L'ART POVR TOVS
15
« On voit dans le musée de l'Académie royale d'Irlande
une cloche celtique que la tradition fait remonter à saint
Patrice. Saint Colomban, en 552, soixante ans après la mort
de Patrice, l'aurait retrouvée dans son tombeau, en même
temps que sa coupe et son évangile. La cloche fut donnée à
Armagh ; c'est la plus vieille d'Irlande ; elle est en fer, avec
rivets, recouverte de bronze, pèse trois livres 11 onces et a
0'"131 dans sa plus grande largeur à la base sur 0"'192 de
hauteur totale. Elle fut, à la fin du XIe siècle, enveloppée
d'un splendide écrin de bronze, avec plaques d'or et d'ar-
gent richement ornementées, avec filigranes, entrelacs et
pierreries ; de chaque côté sont des anneaux de suspension.
Cette richesse est la meilleure authentique que nous puis-
sions désirer. Sur le revers de cette châsse, on lit une prière
pour Donald O'Lochlan, qui fut
l'ordonnateur du reliquaire, pour
Cathalan O'Madchalland, le gar-
dien de la cloche, pour Cudulig
O' Inmainen et son fils, qui don-
nèrent leur assistance. Dans un
poème que récitaient les religieux
de Saint-Patrice, il est fait men-
tion de trois forgerons dont l'un
d'eux était l'auteur de la finn
faidhech ou la douce sonnante. »
« Une cloche de bronze encore
conservée en Ecosse est celle de
Samt-Patrice (Irlande)
VI» siècle Samt-Fman, dans le cimetière de
Eilan Finan, sur le lac Shiel. Elle
précède les convois pendant les enterrements (G). Sur l'em-
placement où s'élevait jadis la fameuse abbaye de Fahan,
près de Innishowen (comté de Donegal), fondée au VII"
siècle par saint Mura ou Muranus, sous le règne de Abodh
Slaine, on trouva une cloche recouverte d'une châsse comme
celles que nous avons déjà mentionnées. Cette cloche est de
forme quadrangulaire et ressemble aux autres celtiques. La
châsse est très riche et en argent ; elle porte une croix avec
un gros cristal de roche au centre, qui paraît du XIe siècle.
Un accident aurait mis à découvert, dans le bas, des orne-
ments plus anciens. »
« Au musée d'Edimbourg, on conserve une cloche toute
de bronze et à laquelle s'attache le nom de saint Fillan. Le
dessus est arrondi, et l'anse qu'on y voit fixée se termine
par deux têtes de dragons, à la gueule ouverte. Sous ce
rapport, elle ressemble à la cloche de Langwynold (Car-
narvonshire) et à la cloche de saint Ruadhan, l'une et l'autre
munies sur l'anse d'ornements assez semblables. L'histoire
de cette cloche est intéressante. Après la conquête nor-
mande, les églises changèrent de patrons et prirent les
vocables qu'imposaient les nouveaux maîtres. Le nom de
saint Fillan survécut pour la cloche à cette révolution et,
pendant des générations, elle resta dans le cimetière de
Strathfillan. Elle disparut pendant soixante-dix ans, et fut
retrouvée d'une manière imprévue chez un habitant du
Hertfordshire. Dans l'automne de 1869, Alexandre Forbes,
évêque de Brechin, rendait visite à lord Crawford, à Dunecht,
et la conversation tomba sur les anciens usages de l'Église
d'Ecosse, et notamment sur les cloches. Un gentilhomme
anglais, qui se trouvait présent, dit qu'un de ses parents,
dans le Hertfordshire, possédait une de ces cloches. Voici
la façon dont elle avait été dérobée, et dont le vol était
avoué par le journal de celui qui s'en était rendu coupable.
Il raconte qu'en août 1798, s'étant rendu à cheval au saint
étang de Strathfillan, il y vit une foule de paysans qui s'y
baignaient pour obtenir leur guérison. Ils allaient aussi à
l'église de Saint-Fillan. Dans le cimetière, il y avait une
grande pierre avec une niche juste assez grande pour rece-
voir un homme : c'est là qu'ils se faisaient attacher et qu'ils
passaient la nuit, avec la cloche de saint Fillan sur la tête.
