L'ART DECORATIF
donnent plutôt une apparence de vertige et
de mystère, comme des spectres. Et tous
ces yeux regardent venir quelque chose qu'on
ne voit pas. Peut-être c'est la mort qui, au
grelottement sinistre de la petite sonnette,
prend pour matière plastique ces humbles
et rudes ouvriers « aux gourdes ossatures
animales )> bien autrement faits, affirme à
sa suite Camille Lemonnier, «pour le relief
des plastiques expressives que l'universelle
va déclancher la cage et la précipiter parmi
une bouillie sanglante d'os et de moelles. )>
Les types, le drame, tout est là déjà,
comme dans ces crayons au trait hâtif et
sûr, quoique un peu lourd et massif, est
déjà la silhouette monumentale de l'image
sculpturale qui va se dresser bientôt comme
instinctivement, spontanément sortie de cet
amas d'impressions, de ce labeur immense d'a-
nalyses minutieuses dont elle sera la synthèse.
A ce moment, en effet, Meunier se sou-
vient qu'il est sculpteur et, passant par-
dessus tous les préjugés et les routines, i!
et écoeurante banalité des modèles à viandes
boulantes et à muscles en caoutchouc, pa-
reils aux derniers coryphées en maillot d'un
crépuscule des dieux mythologiques)).
En i88q apparaît au Salon de Paris sa
figure du Af<3rû?/ez;r, en i885 celle du
la date vaut qu'on la retienne;
car avec ces figures énergiques et frustes
c'est tout un aspect de la réalité humaine,
jadis proscrit comme indigne de la statuaire,
qui rentre dans l'art. «Qu'est-ce qu'ils
peuvent donc bien trouver de si beau
dans mes machines?)) demandait, parait-il,
le grand instinctif et le grand sincère.
C'était d'abord cette révélation d'une matière
plastique nouvelle; c'était ensuite cet accord
surprenant entre une matière nouvelle et
un métier qui n'était pas fait de réminiscences
et de recettes apprises. Constantin Meunier
avait la chance presque inouïe d'arriver à
cinquante ans environ, en pleine maturité
de génie, sans traîner avec lui la servitude
des oeuvres d'école et l'obsession des habi-
tudes prises. Il n'eut pas à s'arracher à des
formules dictées et pratiquées en une plus
ou moins longue période de tâtonnements.
Il n'eut pas comme certains autres à se
reconquérir, à se refaire contre son éduca-
tion et ses pratiques antérieures, il fut dès
l'abord lui-même. Simplement, naïvement, en
présence des images qui s'imposaient à son
imagination et dont il avait passionnément
compris toute la grandeur humaine et vraie,
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donnent plutôt une apparence de vertige et
de mystère, comme des spectres. Et tous
ces yeux regardent venir quelque chose qu'on
ne voit pas. Peut-être c'est la mort qui, au
grelottement sinistre de la petite sonnette,
prend pour matière plastique ces humbles
et rudes ouvriers « aux gourdes ossatures
animales )> bien autrement faits, affirme à
sa suite Camille Lemonnier, «pour le relief
des plastiques expressives que l'universelle
va déclancher la cage et la précipiter parmi
une bouillie sanglante d'os et de moelles. )>
Les types, le drame, tout est là déjà,
comme dans ces crayons au trait hâtif et
sûr, quoique un peu lourd et massif, est
déjà la silhouette monumentale de l'image
sculpturale qui va se dresser bientôt comme
instinctivement, spontanément sortie de cet
amas d'impressions, de ce labeur immense d'a-
nalyses minutieuses dont elle sera la synthèse.
A ce moment, en effet, Meunier se sou-
vient qu'il est sculpteur et, passant par-
dessus tous les préjugés et les routines, i!
et écoeurante banalité des modèles à viandes
boulantes et à muscles en caoutchouc, pa-
reils aux derniers coryphées en maillot d'un
crépuscule des dieux mythologiques)).
En i88q apparaît au Salon de Paris sa
figure du Af<3rû?/ez;r, en i885 celle du
la date vaut qu'on la retienne;
car avec ces figures énergiques et frustes
c'est tout un aspect de la réalité humaine,
jadis proscrit comme indigne de la statuaire,
qui rentre dans l'art. «Qu'est-ce qu'ils
peuvent donc bien trouver de si beau
dans mes machines?)) demandait, parait-il,
le grand instinctif et le grand sincère.
C'était d'abord cette révélation d'une matière
plastique nouvelle; c'était ensuite cet accord
surprenant entre une matière nouvelle et
un métier qui n'était pas fait de réminiscences
et de recettes apprises. Constantin Meunier
avait la chance presque inouïe d'arriver à
cinquante ans environ, en pleine maturité
de génie, sans traîner avec lui la servitude
des oeuvres d'école et l'obsession des habi-
tudes prises. Il n'eut pas à s'arracher à des
formules dictées et pratiquées en une plus
ou moins longue période de tâtonnements.
Il n'eut pas comme certains autres à se
reconquérir, à se refaire contre son éduca-
tion et ses pratiques antérieures, il fut dès
l'abord lui-même. Simplement, naïvement, en
présence des images qui s'imposaient à son
imagination et dont il avait passionnément
compris toute la grandeur humaine et vraie,
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