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L' art français: revue artistique hebdomadaire — 2.1888-1889 (Nr. 54-105)

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No. 90 (12 Janvier 1889) – No. 99 (16 Mars 1889)
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https://doi.org/10.11588/diglit.25561#0163
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L'ART FRANÇAIS

Au sujet de cette page-maîtresse, décisive, le Temps disait, le
12 janvier dernier : « Les Nuits de Lavieille furent fort remar-
quées. Firmin javel lui donna un nom qui devait lui rester.
Eugène Lavieille tut le peintre de la nuit ».

Beaucoup de nos confrères ont confirmé la note du Temps, et
je les remercie profondément d’avoir ainsi associé mon nom à
celui du grand artiste qui, en effet, m’appelait en riant : « Mon
parrain ! » Oui, Lavieille peignit magistralement « ces premières
heures de la nuit où, dans l’effacement graduel des couleurs et
des formes, dans la sérénité du ciel, dans le calme de l’atmos-
phère, dans l’extinction de tous les bruits de la vie, une sorte
d’apaisement recueilli sort de la nature entière », ces heures où
il semble qu’on « entende le silence » et qui font penser aux
strophes dont le poète jurassien, Félix Jeantet, paraphrase un-
paysage d’Auguste Pointelin :

...O paisible terre... personne
N'interrompt ton calme sacré.

Souples lointains, rumeurs profondes,

Pourtant ce calme est fait de bruits :

C’est peut-être en croissant les fruits,

En germant les graines fécondes.

En s'enchaînant aux jours les nuits.

C’est peut-être en vivant les mondes !

L’effort de ta fertilité
En ta matrice couvant l’être.

Il semble qu’on l'entende naître
En ce paysage écarté.

Et qu’un grand verbe vous pénètre
Qui chante ta maternité !

Ces beaux vers pourraient tout aussi bien s’adresser aux Nuits
d’Eugène Lavieille qu’aux paysages jurassiens de M. Pointelin,
un grand poète aussi, celui-là.

J’ai promis de parler non-seulement de l’œuvre de Lavieille,
mais aussi de son caractère.

Son œuvre, don: on a vu le début, s’achève au Salon de 1888
pù figuraient : la Nuit à Gourpalay (Seine-et-Marne) et le Tfepos
de la terre, premières neiges. Depuis plusieurs années, chaque ex-
position était pour lui l’occasion d’un nouveau succès, j’espère
qu’ayant peu le public sera mis à même de revoir dans un en-
semble aussi complet que possible, cet œuvre qui représente un
demi-siècle d’étude constante. Malheureusement, le panneau
commandé pour l’Hôtel de Ville n’a pu être terminé, et le pein-
tre de la nuit ne figurera pas dans cette belle décoration pour la-
quelle on a fait appela tous les maîtres de l’école française actuelle.

Quant au caractère d’Eugène Lavieille, rien ne l’explique, ne
le définit mieux que la lettre suivante, datée de 1873 :

« A mon très cher et vénéré maître monsieur Corot.

»Les tableaux que je réunis aujourd’hui sont l’œuvre de six années.

» Tant qu’a duré ce travail, je n’ai pas cessé d’avoir présent à
l’esprit le souvenir de vos excellents conseils, de vos salutaires
encouragements.

» En vous offrant ici un public hommage de ma gratitude, je ne
fais que reconnaître la dette de toute ma vie.

» Si ce travail obtient quelque succès, qu’il vous soit attribué.

» A vousdonc,mon bon et vénéré maître, je dédie mon œuvre.

» EUGÈNE LAVIEILLE. »

N’y a-t-il pas tout un homme dans ces quelques lignes si cor-
diales ? Mais je serais injuste en passant sous silence le parallèle
établi par M. Arsène Alexandre, l’excellent critique de Taris, en-
tre la proverbiale bonté de Corot et celle'de Lavieille, qui fut, lui
aussi, un cœur d’or :

« Chez Eugène Lavieille, la bonté fut la dominante, Corot,
son maître, lui avait transmis de ce charme si attirant que pas un
de ceux qui l’ont connu ne peuvent se rappeler sans attendrisse-
ment. Cependant, il y avait une nuance : la bonté de Corot était
souriante, épanouie ; celle de Lavieille eut quelque chose de plus
timide, de plus mélancolique. Et la nuance se retrouve dans leurs
œuvres. Corot, le maître radieux des aurores, avec toutes les
gammes de leurs roses et de leurs argents; Lavieille, le peintre
incontesté des nuits, avec leur silence si grave, leurs clairs de
lune si pâles ! »

« Que de fois le bon Lavieille m’a conté avec ravissement les
grandes promenades, véritables escapades de noctambules, qu’il
fit avec son maître vénéré ! C’était au retour de ces dîners d’a-
mis où l’on chantait à pleine poitrine, où l’on disait des vers, où
l’on, se passionnait pour les discussions artistiques. On ne pouvait
se résoudre à se séparer, et Ton §e reconduisait à perte de vue, re-
venant toujours sur Delacroix, sur Mossieu Ingres, sur Victor
Hugo, sur Baudelaire. »

Baudelaire et Théophile Gautier furent, comme on sait, les
fervents admirateurs de Lavieille, qui aura, de plus, l’inoubliable
honneur d'avoir été deviné par le maître de Viile-d’Avray.

