.1901)

N°34

JUILLET 1901

L'ART DÉCORAT!F
LES SALONS DE 1901 (suiTE)

LES BIJOUX
j-^LUs tard, dans un avenir aussi iointain que
i le passé !e plus reculé, si rien ne subsistait
de nous que nos bijoux, le savant, qui ressuscite
la vie primitive d'après une dent ou l'art antë-
diluvien d'après un éc!at de si!ex, pourrait-il
juger !a société présente sur ces fré!es sur-
vivants de son rêve? Je l'imagine sans effort.
Quand rien ne reste que la splendeur ternie
d'une parure, l'âme fëminine d'un temps refleurit
aux yeux émus des archéologues; et quand
même 1a cendre durcie du Vésuve n'aurait
épargné que certains colliers et quelques brace-
lets, plus durables que les formesmortellesdont
elles sertissaient 1a grâce, nous pourrions évo-
quer sans trop de fantaisie les pompéiennes
déliçes.
Quelles seraient donc nos pensées d'après
nos parures? II conviendra de poser 1e pro-
blème, plutôt synthétique, après l'analyse dé-
taillée des œuvres, quand nos regards auront
interrogé les témoins de l'enquête et les élé-
ments de 1a solution. Aux yeux surtout de l'ar-
tiste moderne, et de son obscur sosie, 1e critique,
—- (( point de création sans expression )) comme
disait Millet. Sans doute, mais cet intérêt, pour
ainsi dire psychologique, n'est pas seul en
cause : ici, plus que jamais, il faut envisager 1a
beauté de i'objet, sa beauté formelle, intrin-
sèque, absôlue, vraiment décorative et qui n'a
d'autres lois que sa destination même. Oui, 1a
forme est un mystérieux langage; mais ce
discours n'est ici péremptoirement expressif
qu'en proportion de son harmonie verbale.
Le bijoutier soucieux d'art est un sonnettiste
qui doit ciseler des Bon gré mal gré,
c'est un ((parnassien)). De ces fluettes archi-
tectures, il faut donc exiger et la valeur sug-
gestive et 1a valeur architectonique. Les anciens
ne célébraient-ils point de menus ivoires du
grand Phidias?
Phidias absent, nous possédons Lalique.

Et 1e Salon, récent encore, de i8p5 n'a-t-il point
marqué l'avènement d'un poète avec une poë-
tique nouvelle? Au double point de vue de
l'histoire psychologique et de l'évolution tech-
nique du bijou, ce fut une date que cette ren-
contre étonnée des belles visiteuses et des
penseurs devant la vitrine où brillaient dix-sept
objets de parure et de coiffure, azur et or;
plusieurs croquis faisaientpressentirl'exécutant
sous le poète; un nom, désormais, consacrait un
genre; et ces inventions blondes et bleues
attisaient les désirs de nos Cléopâtres en robes
Liberty, de nos modernes Salammbôs. Aujour-
d'hui, Lalique évolue vers 1a pâleur; comme


HENRI DUBRET

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