l’art français
son fruit savoureux et velouté. Les tempéraments
vraiments instinctifs et puissants se révélent précisé-
ment dans cette unité de production qui les fait
semblables à des arbres fertiles. D’autres, parmi les
chagrins, ont trouvé qu’il ne se préoccupait pas suf-
fisamment du sujet. Le critique Chesneau trou-
vait aussi que M. Ingres « ne mettait pas assez de
pensée » dans ses figures nues. C’est ignorer que
le peintre et le sculpteur, voire le musicien et le
poète, doivent se contenter de susciter simplement
la pensée. Or, je ne sais personne qui y arrive au
même point que cet admirable Henner. Cette figure
qu’il appelle cette année : Mélancolie, ne porte-t-elle
pas, en elle, un monde de rêves ? un rayonnement
intérieur n’est-il pas en elle, dont on se sent subtile-
ment pénétré ? Tous les portraits de femmes de
Henner ont cette qualité maîtresse. Ils vous regar-
dent vraiment, ils vous interrogent, ils vous émeuvent.
Et quel charme purement plastique, avec cela, dans
cette exécution d’une sobriété magistrale, sans re-
cherches puériles d’empâtement, si simple en appa-
rence, dans sa sécurité, si savante, au fond, dans son
éclat !
Dans le Salon mutilé du Palais de l’Industrie,
dans cette Exposition qui demeure surtout un temple
de l’enseignement, la personnalité vivante, vibrante,
triomphale de Henner met la note vraiment la plus
élevée et, plus haut que la gloire des écoles, sa propre
gloire y chante magnifiquement.
Armand Silvestre.
L’ART FRANÇAIS
«A l'irmin Javel.
Mon cher Directeur et ami,
Vous me demandez de me joindre aux maîtres écrivains que
vous avez réunis autour de vous, pour fêter une nouvelle année
de votre charmante et utile publication. Si j’accepte cet honneur,
ce n’est pas, loin de là, que je croie le mériter ; mais ma passion
pour la cause que vous défendez est si forte, que je profite de
cette amicale occasion pour en taire profession une fois de plus»
L’^Art français ! Vous avez adopté là une merveilleuse enseigne.
On ne sait pas, on n’est pas près de savoir tout ce que ces deux
mots représentent d’œuvres admirables, de hauteur et d’origina-
lité dans la conception, d’habileté et de conscience dans la main-
d’œuvre, d’esprit hardi et fier. Nous sommes trop riches, voyez-
vous, mon cher Javel, et comme les enfants que l’on comble de
trop beaux joujous, il faut toujours que nous admirions la pou-
pée de treize sous que l’on vend dans le bazar voisin. Ce bazar,
ç’a été, pour notre malheur, l’antiquité grecque ou romaine et
l’Italie de la Renaissance. Nous avons failli crever d’italianisme.
C’est à peine si nous nous relevons de cette maladie. Mais,
malgré les ravages qu’elle a excercés chez nous, il nous reste
encore assez de quoi nous consoler.
Le musée de sculpture du Trocadéro, grâce à des passionnés
d’art national, comme Geoffroy Deehaumes, Antonin Proust, les
regrettés Viollet-le-Duc, Castag.nary, du Sommerard, a fini
par révéler au public la gloire de nos vieux imagiers. L’amour du
bibelot a attiré l’attention sur les créations délicieuses d’ouvriers
qui étaient de grands artistes, et qui laissaient, sur le mobilier et
ses accessoires, leur empreinte expressive et forte. Je ne parle pas
des écrivains qui sont aussi drus, aussi savoureux, aussi ingénus
que profonds.
Ce fut pour notre malheur qu’un vent d’italianisme souffla
là-dessus pour l’élégantifier et l’affadir. Et pourtant, malgré cette
influence qui faillit faire sombrer notre génie national, en dépit
des réminiscences qui les hantaient, ces hommes de la Renaissance
nous enjôlent, nous séduisent par leur distinction et leur bonne
grâce. Enfin aux pires époques, convention guindée ou conven-
tion minaudière, nous voyons toujours de vrais Français, des
hommes du terroir, surgir et parler leur sain et vigoureux lan-
gage. Les frères Le Nain, Puget, Chardin, Latour, David dans
ses bons moments, pour n’en citer qu’une pincée, sont frères de
La Fontaine, de Molière, de Diderot.
Et maintenant, ami, quelle poussée.! Comme ceux, qui dou-
tent du résultat de nos efforts et de nos fièvres, sont aveugles !
