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L' assiette au beurre: pamphlétaire, satirique et illustré — 8.1908-1909 (Nr. 365-417)

DOI issue:
No. 367 11 Avril 1908
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https://doi.org/10.11588/diglit.43983#0046

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N° 367. — 11 Avril 1908. — Téléph. 283-74. Bureaux: 62, rue de Provence, Paris. Supplément de L’ASSiette SU BCUrfC

LA ROCHETTE-SÜRPRISE
ou
Les Petits Mystères
de la Publicité dévoilés

lly a Masseuse et Masseuses
(Le Matin, 25 Février 1908)
Il y a des grands et des petits journaux. Les
grands journaux sont quotidiens, politiques,
(hélas !) et littéraires (oh ! combien !).
Les petits journaux sont généralement
hebdomadaires, fantaisistes (holà 1) et illustrés
(proh pudor /)

Il y a des .annonces morales et des annonces
immorales.
Les annonces morales sont celles que l’on
peut lire dans les grands journaux ; les annonces
immorales se trouvent dans les petits journaux.
*
* *
... Mais quelques exemples sont sans doute
nécessaires pour aider à la compréhension des
principes ci-dessus qui pourraient, à première
vue, sembler un tantinet abstraits.

Eclat de Rire, le Petit Gaulois ou 'la Vie
drôle publient, chaque semaine, des historiettes
plus ou moins amusantes et des dessins plus ou
moins artistiques, accompagnés de légendes
plus ou moins spirituelles. Gomme ces dessins
représentent, souvent, des dames un peu court
vêtues ; comme ces historiettes et ces légendes
tendent parfois à nous rappeler que, si Dieu a
créé l’homme à son image, il a construit la
femme sur un modèle’légèrement différent — et
que d’aucuns trouvent plus (esthétique — les
petits journaux en question ont une réputation
solidement assise de publications pornogra-
phiques. Et c’est pourquoi certain Haut person-
nage dont les honnêtes femmes jne peuvent
entendre prononcer le nom sans rougir, le
Sénateur inamovible Bérenger (René) — nous
sommes bien forcés de le inommer, quand
même, au risque de faire rougir nos lectrices
— passe son temps, depuis vingt années, à
dénoncer, traquer, pourchasser, poursuivre
sans relâche les petits journaux.
Ou plutôt, non, ce n’est pas parce qu’ils
sont pornographiques que le Grand Eunuque
de la République dénonce'et poursuit ces petits
journaux— car il y a beau jour que les artistes
et écrivains français auxquels on a inculqué de
force, à coups (de '(condamnations, de prison et
d’amende, les 'grands principes de la Pudibon-
derie, ont renoncé à s’apercevoir que le corps
de la femme n’était pas tout à fait pareil au
corps de l’homme. Mais c’est parce que M.
Bérenger est un monomane de la saleté, qui
voit de l’ordure partout, qu’il lui est nécessaire
de dénoncer et de poursuivre encore, toujours,
les petits journaux.
— Ah ! ah ! s’écria-t-il un beau jour, les
pornographes prétendent désormais être aussi
vertueux que moi. Ils ne nous font plus voir
que des femmes (pouah !) habillées jusqu’au
cou ; ils n’osent même plus (risquer, dans leurs