- l Mjtt====^-C---——

EDMOND HÉDOÜSN

Nous apprenons 3a mort, à l’âge de 68 ans, d’Edmond Bédouin, l’éminent
aquafortiste qui avait obtenu 3a médaille d’honneur de gravure au Salon
de 1888.

Bédouin, dont les illustrations si connues figurent dans la bibliothèque de
tous les gens de goût, avait débuté par la peinture. Le musée du Luxembourg
possède un tableau de lui,

Edmond Bédouin était chevalier de la Légion-d’honne^ir.

« Au nom seul de bacchantes, l'imagination des artistes modernes s’en-
flamme ; ils ne croient jamais rendre avec assez de force la fureur et
l’ivresse de ces femmes perdues de luxure etde vin, et ils donnent à leurs
visages des traits aussi forcés que le sont les attitudes -de leurs corps. »

Celte observation est d’Antoine Mongez, qui s’appuie lui-même sur
celles de Winekeimann. Le grand arçhéoiogue de Brandebourg pensait,
effectivement, que ces caricatures sont contraires à l’idée de la joie que
les anciens exprimaient sur les monuments. Cette joie n’était jamais écla-
tante ; c’était l’expression simple et douce du contentement et de la séré-
nité de l’âme.

« Sur le visage d’une bacchante, on ne voit brûler pour ainsi dire que
l’aurore de la volupté ».

N’est-ce pas îà le sentiment qui a inspiré à M. Eugène Arrondelle, chef
du moulage au musée du Louvre, le Buste de Bacchante que nous pu-
blions aujourd’hui ? Quelle jeunesse rayonnante dans cette belle figure
que le pampre couronne, et où l’on distingue nettement le « sourire
mystérieux et les yeux moqueurs de l’ivresse sacrée » dont parle Théophile
Gautier.

Comment cette œuvre d’un artiste ardent, sincère, aussi original
créateur qu’habile praticien, a-t-elle pu être méconnue, lorsqueüe parut
devant le jury du Salon ? C’est ce que je ne me charge pas d’expliquer.
Toujours est-il qu’on ferait une belle exposition avec les ouvrages refu-
sés aux Salons de ces vingt ou trente dernières années. On la lerait en-
core plus admirable en remontant jusqu’en 1830, puisque Barye. Dela-
croix, Diaz, Millet, Corot, et tout ce que cette époque merveilleuse a pro-
duit de génies i adieux, ont tour à tour été glorieusement repoussés par
ces impeccables jurés officiels. M. Arrondelle a été reçu à deux reprises
différentes, et il a ét4 exclu souvent, on dirait presque systématiquement.
Qu’il se console, car il est en bonne compagnie. Qu’Il continue, surtout,de
consacrer à la sculpture ce qu’il appelle ses moments perdus, et que nous
appellerons, nous, ses moments trouvés.

Le tableau de M. René Gilbert, l’un des plus remarqués au dernier Sa^-
lon,nous fait littéralement pénétrer dans Y Atelier de teinture à la manu-
facture des Gobelins. C’est la vérité même. C’est l’attitude exacte, natu-
relle, des personnages, de ces ouvriers altistes, de ces ouvriers savants
qui étudient, attentifs, la nuance obtenue dans la teinte d’un écheveau.
C’est l’atmosphère de cette salie embuée de vapeur. C’est la vie moderne
ennoblie par une interprétation absolument magistrale, lé Atelier de
teinture a valu à M. René Gilbert une médaille de deuxième classe, et l’on
peut dire que le jury s’est honoré en la lui décernant.

Une sortie de classe, de M. Geoffroy, est une page suggestive, car il
suffit de considérer un moment ces physionomies d’écoliers pour y pres-
sentir déjà des caractères d’hommes ; déjà les femmes, les épouses, les
mères « percent » sous ces fillettes aux expressions diverses, comme Na-
poléon, au dire du poète, « perçait » sous Bonaparte.

Le plus typique de ces enfants n’est-il pas celui qui s’avance, la têt**
baissée, les mains dans ses poches de pantalon et serrant sous son bras
un parapluie dont il dédaigne l’usage — bien qu’il pleuve ! Celui-là sera
un philosophe. Que dis-je ? C’en est un !

A côté du Collier de misère, œuvre du même artiste, dont nos lecteurs
n’ont certainement pas oublié le caractère dramatique, cette jolie comédie
enfantine d’Une sortie de classe montre le grand talent de M. Geoffroy
sous un aspect tout dilïérent. Néanmoins ses toiles sont comme autant du
pages d’un même livre, d’une écriture bien personnelle et où l’intérêt ne
faiblit jamais.

Le Gérant : S1LVESTRE

Paris, — Glyptograpliie SILVESTRE k Cu, rue Obcrkampf, 97
 
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