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L' art français: revue artistique hebdomadaire — 5.1891-1892 (Nr. 210-261)

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Numéro exceptionnel (30 Avril 1891)
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https://doi.org/10.11588/diglit.26595#0029
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l’art français

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sur la valeur de ce modeste, dont les deux tableaux qui figurent
cette année aux Champs-Élysées, «Portrait de femme» et
« La Jeunesse de Saimon » , révèlent au plus haut degré les
incomparables qualités de ce peintre de morceaux.

Dans la première de ces deux toiles, Bonnat est encore le pres-
tigieux amant des formes majestueuses et sculpturales, et certai-
nes parties en sont peintes avec cette ampleur qui est la note carac-
téristique de hauteur des portraits du père Robert Fleury, de
L éon Cogniet, de Madame Pasca, d’Alexandre Dumas fils et de
bien d’autres, autant de chefs-d’œuvre !

Dans la seconde, Bonnat a dépensé sa force d’athlète en des
modelés vigoureux et hardis qui saisissent par la puissance même
de l’effort qu’fis décèlent. Le peintre est toujours égal à lui-
même, n’est-ce pas tout dire sur ce sujet ?

Mais, ce dont nous voulons plus longuement parler, c’est de
l’honnêteté artistique de Bonnat et de l’influence qu’il a exercée
sur les jeunes talents — quelques uns maintenant sont pleine-
ment développés — qui se groupèrent autour du maître et qui
sont nés de lui ; quand, lors de la Commune et sur l’initiative de
M. de Vuilleiroy, l’atelier Cogniet devint l’atelier Bonnat.

Léon Bonnat avait acquis son impeccable jugement, et déve-
loppé sa maîtrise dans le commerce des véritables maîtres italiens

— je veux dire les primitifs, Carpaccio, Ghirlandaïo surtout,

— qu’il pût voir sous leur ciel même, lorsqu’après son second
grand prix de Rome, il lut envoyé dans la Ville Eternelle, pen-
sionné de Bayonne, sa ville natale. Heureusement soustrait à la
villa Médicis, Bonnat ne connut pas d’autre influence que celle
de ces puissants indicateurs d’une voie définitive, pionniers
jamais dépassés d’un art immense. Les Hollandais aussi le capti-
vèrent et dans son œuvre, se lit, différenciée par la personnalité,
l’action directe des Rembrandt et des Ribeira, dont il s’est assi-
milé la conception riche, et l’exécution large.

Fort de ces solides enseignements, Bonnat fut bientôt le peintre
robuste, affranchi de toute étiquette. Les épithètes de classique,
de réaliste — d’autres encore peut-être, car l’invention en est
lacile — ont pu lui être appliquées. Il ne convient pas de s’yarrêter,
et pourtant il faudrait bien une bonne lois qu’on en finit avec
ces ridicules non-sens, dont on cherche à qualifier l’art.

Art classique, art réaliste, qu’est-ce à dire ?

Ceux qui ont tenté de délimiter le domaine du premier, lui
ont assigné la recherche de l'idéal ? Encore que cela soit empreint
d’un vague qui sied à merveille à l’esprit des abstracteurs de
quintessence, comment allier le rôle — pourtant considérable —
du laid dans les arts, avec cette recherche systématique d’un idéal
mal défini. Que deviennent, avec cette exclusion du laid, le sup-
plice des Damnés dans l'Enfer du Dante, le Satan de Milton, le
Méphistophélès de Goethe, et, dans la peinture, les Satyres du
Corrège ?

L’art réaliste, dit-on en revanche, est la peinture du réel, et a
pour objet « un certain homme avec les costumes, les mœurs
particulières d’un temps ». — (fil sera, dit Jouffroy, français ou
chinois, français du xvne siècle ou du xvme, français de l’Empire
ou de la Restauration ».

En voilà bien d’une autre ! Mais, dans Shakespeare, qui sans
conteste est bien un réaliste et un réaliste merveilleux, Hamlet
n’est-il pas l’être de tous les temps, l’incarnation d’une éternelle
humanité !

