Quatrième année. — N° 164.
LE NUMÉRO : 25 CENTIMES
SAMEDI 14 JUIN 1890
L'A RT FRANÇAIS
Directeur littéraire ;
FIRMIN JAVEL
Revue Artistique Hebdomadaire
Bureaux : .97 , rue Oberkampf, à Paris
Directeurs artistiques:
SILVESTRE & O
ABONNEMENTS. — Paris & Départements : un an, 12 francs; six mois, 7 francs. — Union Postale : un an, 15 francs; six mois, 8 lianes.
NOS ILLUSTRATIONS
ADIEU, groupe plâtre, par M. Georges Loiseau.
L’exposition de sculpture, au Salon des Artistes français, est fort remar
quable, ainsi qu’on a pu s’en con-
vaincre déjà par.les reproductions,
publiées ici même, de la «Femme
au paon » et de la « Jeane algé-
rienne », de MM. Falguière et Bar-
rias.
La « Sirène »r le beau groupe
en marbre de M. Denys Puech,
d'un si grand style et qui vient de
remporter une médaille de pre-
mière classe, est également une
œuvre de valeur. Nous la donne-
rons prochainement, ainsi que d’au-
tres morceaux qui ajoutent à l’éclat
de cette exposition.
Nous sommes heureux de met-
tre aujourd’hui sous les yeux de
nos lecteurs le groupe de M. Geor-
ges Loiseau : « Adieu 1 » L’excel-
lent artiste a traduit, avec une
magistrale concision, la poignante
angoisse d’une mère donnant à son.
fils le baiser suprême.... On ne sau-
rait demeurer indifférent devant
cette marque de tendresse auguste,
devant cette douleur sacrée qui
ennoblit tout, et que le sculpteur a
symbolisée dans une forme d’une
admirable pureté.
LE RÊVE, par M. de Ricbtmont.
M. Alfred de Richement vient
d’obtenir une médaille de première
classe avec son grand tableau : le
« Rêve », que l'on trouvera à notre
seconde page.
Le seul reproche à faire à cette
peinture, si. c’est un reproche, ce
serait de s’être un peu trop effacée
dans l’expression de la pensée du
poète. On connaît le roman de
M. Zola, on n'a pas oublié le charme
de ce poème en prose. La présence
de Félicien dans la chambre d’An-
gélique a laissé, dans nos souve-
nirs, la trace d’une vision, et c’est
bien ainsi que le peintre l’a inter-
prétée. De même avait fait M.Jean-
niot, dans sa remarquable illustration
du roman publié, d’abord, par la revue de M. Baschet.
On se rappelle ce passage :
<r C’était un étourdissement de bonheur, une première minute
ov'i ils oubliaient tout, pour n’étre qu’à cette certitude de s'
SALON DES CHAMPS-ÉLYSEES
se le dire. Les souffrances de la veille, les obstacles du lendemain avaient disparu ;
ils ne savaient comment ils étaient là ; mais ils y étaient, ils mêlaient leurs douces
larmes, ils se serraient d’une étreinte chaste, lui éperdu de pitié, elle si émaciée
par le chagrin, qu’il n’avait d’elle entre les bras, qu’un souffle! Dans l’enchante-
ment de sa surprise, elle restait comme
Georges Loiseau.
d’allégresse absolue
irne-r encore,- et de
paralysée, chancelante et bienheureuse
au fond de son fauteuil, ne retrouvant
pas ses membres, ne se soulevant à
demi que pour retomber, sous l’ivresse
de la joie.
— Ah ! cher seigneur, mon désir
unique est accompli : je vous aurai revu
avant de mourir.
Il releva la tête, il eut un geste
d’angoisse.
— Mourir!,.. Mais je ne veux pas 1
Je suis là, je vous aime.
Elle souriait divinement.
— Oh 1 je puis mourir, puisque vous
m’aimez. Cela ne’ m’effraie plus, je
m’endormirai ainsi sur votre épaule...
Dites-moi encore que vous m’aimez.
Je vous aime, comme je vous aimais
hier, comme je vous aimerai demain...
N’en doutez jamais, cela est pour l’éter-
nité.
— Oui, pour l’éternité, nous nous
aimons.
Angélique, extasiée, regardait devant
elle, dans la blancheur de la chambre.
Mais, peu à peu, un réveil la rendit
grave... »
Telle est 3a scène que M.de Ri-
chemont a voulu évoquer, au sortir
d’une lecture, et retracer sur la toile
dans la sincérité de sa vision. L’é-
cueil d’une telle entreprise est de
nous imposer un type idéal diffé-
rent du nôtre. Déjà M. Jeanniot et
M. de Richement sont en désac-
cord sur le caractère et les traits du
visage d'Angélique, et chacun de
nous a le droit de se figurer à sa
guise l’héroïne de M. Zola. D’ail-
leurs, le tableau qui vient d’être
l’objet d’une si haute distinction
renferme quelques-unes des qualités
sérieuses que la critique, à plusieurs
reprises, a reconnues au peintre du
« Rêve ».
tyidit’U LL PRINTEMPS, par M. Jean Gigvnx
La figure nue exposée par M. Jean
Gigoux emprunte son titre à l’exclamation du poète;'« O printemps, jeunesse
de la vie !... ».