On voudrait les compter. « Ils sont trop ! » comme -disait le
grenadier de Waterloo.
Mais, puisque vous combattez ce fécond et bon combat, il est
deux choses sur lesquelles vous ne sauriez trop souvent revenir.
La première est la nécessité d’instituer l’éducation des jeunes
artistes sur un principe exclusivement national. Le remplacement
du prix de Rome par le prix-de France, tel est l’avenir et le but.
Il faudrait qu’un jeune- peintre ou un jeune sculpteur, pourvu
d’un prix ou d’une bourse de voyage, passât trois ans et neuf mois à
étudier nos vieilles cathédrales, nos musées, nos maisons de ville,
nos reliques de toutes sortes,nos forets,nos plaines,nos montagnes,
nos côtes. Cette bonne besogne faite, les trois derniers mois de la
quatrième annèt pourraient être consacrés a un petit tour à Florence
et à Venise. Le bon M. Delaborde n’aurait plus alors, je vous en
réponds, à gémir chaque année sur la faiblesse croissante des
envois de la Ville éternelle et. éternellement assommante.
L’autre campagne à faire, c’est la réintégration au rang d ar-
tistes, des vaillants ouvriers d’art que nous ne savons pas encore
honorer comme ils le méritent.. Songez-vous, sans révolte, à cette
conséquence de nos règlements de Salons; Cellini serait refusé
comme industriel (Barye a bien été exclu comme orfèvre, quand
il présenta ses Chasses ! ) Palissy serait dédaigneusement renvoyé
au faubourg Poissonnière, et Boule au faubourg Saint-Antoine.
Eh bien, le jour où nous aurons.obtenu l’entrée au Salon, d ar-
tistes qui valent ces ancêtres, dites bien à vos lecteurs que ce
sera non pas une révolution, mais une simple rentrée en possession
d’un droit absolu.
Voilà, mon cher ami, quelques bribes des réflexions que me
susuère chaque fois votre beau titre d Mrt français.
Il faut que, nous inspirant de dix siècles de merveilleuse pro-
duction, malheureusement pas toujours respectee ni compiise,
nous soyons nous-mêmes, avec férocité.
Ce n’est pas du chauvinisme, c’est simplement de la clair-
voyance et de l’intérêt bien entendu.
Arsène Alexandre.
son fruit savoureux et velouté. Les tempéraments
vraiments instinctifs et puissants se révélent précisé-
ment dans cette unité de production qui les fait
semblables à des arbres fertiles. D’autres, parmi les
chagrins, ont trouvé qu’il ne se préoccupait pas suf-
fisamment du sujet. Le critique Chesneau trou-
vait aussi que M. Ingres « ne mettait pas assez de
pensée » dans ses figures nues. C’est ignorer que
le peintre et le sculpteur, voire le musicien et le
poète, doivent se contenter de susciter simplement
la pensée. Or, je ne sais personne qui y arrive au
même point que cet admirable Henner. Cette figure
qu’il appelle cette année : Mélancolie, ne porte-t-elle
pas, en elle, un monde de rêves ? un rayonnement
intérieur n’est-il pas en elle, dont on se sent subtile-
ment pénétré ? Tous les portraits de femmes de
Henner ont cette qualité maîtresse. Ils vous regar-
dent vraiment, ils vous interrogent, ils vous émeuvent.
Et quel charme purement plastique, avec cela, dans
cette exécution d’une sobriété magistrale, sans re-
cherches puériles d’empâtement, si simple en appa-
rence, dans sa sécurité, si savante, au fond, dans son
éclat !
Dans le Salon mutilé du Palais de l’Industrie,
dans cette Exposition qui demeure surtout un temple
de l’enseignement, la personnalité vivante, vibrante,
triomphale de Henner met la note vraiment la plus
élevée et, plus haut que la gloire des écoles, sa propre
gloire y chante magnifiquement.
Armand Silvestre.
L’ART FRANÇAIS
«A l'irmin Javel.
Mon cher Directeur et ami,
Vous me demandez de me joindre aux maîtres écrivains que
vous avez réunis autour de vous, pour fêter une nouvelle année
de votre charmante et utile publication. Si j’accepte cet honneur,
ce n’est pas, loin de là, que je croie le mériter ; mais ma passion
pour la cause que vous défendez est si forte, que je profite de
cette amicale occasion pour en taire profession une fois de plus»
L’^Art français ! Vous avez adopté là une merveilleuse enseigne.
