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L' art français: revue artistique hebdomadaire — 2.1888-1889 (Nr. 54-105)

DOI issue:
No. 53 (28 Avril 1888) – No. 59 (9 Juin 1888)
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https://doi.org/10.11588/diglit.25561#0004
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L’ART FRANÇAIS

caturiste est représenté par quantité de superbes aquarelles et
tout un panneau de peintures. Ces morceaux, qui constituent
à peine la moitié de son œuvre originale, révèlent au public, qui
l’avait oublié ou méconnu, un des artistes les plus puissants de ce
temps.

On remarquera surtout les scènes de tribunal, pour les aqua-
relles, et pour les peintures, les superbes ateliers d’artistes, les
Won Quichotte, le Scapin, les Wagons de ye classe, etc. Du reste,
pour bien connaître l’œuvre de ce merveilleux peintre de mœurs,
nous conseillons à nos lecteurs de consulter le beau livre que no-
tre confrère Arsène Alexandre va publier chez H. Lqurens, et qui
contient quantité de documents inédits et de reproductions des
œuvres exposées aux Beaux-Arts."

Un autre très puissant observateur que nous découvre l’ex-
position, bien qu’il soit depuis longtemps populaire, c’est Henri
Monnier, qui, avec les Diseurs de riens, les Joseph Prudhoinme et
les scènes du Roman che^ la portière, se rapproche des maîtres
réalistes Courbet et Manet.

Que dire encore de Gavarni, le peintre des exquises élé-
gantes, le philosophe d’un profond scepticisme? Ses charmantes
aquarelles sont à voir et ne se racontent pas.

On verra encore avec grand plaisir les belles épreuves des
Raffet et des Charlet, ainsi que la curieuse série des portraits
contemporains de Giraud, prêtée par le comte de Nieuwerkerque,
enfin, les caricatures de Cham et Gill et les curieux dessins de
Victor Hugo et de Musset.

En un mot, cette exposition qui fait grand honneur à son
organisateur, M. Armand Dayot, offre aux visiteurs un superbe
ensemble de pièces célèbresou inédites d’un art qui répond si bien
au génie français. firmin javel.

—11 -- ...-—-■_-■ ■ —

HONORÉ DAUMIER

Par M. ARSÈNE ALEXANDRE

Le livre de M. Arsène Alexandre dont nous avons parlé plus
haut, Honoré Daumier, F homme et F œuvre, qui rend un brillant
hommage au maître incontesté de la caricature, et qui restera
comme l’expression la plus éloquente de la belle manifestation
qui vient d’avoir lieu à l’Ecole des Beaux-Arts, paraîtra demain.

Nous devons à l’obligeance de l’éditeur, M. Laurens, commu-
nication des bonnes feuilles de ce remarquable ouvrage, dont
nous extrayons le passage suivant :

C’est en 1817 ([lie Daumier, dans toute la maturité de l’âge et du talent,
se joignit à la colonie artistique de l’ile Saint-Louis. Dans cet îlot, isolé
au milieu même de Paris, comme une forteresse d’art et de recueillement,
des hommes admirables, l’honneur de ce siècle, vécurent, pensèrent et
travaillèrent dans un merveilleux unisson. Pas une joie ou une douleur
11ui ne lïd commune, pas une pensée qui rie fût l’objet de passionnée et
féconde discussion, pas une iruvre qui n’appartint à tous, par ce que
chacun v avait mis de conseil, d'approbation ou de sympathie.

Les habitants de lile ou hoirs visiteurs assidus s’appelaient Corot, Ame
d'une exquise bonté; Daubigny, .Iules Dupré, vaillants et vigoureux lut-
teurs ; l’.oulard, Steinhel, des artistes originaux et sincères; Eugène La-
vieille, l'élève aimé de Corot; Parye, le puissant sculpteur, créateur d’é-
popées animales; Geoffroy Dechaume, un des maîtres de la statuaire fran-
çaise, passionné pour notre vieil art national, si vivant, si expressif, un
savant et un enthousiaste qui a mis son (ouvre à l’ombre et sous la pro-
tection de uns gi ands monuments du' moyen Age et de la Renaissance.
Tous ces laborieux, tous ces consciencieux, tous çés dévoués, se détachent
à part en puissantes silhouettes sur ce fond de frivolité bruyante, de suc-
cès faciles et parfois peu justifiés, qui aura fait le propre de certaines
écoles dans notre siècle. Ces beaux artistes eurent pour Daumier une af-
fection profonde et une admiration sincère.

Sa grande honnêteté, sa franchise, son aimable philosophie, ses arden-
tes convictions plaisaient à leur rieur simple et droit,,en même temps que
la sûreté pénétrante de son coup d’œil, sa prodigieuse mémoire, ses fa-
cultés uniques de coloris, de composition et de dessin captivaient leur es-
prit vaste et délié.