Si le matin l'infirme était trouvé détaché, c'est que le saint
l'avait exaucé. Le voyageur, avec une indiscrétion dédai-
gneuse de cette foi naïve, se permit de ravir l'objet de la
dévotion de ces pauvres gens, mais l'aveu qu'il en fit par
écrit servit heureusement d'authentique à la relique, qui fut
rendue à l'Ecosse et déposée au musée d'Edimbourg. »
Sur une cloche de bronze qui appartient à l'église d'Ar-
magh, on voit inscrite une prière pour « Cumascach, fils de
Aillell. » Ce Cumascach est men-
tionné dans les annales de Four
Masters, comme économe d'Ar-
magh, et sa mort attribuée à 904.
La forme de cette cloche sem-
blable à celle d'autres cloches,
prouve que ce genre d'objets était
fréquent aux VIP, VIIIe et IXe
siècles.
Mais les îles britanniques n'ont
pas le privilège exclusif de ces
reliques. Saint-Pol de Léon en Al Vlir siècle ^
possède une qu'on fait remonter
à saint Gildas (//). « En Breton, on l'appelle an hyrr glass
ou « la langue verte. » Elle est formée d'une lame de cuivre
battue au marteau, et retroussée sur les bords ; sa forme est
celle d'une pyramide tronquée, à angles arrondis. La hau-
teur totale égale 0'"23, la largeur 0"'23, son poids 4 kilog. 250 ;
elle est plus grande que beaucoup de cloches celtiques.
Cependant, son anse prouve qu'elle se sonnait à la main.
Cette anse est feuillagée, on y trouve des restes d'argenture.
De petits cercles imprimés au poinçon, comme sur les bijoux
mérovingiens, dessinent les nervures et se prolongent dans
toute la longueur de l'anse. Tous ces caractères conviennent
à l'antiquité la plus reculée. »
« On conserve aussi une cloche celtique à Stival, près de
Pontivy ; elle est en cuivre battu, quadrangulaire, surmon-
tée d'une large poignée en forme d'anse. Le battant est en
fer. La hauteur totale égale environ 0'"25, la largeur, à l'ori-
fice, 0'"20, et, dans l'autre sens, comme elle est aplatie, 0"'12.
Elle porte une inscription gravée dans le sens vertical, sur
une de ses petites faces ; on l'appelle dans le pays « bonnet
de saint Mériadec » parce que les sourds se la font poser
sur la tête pour obtenir leur guérison. Suivant M. Hersart
de la Villemarqué, la fabrication de cette cloche remonterait
au moins au VIP siècle, et l'inscription daterait du premier
âge de la langue saxonne » (/).
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« On voit dans le musée de l'Académie royale d'Irlande
une cloche celtique que la tradition fait remonter à saint
Patrice. Saint Colomban, en 552, soixante ans après la mort
de Patrice, l'aurait retrouvée dans son tombeau, en même
temps que sa coupe et son évangile. La cloche fut donnée à
Armagh ; c'est la plus vieille d'Irlande ; elle est en fer, avec
rivets, recouverte de bronze, pèse trois livres 11 onces et a
0'"131 dans sa plus grande largeur à la base sur 0"'192 de
hauteur totale. Elle fut, à la fin du XIe siècle, enveloppée
d'un splendide écrin de bronze, avec plaques d'or et d'ar-
gent richement ornementées, avec filigranes, entrelacs et
pierreries ; de chaque côté sont des anneaux de suspension.
Cette richesse est la meilleure authentique que nous puis-
sions désirer. Sur le revers de cette châsse, on lit une prière
pour Donald O'Lochlan, qui fut
l'ordonnateur du reliquaire, pour
Cathalan O'Madchalland, le gar-
dien de la cloche, pour Cudulig
O' Inmainen et son fils, qui don-
nèrent leur assistance. Dans un
poème que récitaient les religieux
de Saint-Patrice, il est fait men-
tion de trois forgerons dont l'un
d'eux était l'auteur de la finn
faidhech ou la douce sonnante. »
« Une cloche de bronze encore
conservée en Ecosse est celle de
Samt-Patrice (Irlande)
VI» siècle Samt-Fman, dans le cimetière de
Eilan Finan, sur le lac Shiel. Elle
précède les convois pendant les enterrements (G). Sur l'em-
placement où s'élevait jadis la fameuse abbaye de Fahan,
près de Innishowen (comté de Donegal), fondée au VII"
siècle par saint Mura ou Muranus, sous le règne de Abodh
Slaine, on trouva une cloche recouverte d'une châsse comme
celles que nous avons déjà mentionnées. Cette cloche est de
forme quadrangulaire et ressemble aux autres celtiques. La
châsse est très riche et en argent ; elle porte une croix avec
un gros cristal de roche au centre, qui paraît du XIe siècle.
