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l’art français

37

UN SIMPLE

Par M. Edouard Estaunié

Ici, point d’images, point de contes d’enfants. C’est bien d’un
enfant qu’il s’agit, mais pour lui, les rudes années de la vie se
sont trouvées doubles comme des années de campagnes et le
pauvre simple est tombé, écrasé par les déceptions, plus lourdes
mille fois que la vieillesse.

Le titre, à lui seul, évoque des pensées graves.

Un simple ! C’est le soldat partant sans armes, le pèlerin igno-
rant et privé de guide, en route pour un voyage d’où les plus forts
ne sont pas toujours revenus.

Pour le simple, pas de bonheur, pas d’idéal ; entre ses doigts
toutes les fleurs se fanent et tandis qu’il pleure, l’écho ne sait que
lui renvoyer nos rires.

S’il cherche un ami, c’est un traître qu’il trouve ; à sa confiance
répond la délation ; s’il veut aimer, malheur à lui, sa sincérité se
heurte à des masques ; si, enfin, harassé de la longue duperie qu’a
été pour lui l’existence, il se décide à en sortir, nous prenons tout
juste le temps de le nommer un sot.

Il appartenait à un cœur haut placé, sinon de réhabiliter les
simples qu’on raillera toujours, au moins de nous faire compatir à
leur sombre destinée. Les naïfs sont frères des bons, et c’est en
tous cas, une belle tâche que de défendre les faibles. La formule
a vieilli peut-être, mais le principe est resté jeune.

M. Estaunié l’a compris et, avec une conviction profonde, apris
la cause en main, se révélant à ses débuts, avocat et écrivain de
premier ordre.

Son thème, le voici :

Stéphane Deschantres, à peine sorti du collège, se trouve face à
face avec la vie, n’en connaissant que les rêves et nullement
préparé par son caractère à en affronter les réalités.

Une amitié déçue est la première épreuve. Au moins, croit-il
s’en consoler en mettant toute son âme à l’unique affection qui
lui reste, sa mère. L’amour filial est, par excellence, le sentiment
inattaquable, la pure délicatesse de cœur que rien, ce semble, ne
peut ternir. MmL' Deschantres, elle, dont l’existence orageuse a
usé la tendresse, ne le paie pas de retour et peu à peu les circons-
tances amènent Stéphane à soupçonner sa mère.

Alors s’engage une lutte atroce. Le malheureux veut savoir et
ignorer tour à tour. L’approche de la certitude l’épouvante et le
doute le met au supplice.

Mais, le désir même d’innocenter sa mère le force à s’assurer
et, une nuit, après avoir longuement espionné, il acquiert enfin
la preuve qu’il est le fils d’une drôlesse.

De désespoir et de dégoût il se tue et voilà tout le livre.

C’est immoral, dit-on. Le respect de l’enfant pour sa mère est
une arche sainte à laquelle il est périlleux de toucher. Sans doute,
mais si l’objet de ce respect en est indigne, si la mère sans pudeur,
laisse découvrir ces élans malpropres qui n’ont même pas l’amour
pour excuse, l’enfant doit-il serrer la main de l’amant ? doit-il le
tuer ? doit-il même tuer sa mère ? C’est l’éternelle question à la
quelle il est, j’avoue, bien délicat de répondre.

Cependant, on accumulerait en vain les subtilités pour for-
cer l’estime, où elle est notoirement impossible. En vain on obli-
gerait l’enfant à vénérer une mère dont il connaît la honte. Que (*)

(*) Un volume, librairie académique Perrin et C1'-.

faire alors ? Je ne saurais le dire et je suis bien heureux de me
cacher derrière l’auteur qui, en homme avisé, s’est bien gaidé
de conclure.

Certes, il était plus aisé de placer la chute dans le passé, comme
l’a Dit un fort habile écrivain, car le souvenir atténue tout, il
ouvre la porte au repentir, ce grand réparateur de vertus salies et
puis, ce qu’on n’a pas vu ou entendu s’explique bien mieux, se
justifie au besoin.

Entre Stéphane et sa mère, au contra’re, aucune compromission
possible; le fils a été témoin. Il a passé par toutes les nuances de
la fureur et de l’écœurement. Le pardon serait complicité, la
vengeance sacrilège. Une mère tombée, d’autre part, est tou-
jours une mère et je maintiens que Stéphane a bien lait de se tuer
par la simple raison qu’il ne pouvait faire autrement.

Et de ces horreurs tragiques se dégage je ne sais quelle poésie
autour de ce faible, « fort comme la mort », dont le seul malheur
est de n’avoir pas été fort comme la vie.

Le titre nous revient à la mémoire : Un Simple ! et une grande
pitié nous envahit, la pitié qui est le E)e Prof midis de toutes les
croyances et que les lèvres n’ont pas besoin de traduire, quand le
cœur l’a sentie.

Mais, il y a cette mère dont le rôle odieux soulève nos cons-
ciences.

L’auteur s’est complu à la noircir, à la considérer comme une
brute n’obéissant qu’à des penchants de brute.

Il est dans son droit.

11 n’y a plus ici ni voix du sang ni dignité. La brute domine
tout et le caractère est complet.

Oh ! le juge est sans indulgence car il retourne contre la pau-
vre femme l’argument au moyen duquel on aurait pu la sauver,
les entraînements irrésistibles de sa nature ou, si l’on préfère, son
inconscience.

Il envisage le cas, non point en blasé implacable, mais avec la
sévérité de l’homme qui n’a jamais failli.

u Malgré tout, s’écrie-t-il, irrésistible est un mot qui sonne
faux. On peut toujours résister, et si je tiens un pardon en réserve
pour le lutteur vaincu, c’est parce qu’il aura lutté. Or, mon
héroïne n’a point pris cette peine, elle a succombé sans se battre
et ne mérite que le traitement des lâches » !

Encore une fois il est dans son droit, et à ceux qui blâmeraient
l’exagération du personnage, au point d’en contester la vérité, je
conseille de jeter un regard autour d’eux, ils seront édifiés.

C’est, au surplus, une question d’appréciation très personnelle
car, surprise par son mari, MmeDeschantres eût fait la fortuned’un
vaudeville et les pudibonds censeurs en eussent li à gorge dé-
ployée. Pourtant l’amour conjugal mérite quelque considéra-
tion.

Aussi, dans l’attente d’un critérium plus certain de la vertu,
ne l’incriminez pas trop. En somme, la qualité du témoin seule,
fait ici la gravité de la faute.

Un tel sujet ne pouvait donc être ni tramé ni dénoué différem-
ment et les critiques rendront un bel hommage à l’auteur en
reconnaissant que « la scène à faire » a été scrupuleusement faite.

Reste un grief, celui précisément qu’on a frit à M. Estaunié
d'avoir choisi ce sujet.

Pourquoi, dit-on, nous entraîner dans ces vilaines passions,
au lieu de célébrer comme nos pèrec, l’amour des champs ou les
grandes dames chastement éprises ?

Ce reproche est excessif et provient de quelques romantiques
qui n’ont pas reconnu leur jeune frère.

Toute peinture est bonne qui est sincère, et c’est une préten
 
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