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L' art ornemental: revue hebdomadaire illustrée — 1.1883

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Nr. 33 (15 Septembre 1883)
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L'ART ORNEMENTAL.

« secours et non des conseils qu'il faut. » J'allai tout de suite regarder le
fourneau ; je vis que le métal s'était tout à fait coagulé, ce qu'on appelle
devenir gâteau; j'ordonnai à deux manœuvres d'aller en face à la maison
de Capretta le boucher chercher une pile de
bois de jeunes chênes qui étaient secs depuis
plus d'un an et que dame Gincvra, femme de
Capretta, m'avait offerte.

« Aussitôt que les premières brassées furent
arrivées, j'en remplis le foyer, parce que cette
espèce de chênes fait un feu plus vif que les
autres bois. Dès que le gâteau sentit ce feu vio-
lent, il commença à devenir moins épais et à
étinceler ; je fis hâter l'ouverture des canaux;
j'envoyai quelqu'un sur le toit pour éteindre le
feu, que la flamme du fourneau, devenue plus
violente, avait allumé de plus belle; je fis placer
du côté du jardin des planches, des tapis et de
mauvais linges qui me garantissaient de la pluie.
J'eus bientôt remédié à tous ces accidents ; je
disais à un manœuvre : « Apporte ceci » ; à un
autre : « Ote cela »; et tous ces gens, voyant
que le métal commençait à se liquéfier, m'obéi-
rent de si bon cœur que chaque personne en
valait trois.

« Je fis prendre environ soixante livres
d'étain que je jetai dans le fourneau, sur le
gâteau, ce qui, joint à une nouvelle quantité de
bois et à ce que je remuais tantôt avec du fer,
tantôt avec de l'étain, le fit devenir liquide peu
à peu. Voyant que, malgré l'opinion de ces
ignorants, j'avais pour ainsi dire ressuscité un
mort, je repris tellement ma vigueur que je ne
m'apercevais plus si j'avais encore la fièvre ou la
crainte de mourir.

« Tout d'un coup on entendit une détona-
tion et l'on vit une grande flamme semblable à
un éclair qui brillait à nos yeux ; tous, et moi
plus que les autres, nous fûmes frappés d'une
terreur extraordinaire. Dès que ce grand bruit
et cette clarté eurent cessé, nous commençâmes
à nous regarder les uns les autres, et nous vîmes
que le couvercle de la fournaise s'était brisé et
s'était soulevé de sorte que le bronze en sortait.
J'ordonnai aussitôt d'ouvrir l'orifice de mon
moule, je fis en même temps frapper sur les
tampons du fourneau et, voyant que le métal ne
coulait pas avec la promptitude ordinaire et que
la violence du feu avait consumé tout le bois, je
fis prendre tous mes plats, mes écuelles, mes
assiettes d'étain, il pouvait y en avoir deux cents ;
je les mis l'une après l'autre devant mes canaux
et j'en fis jeter une partie dans le fourneau.
Alors je m'écriai : « O Dieu qui par ta puissance
« ressuscitas d'entre les morts et montas glorieux

« au ciel..... » Tout d'un coup mon moule se

remplit. Je me jetai à genoux et je remerciai le
Seigneur de toute mon âme. Je pris ensuite une
assiette de salade qui était là sur une mauvaise
table, je mangeai de grand appétit, et je bus avec
tous ceux qui étaient présents ; puis j'allai au lit
sain et sauf, car il était deux heures avant le
jour, et je me reposai aussi tranquillement que
si jamais je n'eusse été malade. »

C'est ainsi que vint au monde la statue de
Pei-sée qui depuis trois siècles décore la place
du Palais-Vieux, à Florence. Ce fut le plus grand et le dernier succès de
Cellini.