Que sont donc ces distinctions, sinon de beaux thèmes
de philosophie, échafaudés, suivant la formule, sur de trop solides
pointes d’aiguille. Il y a du réel dans le classique, de l’idéal dans
le réel, et nombre de génies en sont l’immortelle preuve.

Ce qu’on a appelé l’art romantique seul pourrait être aban-
donné, ne se souciant ni d’idéal ni de réel, et ne vivant que par
la fantaisie. Je n’incrimine personne et, si j’avais le temps, j’affir-
merais qne ceux qu’on a appelés les grands romantiques, se
seraient bien passés d’un semblable surnom.

Il faut, croyons-nous, au véritable artiste, une âme éprise
d’idéal et, sans cesse aussi, il doit se préoccuper de la réalité,
pourvu que cette réalité ait un sens et devienne, par là même,
esthétique.

Hegel le dit fort bien, quand fi parle ainsi de la peinture
flamande ;

« Les Hollandais ont tiré le fond de leurs représentations
» d’eux-mêmes, de leur propre vie et de leur propre histoire. Cet
» esprit de bourgeoisie, cette passion pour les entreprises, cet
» amour du bien être, entretenu par les soins et la propreté, la
» jouissance intime de ne devoir tout cela qu’à sa propre activité,
» voilà qui fait le fond de ces peintures. Or, ce n’est pas là un
» sujet vulgaire dont se puisse offenser la susceptibilité dédai-
» gueuse des beaux esprits de cour : c’est dans ce sens de bonne
» et forte nationalité que Rembrandt a peint sa fameuse ville
» d’Amsterdam, Van Dyck, un grand nombre de ses portraits,
» Wouvermans, ses scènes de cabarets. Là, un sentiment de
» liberté pénètre et anime tout, et cette sérénité du plaisir rend
» cette vie fraîche et éveillée. Voilà ce qui fait le caractère élevé,
» l’âme de ces peintures. »

Et, en effet, c’est là ce qu’il convient d’y voir, je veux dire,
l’idéalisation de la réalité.

De fait — pour revenir directement à notre sujet — Bonnat
qui ne fut d’aucune école, les domine toutes parce qu’il les
comprend toutes et en accepte les bons côtés, s’il les récuse en
tant que systèmes.

Très net, très expressif, laconique même dans ses rapports
avec ses élèves, indiquant d’un mot précis, ponctué d’un geste
définitif, le perfectionnement à apporter, l’effort à faire, la diffi-
culté à vaincre, le maître, ennemi juré de la mièvrerie d’exé-
cution, de la banalité et des choses « quelconques »> (qu’on me
pardonne cette expression qui tend, hélas, elle-même à devenir
« quelconque »), laissa toujours à ses élèves l’initiative de la mani-
festation de leur talent, la liberté des moyens à employer pour
arriver à un résultat dans la recherche artistique.

Trop souvent — et c’est là un écueil — si l’on consi-
dère les productions des élèves d’un même atelier, on reconnaît
la patte, la manière, parfois même le procédé du « Patron ».
L’élève est obsédé , suggéré d’une façon permanente et
visible par l’œuvre du maître et il souffre de cette entrave,
de cette lisière pour ainsi dire où l’on enserre le talent ; c’est la
mort de l’originalité, la négation de la personnalité de l’artiste.

A l’inverse de ces errements, Bonnat fut toujours, dans son
atelier, un guide du talent dans des voies diverses, non un assi-
milateur dans un genre unique. Surtout et avant tout Bonnat est
un honnête, et honnêtes furent ses élèves, c’est-à-dire exclusi-
vement soucieux du succès moral qui naît de la satisfaction
intime, sans préoccupation basse de public ou de marchands de
tableaux.

Aussi, très personnels et différents dans le parfait, sont les
talents sortis de l’atelier du boulevard de Clichy. Nombreux
sont les noms, qui viennent sous ma plume, de ces vrais artistes,
quelques uns célèbres, d’autres tout près de l’être, tous estimés
de leurs pairs et à combien juste titre !

Disons-en quelques uns.

Le premier, le plus grand, un maître , j’ai nommé Roll,
 
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