eut ce cri du cœur qui pourrait faire sourire les gens superficiels, ceux
qui se nourrissent de préjugés et n’adoptent que les enthousiasmes de
commande : « C’est comme du Daumier ! » Certes, la différehee parait
infi anchissable entre le peintre des suaves madones et le caricaturiste
dps bourgeois hébétés. Et pourtant quand on veut descendre au fond des
choses, combien s’effacent les plus profondes diflérenees d’expression et
de toime I Si les moyens sont multiples, l’émotion est une; le plaisir ar-
tistique est une jouissance unique,'procurée de mille manières différentes.
Si Daubigny s écriait : « C est du Daumier » en voyant les Raphaël, il ne
Pensait pas aux tempéraments si divers, aux places si disproportionnées
que les deux maîtres occupent dans l’histoire de l’art et dans l’opinion du
public. Le grand paysagiste*, ne voyait qu une chose : l’esprit maître de
lui qui sait ce qui veut dire, et la main habile et décidée qui le dit préci-
sément et sans une défaillance, comme il l’avait voulu. A ce compte, tous
les grands peintres, si éloignées que puissent être leurs tendances per-
sonnelles, se tiennent dans une parenté beaucoup plus proc.be que ne
I indiqueraient les apparences. Il y a plus de distance entre Raphaël et un
plat imitateur qu’entre le maître et l’original artiste que nous étudions.

L u autre exemple plus caractéristique et plus décisif encore du cas que,
firent de Daumier ses eontemporainsles plus illustres, doit être également
cité dans ce chapitre.

Eugène Delacroix ne se contenta pas d’un compliment, d’une de ces pa-
roles bienveillantes qui, prononcées en public, peuvent être prises sim-
plement pour l’exagération d’un sentiment de sympathie. Il fit mieux, et
l'Ius d une lois il se divertit, [tendant les heures de* loisir, heures d’étude
encore pour ce grand travailleur, à copier des dessins de Daumier, de ces
scènes de baigneurs dont nous parlerons, et où le caricaturiste interprète
a sa façon l’anatomie humaine. Delacroix copiant Daumier, c’est-à-dire
proclamant qu’il y avait, pour un maître tel que lui, encore quelque chose
à apprendre à son école, c’est une précieuse leçon de modestie, pour les
artistes et surtout une consécration sans réplique du talent de Daumier.
Car nous n’en sommes plus, n’est-ce pas ‘? à discuter avec ceux qui
s’obstinent à ne pas considérer Delacroix comme un dessinateur.

C’était, dans cette merveilleuse atmosphère d’art que Daumier
vivait et travaillait, soutenu par l’estime et l’admiration de maîtres. Il
devait être à sa façon le porte-parole de leurs idées d’indépendance, ou
tout au moins servir leur cause en habituant le public à rire de tout
ce qui régnait alors de préjugés, à rire des écoles conservatrices du pon-
cif, à rire au besoin des artistes et de, quelques-unes de leurs manies, en-
fin à rire de soi-même et de l’effarement bourgeois devant les œuvres li-
bres et inspirées.

Du resté, M. Arsène Alexandre, dans le chapitre précédent,
avait étudié Daumier au théâtre, et il l’avait suivi, dans les cou-
lisses, observant ce monde bizarre des comédiens.Il y a là encore
des anecdotes charmantes :

•...Il est généralement de bonne composition, cet excellent public, et
nul n’a saisi comme Daumier son ébahissement ou son énnytion. Peut-être
serait-il un peu plus rebelle s’il se doutait de ce qui se passe dans la cou-
lisse, au moment même où il y va de sa larme. Le dessinateur n’a eu
garde d’ometti e. ces petites misères (Croquis dramatiques, passim, de
1852 à 1857). Il nous a montré par exemple l’avertisseur arrachant Aga-
meinnon aux délices d’une partie de piquet ; le régisseur flanquant à
l’amende une tête couronnée ; une vieille matrone en tartan à carreaux
qui derrière un portant contemple sa fille, une danseuse des plus élégan-
tes et s’écrie : « Dire que moi aussi, j'ai été espagnole ! » Daumier était
le spectateur par excellence, car il saisissait à la fois ce qui se passait
dans la salle, sur le théAtre et à la cantonade. 11 a vu et exprimé, avec sa
justesse et son entrain, ces scènes de jalousie conjugale devant le ballet,
ces tètes frissonnantes au passage pathétique, ces gros rires qui dilatent
les rates et épanouissent les visages congestionnes.

De fait, il la sentait admirablement, cette foule, et il se rendait compte
avec une finesse remarquable des impressions diverses qui l’agitaient. Un
de ses amis nous a raconté, Ace sujet, un trait assez caractéristique.

Sous l’Empire, un jour de représentation gratuite, ils allèrent ensemble
à la Comédie-Française où Ton donnait le Cid et Tartuffe. Pendant la re-
présentation, ce qui frappa surtout Daumier, et ce qu’il fit remarquer
A son compagnon, c’était le tact et le bon sens de ce public qui applau-
dissait souvent A de beaux endroits oubliés par les critiques, et négligeait
au contraire bien des prétendues beautés. Il expliqua alors le théâtre
comme il le comprenait, en dehors des conventions et des partis pris,
et bien que Daumier ne se piquât pas autrement de critique, peut-être
jilus d’un homme du métier aurait-il trouvé profit à entendre ce feuille-
ton parlé.

En tous les cas, il eut ce mérite de contribuer à déblayer l’art drama-
tique de ses vieilleries, et de préparer, par l’éclat de rire que sa plaisan-
terie souleva, le courant d’observation moderne qui allait s’introduire
dans le théAtre. arsène Alexandre

Le gérant : SILVESTRE

Paris. — Glyplographie SILVESTRE 4 C*’, rue Oberkampf, Ü7
 
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