On ne sait pas, on n’est pas près de savoir tout ce que ces deux
mots représentent d’œuvres admirables, de hauteur et d’origina-
lité dans la conception, d’habileté et de conscience dans la main-
d’œuvre, d’esprit hardi et fier. Nous sommes trop riches, voyez-
vous, mon cher Javel, et comme les enfants que l’on comble de
trop beaux joujous, il faut toujours que nous admirions la pou-
pée de treize sous que l’on vend dans le bazar voisin. Ce bazar,
ç’a été, pour notre malheur, l’antiquité grecque ou romaine et
l’Italie de la Renaissance. Nous avons failli crever d’italianisme.
C’est à peine si nous nous relevons de cette maladie. Mais,
malgré les ravages qu’elle a excercés chez nous, il nous reste
encore assez de quoi nous consoler.
Le musée de sculpture du Trocadéro, grâce à des passionnés
d’art national, comme Geoffroy Deehaumes, Antonin Proust, les
regrettés Viollet-le-Duc, Castag.nary, du Sommerard, a fini
par révéler au public la gloire de nos vieux imagiers. L’amour du
bibelot a attiré l’attention sur les créations délicieuses d’ouvriers
qui étaient de grands artistes, et qui laissaient, sur le mobilier et
ses accessoires, leur empreinte expressive et forte. Je ne parle pas
des écrivains qui sont aussi drus, aussi savoureux, aussi ingénus
que profonds.
Ce fut pour notre malheur qu’un vent d’italianisme souffla
là-dessus pour l’élégantifier et l’affadir. Et pourtant, malgré cette
influence qui faillit faire sombrer notre génie national, en dépit
des réminiscences qui les hantaient, ces hommes de la Renaissance
nous enjôlent, nous séduisent par leur distinction et leur bonne
grâce. Enfin aux pires époques, convention guindée ou conven-
tion minaudière, nous voyons toujours de vrais Français, des
hommes du terroir, surgir et parler leur sain et vigoureux lan-
gage. Les frères Le Nain, Puget, Chardin, Latour, David dans
ses bons moments, pour n’en citer qu’une pincée, sont frères de
La Fontaine, de Molière, de Diderot.
Et maintenant, ami, quelle poussée.! Comme ceux, qui dou-
tent du résultat de nos efforts et de nos fièvres, sont aveugles !
On voudrait les compter. « Ils sont trop ! » comme -disait le
grenadier de Waterloo.
Mais, puisque vous combattez ce fécond et bon combat, il est
deux choses sur lesquelles vous ne sauriez trop souvent revenir.
La première est la nécessité d’instituer l’éducation des jeunes
artistes sur un principe exclusivement national. Le remplacement
du prix de Rome par le prix-de France, tel est l’avenir et le but.
Il faudrait qu’un jeune- peintre ou un jeune sculpteur, pourvu
d’un prix ou d’une bourse de voyage, passât trois ans et neuf mois à
étudier nos vieilles cathédrales, nos musées, nos maisons de ville,
nos reliques de toutes sortes,nos forets,nos plaines,nos montagnes,
nos côtes. Cette bonne besogne faite, les trois derniers mois de la
quatrième annèt pourraient être consacrés a un petit tour à Florence
et à Venise. Le bon M. Delaborde n’aurait plus alors, je vous en
réponds, à gémir chaque année sur la faiblesse croissante des
envois de la Ville éternelle et. éternellement assommante.
L’autre campagne à faire, c’est la réintégration au rang d ar-
tistes, des vaillants ouvriers d’art que nous ne savons pas encore
honorer comme ils le méritent.. Songez-vous, sans révolte, à cette
conséquence de nos règlements de Salons; Cellini serait refusé
comme industriel (Barye a bien été exclu comme orfèvre, quand
il présenta ses Chasses ! ) Palissy serait dédaigneusement renvoyé
au faubourg Poissonnière, et Boule au faubourg Saint-Antoine.
Eh bien, le jour où nous aurons.obtenu l’entrée au Salon, d ar-
tistes qui valent ces ancêtres, dites bien à vos lecteurs que ce
sera non pas une révolution, mais une simple rentrée en possession
d’un droit absolu.
Voilà, mon cher ami, quelques bribes des réflexions que me
susuère chaque fois votre beau titre d Mrt français.
Il faut que, nous inspirant de dix siècles de merveilleuse pro-
duction, malheureusement pas toujours respectee ni compiise,
nous soyons nous-mêmes, avec férocité.
Ce n’est pas du chauvinisme, c’est simplement de la clair-
voyance et de l’intérêt bien entendu.
Arsène Alexandre.