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8

SUPPLÉMENT A L’ART FRANÇAIS

vait navrant et consolant à la fois, espoir et rappel de décep-
tions.

Alors il laissa tomber la lettre de Fifille, et, pour se distraire,
commença ses réponses, mais au premier adieu, lui aussi ne put
s’empêcher d’écrire juste comme elle.

« O revoir !... »

Et il lui semblait très doux d’être enfant, d’oublier l’orthogra-
phe...

E. ESTAUNIÉ.

--* -*====*===;- — =*£-

L’ILLUSION PERDUE

Le « moi » est haïssable.

Pascal n’a pas dédaigné d’inventer la formule, et des gens très
bien posés l’affirment chaque jour.

Aussi, pour contenter tout le monde, le héros de cette histoire
se nommera Gobillon, et je ne dirai pas qu’il s’agit de moi. On
saura, j’espère, lire entre les lignes.

Gobillon était, il y a quelque vingt ans, un enfant bête comme
ils sont tous, et partant, fort crédule.

L’enfance hélas ! a disparu, mais, à en croire quelques bons amis,
un peu de bêtise est demeurée. C’est toujours cela, pensez-vous,
et dans son ignorance de la valeur des mots, il est de cet avis.

Voici donc ce qu’il me contait ce matin en jurant ses grands
dieux qu’il n’inventait rien. Je l’ai bien écouté et j’ai de bonnes
raisons pour supposer ma transcription fidèle :

« C’était en 187., Noël approchait et je me délectais... » (Il
est bien entendu que c’est Gobillon qui parle et non pas moi)
«... à l’avance de la série de fêtes prête à s’ouvrir. D’abord, le
réveillon, dont la jouissance était pour moi, j’avoue, toute objec-
tive, puisqu’on m’envoyait coucher deux heures avant, puis la
récolte des souliers pleins, puis les vacances, puis les étrennes,
puis, lamentable retour des choses d’ici-bas, la rentrée, le pion,
la retenue et les haricots.

« Tout cela est bien loin », ajoutait-il, avec un amer sourire.

Entre nous, Gobillon est abominablement romantique et à ce
moment surtout, il me sembla grotesque.

« Bien loin ! » et, pour comble, une larme d’émotion bour-
geoise coula de ses yeux.

« Pourtant j’y crois être encore » (pas moi, Gobillon). «Ah!
quels instants de délicieuse impatience, quand vers le 15 décem-
bre je voyais arriver les catalogues des grands magasins !

« Sans avoir l’air d’y toucher, j’essayais de surprendre le choix
de papa et de maman ; J’avais des ruses d’Apache pour découvrir
ce qu’on me destinait au nouvel an. Peine perdue ! jusqu’au grand
jour, le secret demeurait impénétrable ! J’entendais bien discuter
la cherté d’un objet, le danger d’un autre, la fragilité d’un troi-
sième, mais, chose curieuse, je n’y comprenais rien. »

J’ai dit déjà que Gobillon ne passait pas pour très fort.

« Alors, continua-t-il, s’engagèrent entre mes petits cama-
rades et moi, des colloques épiques.

k — Toi, t’es trop bête, disait l’un, t’auras rien de chic.

« — Moi, ripostait le voisin, j’aurai une grande boite de
construction avec des tas de bonshommes dedans. Et toi, qu est-
ce que t’auras ?

« — Ma foi, leur répondis-je, pour les étrennes, j’sais pas
encore, mais j’espère bien que le petit Jésus m’apportera de belles
affaires.

« Ce fut une hilarité inextinguible.

« On riait, on se tordait, on trépignait. Les grands m’appe-
laient crétin, imbécile, gobe-mouches. L’un d’eux même, un
moutard très commun, le plus mal élevé à coup sûr, alla jusqu’à
me traiter de calotin. Mais, n’ayant su que plus tard la significa-
tion de ce vilain mot, je n’en fus pas autrement blessé.

:( Près naïf (ce bon Gobillon !), je ne m’expliquais pas l’excès
de leur gaieté, quand un de ces forcenés me cria, rouge encore
d’avoir tant ri : « Tu crois à ça, toi !» Ah ! mon cher ami, —
et la voix de Gobillon devenait caverneuse, — je ne sais ce qui
me retint de l’étendre mort à mes pieds. Le fait est que je n’en
fis rien ; il était d’ailleurs plus fort que moi. Si j’y croyais ! Mais,
juste ciel, de toutes les fibres de mon âme, de toute la puissance
de mon jeune cœur, encore pénétré de foi.

« La foi ! Je la respirais partout dans mon entourage. Ma
famille avait souvent servi d’exemple quand on voulait citer une
réunion de Saints et certains de ses membres qui me touchaient
de près... passons, j’ai appris aussi depuis, qu’on pouvait être
saint à très bon compte.

« Bref, le doute me semblait un crime, à plus forte raison la
négation. J’étais indigné, mais ne pouvant me laisser aller à la
colère sans risquer un péché capital, je me retirai silencieux,
poursuivi par les derniers échos de ce rire sacrilège. J’offris
mon humiliation en holocauste et j’intercédai pour les impies par
dessus le marché.

« Cependant le fameux soir était venu. J’avais redoublé de
ferveur pour me rendre le divin enfant propice. Je détaillais mes
espérances à tout propos, sans épiloguer sur les sourires qui
accueillaient la narration de mes chimères. Dame, des Saints,
pouvais-je supposer ?... Et je priais, et je priais: Bon Jésus,
par-ci, bon Noël par-là. Quel dommage d’avoir de si petits souliers !

« En bonne franchise, mes oraisons n’étaient pas très désin-
téressées, mais à vouloir trop éplucher, comme disent mes tantes,
on ne croirait plus à rien. »

Eh ! Eh ! les tantes de Gobillon ne sont déjà pas si sottes.
Pardon de l’interruption, je le laisse aller :

« A dix heures, j’étais au lit, après avoir mis mes meilleurs
brodequins au plus épais de la cendre. Je mourais de sommeil et
je priais encore. Ma piété tournait à la rage, non sans une inten-
tion canaille de laisser lé bon Dieu un peu tranquille ensuite, si
le petit Noël était généreux.

« On éteint, c’est la nuit, je m’endors.

« Oh ! cette nuit, quels rêves, mon ami ! Des battements
d’ailes bleues faisaient trembler mes rideaux, des formes blanches
s’échappaient de l’armoire, des anges armés de l’inévitable
théorbe, commodément assis sur un rebord de nuage, jouaient à
une allure guillerette :

» Il est né le divin enfant,

» Jou-oue^ hautbois, résonne^ muse-e-e-ettes.

« Jamais harmonie ne me sembla plus suave, concert plus
ravissant.

« La bonne, sans doute, ronflait dans la chambre à côté, car à
un certain moment, je crus entendre la voix du Père Eternel.
Puis, un léger bruit, quelques éclairs en zig-zag, un menu par-
fum d’encens et ce fut tout, je rêvai d’autre chose. »

Je ne sais, soit dit en passant, si je dois laisser continuer Gobil-
lon sur ce ton familier. Bah ! les guillemets lui laissent toute la
responsabilité.

« Enfin voilà le matin ! Plus de prière : s’IL n’est pas venu, il
 
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