Un accident aurait mis à découvert, dans le bas, des orne-
ments plus anciens. »
« Au musée d'Edimbourg, on conserve une cloche toute
de bronze et à laquelle s'attache le nom de saint Fillan. Le
dessus est arrondi, et l'anse qu'on y voit fixée se termine
par deux têtes de dragons, à la gueule ouverte. Sous ce
rapport, elle ressemble à la cloche de Langwynold (Car-
narvonshire) et à la cloche de saint Ruadhan, l'une et l'autre
munies sur l'anse d'ornements assez semblables. L'histoire
de cette cloche est intéressante. Après la conquête nor-
mande, les églises changèrent de patrons et prirent les
vocables qu'imposaient les nouveaux maîtres. Le nom de
saint Fillan survécut pour la cloche à cette révolution et,
pendant des générations, elle resta dans le cimetière de
Strathfillan. Elle disparut pendant soixante-dix ans, et fut
retrouvée d'une manière imprévue chez un habitant du
Hertfordshire. Dans l'automne de 1869, Alexandre Forbes,
évêque de Brechin, rendait visite à lord Crawford, à Dunecht,
et la conversation tomba sur les anciens usages de l'Église
d'Ecosse, et notamment sur les cloches. Un gentilhomme
anglais, qui se trouvait présent, dit qu'un de ses parents,
dans le Hertfordshire, possédait une de ces cloches. Voici
la façon dont elle avait été dérobée, et dont le vol était
avoué par le journal de celui qui s'en était rendu coupable.
Il raconte qu'en août 1798, s'étant rendu à cheval au saint
étang de Strathfillan, il y vit une foule de paysans qui s'y
baignaient pour obtenir leur guérison. Ils allaient aussi à
l'église de Saint-Fillan. Dans le cimetière, il y avait une
grande pierre avec une niche juste assez grande pour rece-
voir un homme : c'est là qu'ils se faisaient attacher et qu'ils
passaient la nuit, avec la cloche de saint Fillan sur la tête.
Si le matin l'infirme était trouvé détaché, c'est que le saint
l'avait exaucé. Le voyageur, avec une indiscrétion dédai-
gneuse de cette foi naïve, se permit de ravir l'objet de la
dévotion de ces pauvres gens, mais l'aveu qu'il en fit par
écrit servit heureusement d'authentique à la relique, qui fut
rendue à l'Ecosse et déposée au musée d'Edimbourg. »
Sur une cloche de bronze qui appartient à l'église d'Ar-
magh, on voit inscrite une prière pour « Cumascach, fils de
Aillell. » Ce Cumascach est men-
tionné dans les annales de Four
Masters, comme économe d'Ar-
magh, et sa mort attribuée à 904.
La forme de cette cloche sem-
blable à celle d'autres cloches,
prouve que ce genre d'objets était
fréquent aux VIP, VIIIe et IXe
siècles.
Mais les îles britanniques n'ont
pas le privilège exclusif de ces
reliques. Saint-Pol de Léon en Al Vlir siècle ^
possède une qu'on fait remonter
à saint Gildas (//). « En Breton, on l'appelle an hyrr glass
ou « la langue verte. » Elle est formée d'une lame de cuivre
battue au marteau, et retroussée sur les bords ; sa forme est
celle d'une pyramide tronquée, à angles arrondis. La hau-
teur totale égale 0'"23, la largeur 0"'23, son poids 4 kilog. 250 ;
elle est plus grande que beaucoup de cloches celtiques.
Cependant, son anse prouve qu'elle se sonnait à la main.
Cette anse est feuillagée, on y trouve des restes d'argenture.
De petits cercles imprimés au poinçon, comme sur les bijoux
mérovingiens, dessinent les nervures et se prolongent dans
toute la longueur de l'anse. Tous ces caractères conviennent
à l'antiquité la plus reculée. »
« On conserve aussi une cloche celtique à Stival, près de
Pontivy ; elle est en cuivre battu, quadrangulaire, surmon-
tée d'une large poignée en forme d'anse. Le battant est en
fer. La hauteur totale égale environ 0'"25, la largeur, à l'ori-
fice, 0'"20, et, dans l'autre sens, comme elle est aplatie, 0"'12.
Elle porte une inscription gravée dans le sens vertical, sur
une de ses petites faces ; on l'appelle dans le pays « bonnet
de saint Mériadec » parce que les sourds se la font poser
sur la tête pour obtenir leur guérison. Suivant M. Hersart
de la Villemarqué, la fabrication de cette cloche remonterait
au moins au VIP siècle, et l'inscription daterait du premier
âge de la langue saxonne » (/).