Cette ravissante fillette rayonne de jeunesse, en effet. C’est l’œuvre d’un
artiste toujours vaillant, toujours épris de belle passion pour la Vie sous toutes
ses formes. C’est surtout l’œuvre d’un interprète enthousiaste et subtil, d'un
LE NUMÉRO : 25 CENTIMES
SAMEDI 14 JUIN 1890
L'A RT FRANÇAIS
Directeur littéraire ;
FIRMIN JAVEL
Revue Artistique Hebdomadaire
Bureaux : .97 , rue Oberkampf, à Paris
Directeurs artistiques:
SILVESTRE & O
ABONNEMENTS. — Paris & Départements : un an, 12 francs; six mois, 7 francs. — Union Postale : un an, 15 francs; six mois, 8 lianes.
NOS ILLUSTRATIONS
ADIEU, groupe plâtre, par M. Georges Loiseau.
L’exposition de sculpture, au Salon des Artistes français, est fort remar
quable, ainsi qu’on a pu s’en con-
vaincre déjà par.les reproductions,
publiées ici même, de la «Femme
au paon » et de la « Jeane algé-
rienne », de MM. Falguière et Bar-
rias.
La « Sirène »r le beau groupe
en marbre de M. Denys Puech,
d'un si grand style et qui vient de
remporter une médaille de pre-
mière classe, est également une
œuvre de valeur. Nous la donne-
rons prochainement, ainsi que d’au-
tres morceaux qui ajoutent à l’éclat
de cette exposition.
Nous sommes heureux de met-
tre aujourd’hui sous les yeux de
nos lecteurs le groupe de M. Geor-
ges Loiseau : « Adieu 1 » L’excel-
lent artiste a traduit, avec une
magistrale concision, la poignante
angoisse d’une mère donnant à son.
fils le baiser suprême.... On ne sau-
rait demeurer indifférent devant
cette marque de tendresse auguste,
devant cette douleur sacrée qui
ennoblit tout, et que le sculpteur a
symbolisée dans une forme d’une
admirable pureté.
LE RÊVE, par M. de Ricbtmont.
M. Alfred de Richement vient
d’obtenir une médaille de première
classe avec son grand tableau : le
« Rêve », que l'on trouvera à notre
seconde page.
Le seul reproche à faire à cette
peinture, si. c’est un reproche, ce
serait de s’être un peu trop effacée
dans l’expression de la pensée du
poète. On connaît le roman de
M. Zola, on n'a pas oublié le charme
de ce poème en prose. La présence
de Félicien dans la chambre d’An-
gélique a laissé, dans nos souve-
nirs, la trace d’une vision, et c’est
bien ainsi que le peintre l’a inter-
prétée. De même avait fait M.Jean-
niot, dans sa remarquable illustration
du roman publié, d’abord, par la revue de M. Baschet.
On se rappelle ce passage :
<r C’était un étourdissement de bonheur, une première minute
ov'i ils oubliaient tout, pour n’étre qu’à cette certitude de s'
SALON DES CHAMPS-ÉLYSEES
se le dire. Les souffrances de la veille, les obstacles du lendemain avaient disparu ;
ils ne savaient comment ils étaient là ; mais ils y étaient, ils mêlaient leurs douces
larmes, ils se serraient d’une étreinte chaste, lui éperdu de pitié, elle si émaciée
par le chagrin, qu’il n’avait d’elle entre les bras, qu’un souffle! Dans l’enchante-
ment de sa surprise, elle restait comme
Georges Loiseau.
d’allégresse absolue
irne-r encore,- et de
paralysée, chancelante et bienheureuse
au fond de son fauteuil, ne retrouvant
pas ses membres, ne se soulevant à
demi que pour retomber, sous l’ivresse
de la joie.
— Ah ! cher seigneur, mon désir
unique est accompli : je vous aurai revu
avant de mourir.
Il releva la tête, il eut un geste
d’angoisse.
— Mourir!,.. Mais je ne veux pas 1
Je suis là, je vous aime.
Elle souriait divinement.
— Oh 1 je puis mourir, puisque vous
m’aimez. Cela ne’ m’effraie plus, je
m’endormirai ainsi sur votre épaule...
Dites-moi encore que vous m’aimez.
Je vous aime, comme je vous aimais
hier, comme je vous aimerai demain...
N’en doutez jamais, cela est pour l’éter-
nité.
— Oui, pour l’éternité, nous nous
aimons.
Angélique, extasiée, regardait devant
elle, dans la blancheur de la chambre.
Mais, peu à peu, un réveil la rendit
grave... »
Telle est 3a scène que M.de Ri-
chemont a voulu évoquer, au sortir
d’une lecture, et retracer sur la toile
dans la sincérité de sa vision. L’é-
cueil d’une telle entreprise est de
nous imposer un type idéal diffé-
rent du nôtre. Déjà M. Jeanniot et
M. de Richement sont en désac-
cord sur le caractère et les traits du
visage d'Angélique, et chacun de
nous a le droit de se figurer à sa
guise l’héroïne de M. Zola. D’ail-
leurs, le tableau qui vient d’être
l’objet d’une si haute distinction
renferme quelques-unes des qualités
sérieuses que la critique, à plusieurs
reprises, a reconnues au peintre du
« Rêve ».
tyidit’U LL PRINTEMPS, par M. Jean Gigvnx
La figure nue exposée par M. Jean
Gigoux emprunte son titre à l’exclamation du poète;'« O printemps, jeunesse
de la vie !... ».
Cette ravissante fillette rayonne de jeunesse, en effet. C’est l’œuvre d’un
artiste toujours vaillant, toujours épris de belle passion pour la Vie sous toutes
ses formes. C’est surtout l’œuvre d’un interprète enthousiaste et subtil, d'un