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Troisième année. — N° 130

LE NUMÉRO : 15 CENTIMES

19 Octobre 1889

L'ART FRANÇAIS

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I

Texte par Firmin Javel

Illustrations de MM. SILVESTRE & Cie, par leur procédé de Glyptographie

Bureaux : 97, rue Oberkampf, a Paris

ABONNEMENTS. — Paris : un an, 9 francs; six mois, S francs. — Départements : un an, 10 francs; six mois, 6 francs.

B AS TI EN LEPAGE

Au moment où ta France artistique et la Lorraine viennent d’inaugurer
à Damvillers (Meuse) son pays
natal, la statue de Bastien Le-
page, œuvre du grand statuaire
Auguste Rodin, nous avons la
bonne fortune de pouvoir offrir à
nos lecteurs quelques lignes spiri-
tuellement émues de notre ami et
éminent confrère Paul Arène. Ce
sont des notes personnelles, des sou-
venirs intimes ou le peintre des
Foins, revit dans la physionomie
familière de ses débuts et qui
apportent le meilleur commentaire
à l’œuvre de Rodin. F. j.

C’est chez MUe Anna, au res-
tlurant du Rocher, que je connus
Bastien Lepage. Rue Saint-Be-
noit, en lace de l’impasse des
Trois-Anges. Un de ces endroits
comme on en trouve encore aux
alentours de l’école des Beaux-
Arts, et où des générations de
jeunes sculpteurs et d’élèves pein-
tres préparent ingénument, sans
craindre les revanches de l’esto-
mac ni de la vie, leurs gastrites
d’hommes arrivés. Malgré l’éco-
nomique médiocrité de la nour-
riture, nous avions pris l’habi-
tude, Monseiet et moi, de venir
dîner au Rocher, une fois ou
deux par semaine, attirés un peu
par la rustique cordialité de la
patronne, Auvergnate aux yeux
de braise, compatissante et brus-
que, qui se désséchait d’ennui
derrière son comptoir en rêvant
d’acheter une ferme dans la mon -
tagne, attirés surtout par la belle
humeur, les allures pittoresques
du public.

Des prix de Rome de de-
main, de futurs membres de l’Ins-
titut, bons compagnons en at-
tendant et riches uniquement
d’espérance , car la famille de
province n’est pas souvent mil-
lionnaire, et les pensions que
servent les villes natales ne dé-
passent guère cent francs par
mois.

Des femmes aussi, types ca-
rieux, moitié modèles, moitié maîtresses, adoptées par un atelier, pro-
menées partout en camarades, avec des cerveaux restés enfantins, une
façon originale de voir la vie 1 — «Vous connaissez Burdin? nous disait
l une d’elles, il m’avait promis de m' envoyer un perroquet d’Ahf-én-

Savoie ; mais il paraît que les perroquets sont tous morts cet hiver,
dans la montagne, à cause des neiges... » Pauvre fille si naïvement
fièred’avoir tenu — juste le temps d’en user le fond— une boutique
de parfumerie, et qui faisait inscrire sur ses cartes, en un gothique

plein d’emphase : Madame ‘Ber-
thoné, ancien négociant ! }e me
rappelle encore une énigmati-
que zingara pomponnée de ru-
bans voyants, le cou chargé de
colliers reluisants et sonores ; et
une petite ouvrière, une fleu-
riste, active et vive comme une
mésange, dont les cheveux, sui-
vant la couleur des fleurs fabri-
quées, étaient un jour du plus
beau vert, un autre jour du plus
remarquable écarlate.

On se lie vite sur la rive gau-
che; au boutd’une semaine, tout
naturellement, nous -étions de-
venus les amis de cette aimable
et folle jeunesse que notre grand
âge, apparemment, n’effarou-
chait point. Peintres et sculp-
teurs daignèrent causer avec
nous, et même parfois nous
inviter au fraternel vin chaud
des bienvenues. L’architecture
seule boudait, — encore ne bou-
da-t-elle pas longtemps, — à
cause d’une chanson improvisée
un soir pour montrer notre
compétence dans les affaires
esthétiques et dont Alma Rouch
composa l’air : — Oui, la di-
vine architecture ■— Est sans con-
tredit un bel art...

Joies innocentes auxquelles
parfois daignèrent sourire des
visiteurs intermittents et relative-
ments plus graves que notre pré-
sence amenait : Gustave Ma-
thieu, accompagné du fidèle
Prosper Marins, Henri d’Er-
ville, Carjat, Léon Charly, col-
lectionneur et poète ; Léonce
Petit, infidèle pour un soir au
buffet alsacien de la rue Jacob ;
qui encore ? Charles Frémine,
Cladel, Alphonse Daudet, Fer-
dinand Fabre, qu’on y vit une
fois ou deux ; Mario Proth, par-
ticulièrement entouré à cause du
Salon à la Diderot qu’il pu-
bliait alors en brochure , et
Théophile Silvestre, admirable
causeur et superbe écrivain,
broussailleux et fleuri comme
an ajonc de lande, pariant de
Rousseau, de Millet, et retrouvant toute sa verve à raconter, coudes
sur table, les grands morts qu’il avait connus.

Parmi les auditeurs , dont plusieurs sont déjà célèbres, nous
avions tout de suite remarqué Bastien Lepage, tel déjà qu’il devait res-
 
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