Nous n'examinerons pas le mérite de cette belle figure. C'est l'œuvre
d'un statuaire personnel, affranchi de tout servage, doué d'une science
profonde et d'un tempérament hors ligne. Le piédestal sur lequel elle

repose est orné de figurines, de masques et de guirlandes délicatement
ciselés, dans lesquels le maître a mis tout son savoir et toute la finesse
de sa touche. Les quatre figures placées dans les niches représentent
Jupiter, Mercure, Minerve et Danaé ayant à
ses côtés Persée enfant.

Veut-on savoir maintenant ce que fut payé
le chef-d'œuvre de Cellini ? Voici ce que M. Eu-
gène Pion écrit à ce propos : Le sculpteur
s'attendait, au sujet de cette statue, à une libé-
ralité spontanée du prince. Quand on lui fit dire
de fixer un prix, il en fut profondément blessé
et il déclara qu'il ne serait pas assez payé avec
dix mille écus. Le duc s'irrita de son côté, et
fit ordonner à Bandinelli et à d'autres artistes
de procéder à l'estimation de l'œuvre. Le Baccio
se récusa d'abord, en raison de ses différends
connus avec Benvenuto ; mais contraint de céder
à la volonté de Cosme et agissant galamment
en cette circonstance, il déclara que l'œuvre
valait seize mille écus. La duchesse proposa ses
bons offices : elle eût voulu obtenir cinq mille
écus à l'artiste, qui ne sut pas en profiter. Enfin,
un commissaire des Bandes, nommé Girolamo
degli Albizzi, agréé de part et d'autre comme
arbitre, déclara que Cellini devait se contenter
de trois mille cinq cents écus d'or.

Le duc fut très satisfait de ce jugement. On
le comprend sans peine. Quant au sculpteur, il
se soumit, mais il se considéra à bon droit comme
lésé, et, ayant quelques années après à rappeler
cette affaire, il écrit : « C'est ainsi que je fus
assassiné, et je remets à Dieu le soin de ma ven-
geance, parce que le mal et le tort que l'on m'a
faits sont trop grands ! »

Ce n'est pas tout, non seulement on déduisit
à l'artiste sur cette maigre somme les fourni-
turcs matérielles qui lui avaient été faites : cire,
étain, bronze, etc. ; mais on lui retint jusqu'aux
frais payés à un maçon pour avoir transporté
le Persée sur la place de la Seigneurie, où il se
trouve encore aujourd'hui. Enfin, la somme
réduite devait, par l'ordre de Cosme, être versée
par acomptes de cent écus d'or par mois jusqu'à
parfait paiement. Mais bientôt le mandataire du
prince réduisit les acomptes à cinquante, puis à
vingt-cinq écus, qu'il ne versait même pas tou-
jours régulièrement. Justement indigné d'une
telle manière d'agir, Cellini écrivit le 10 jan-
vier 1559 au magnifique seigneur trésorier de
Son Excellence messer Antonio de' Nobili une
lettre que l'espace dont nous disposons ne nous
permet pas de transcrire, mais dont nous
extrayons cette phrase qui résume les sentiments
de son auteur : « Je me demande comment
Dieu permet que Votre Seigneurie en use avec
moi avec une si déloyale cruauté, et qu'elle ne
veuille pas me donner le reste de mon argent
du mandat qu'elle a reçu depuis si longtemps
déjà de Son Excellence Illustrissime et sur le-
quel il me revient encore six cents écus d'or en
or, somme que depuis quatre ans environ elle
aurait dû avoir achevé de me solder ! »

Cellini a eu des détracteurs acharnés, d'au-
tres ont fait de lui le plus grand artiste de la
Renaissance. Nous pensons, nous, qu'il fut un
grand statuaire et un artiste décorateur très ordinaire, malgré le tapage
qu'il fit lui-même autour de sa personne à propos de ses objets d'orfèvrerie.
Quant à son caractère, c'est un mélange de dévotion et de cynisme, de
violence et de servilité. Les moindres incidents de sa vie prennent en
passant par sa bouche des proportions ridiculement exagérées. Cellini est

Persée.

Groupe en bronze de Benvenuto Cellini.
Dessin de Niccola Sanesi.
 
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