propos, ces sous-entendus grivois dont se
pourléchaient les vieux messieurs et derrière
lesquels je dénichais un bon petit délit d’outrage
aux bonnes mœurs (deux ans de prison, cinq
mille francs d’amende, privation perpétuelle
des droits civils et politiques). Eh bien ! il ne
sera pas dit que mon âme de procureur impérial
peut être privée d’une de ses plus grandes
joies !
Et c’est alors qu’il découvrit que, dans ces
journaux où il n’y avait plus rien, il restait
encore des annonces, et que ces annonces
anodines dans la forme devaient certainement
cacher des intentions pornographiques, partant
punissables. Et voilà comment, le 24 février 1908,
trois directeurs et trois gérants de « petits »
journaux vinrent s’asseoir sur les bancs de
la 9' Chambre correctionnelle, en compagnie de
quatorze demoiselles exerçant la profession de
masseuses et qui avaient fait paraître dansles-
dits journaux des annonces ainsi conçues :
Mme Untel, masseuse, rue... N°...
*
* *
— Mais, s’écrièrent en chœur les directeurs
et gérants des journaux poursuivis, en com-
paraissant devant leurs juges, mais des annonces
identiques—les mêmes annonces, concernant
les mêmes personnes, demeurant aux mêmes
adresses, —sont insérées journellement dans les
grands journaux, tels Y Echo de Paris, le
Journal, le GilBlas, le Radical, le Temps !
—■ Assurément, répondit l’honorable organe
du Ministère public, ces « grands » journaux
insèrent les mêmes anonces pour lesquelles
nous vous poursuivons, vous, vous seuls
«petits» journaux. Mais les grands journaux
publient autre chose, et voilà pourquoi nous ne
les poursuivons pas.
Or, le 24 février 1908, nous étions à la veille
de l’arrestation de M. Rochette, et les autres
choses, auquelles faisait allusion l’honorable
organe du Ministère‘public, ne pouvaient être
que les annonces du Buisson Hella, du Manchon
Hella, des mines de la Nerva, du Crédit Minier,
sans parler des annonces de sages-femmes
discrètes, de Retards, de prêts d'argent, de vente
et achat de nues-propriétés à l’insu de l’usufruitier,
de combinaisons infaillibles à la Bourse ou
d’émissions sensationnelles sur le marché des
Pieds humides.
Il était utile, vraiment, qu’un magistrat
autorisé vînt nous dire, puisque ces annonces
sont morales, ce qui peut constituer l’immora-
lité d’une annonce: Sont immorales les annonces
qui paraissent dans les petits journaux ! Voilà
qui est bien (fait pour tranquilliser les grands
journaux, lesquels devraient commencer à
craindre, en somme, qu’un grincheux s’avisât,
quelque jour, de leur demander des comptes
et de les tenir responsables de sa ruine par la
publicité effrénée, scandaleuse qu’ils font faite
aux entreprises des plus éhontés aigrefins. j

*
* *

Mais, à vrai dire, et malgré les rassurantes
paroles de M. le Substitut du Procureur de la
République près la neuvième chambre correc-
tionnelle, cette question de la responsabilité
des journaux (en matière d’annonces est plus
délicate qu’il n’y paraît, et il pourrait bien se
faire qu’un jour, les « grands » journaux y
fussent’ -(intéressés, tout comme les « petits ».
L’an dernier, à la suite d’une condamnation
prononcée contre un «petit» journal qui avait
inséré une annonce ainsi conçue :
. Mme X...
riiejdefla,Victoire, chambres meublées
Le’rédacteur en chef de l’Asstette au Beurre
(qui n’était d’ailleurs pas le journal incriminé)
eut l’honneur d’être entendu, sur sa demande,

par le Comité du Syndicat de la Presse pari-
sienne auquel il exposa ce qui suit :
— L’annonce (dont on vient de lire le texte)
a été condamnée en police correctionnelle,
« attendu qu’un agent de la Sûreté, s’étant
présenté chez la dame X sans décliner ses
qualités, s’était vu offrir des femmes à des
prix variant de dix à cent francs » ; d’où les
juges ont tiré cette conclusion : « Si l’annonce
est irréprochable dans la forme, elle n’en
constitue pas moins un délit d’outrage aux
bonnes mœurs, puisqu’elle poursuit un but
contraire aux bonnes mœurs ». Si le Syndicat de
la presse parisienne ne proteste pas contre cette
jurisprudence, rien n’empêchera de poursuivre
un journal qui donne l’adresse d’une sage-
femme, s’il est démontré que cette sage-femme
pratique l’avortement ; on condamnera, de
même, la publicité faite pour un prêteur ou
un . acheteur de nues-propriétés, s’il est prouvé
que cette publicité ne sert qu’à masquer des
opérations usuraires tombant sous le coup de
la loi ; bien plus, une annonce de pommade
capillaire exposera les journaux à des pour-
suites pour escroquerie, à la requête de
messieurs chauves auxquels cette pommade
n’aura produit aucun effet. Remplacez, dans
le dispositif du jugement, les mots « contraire
aux bonnes mœurs » par « usure, escroquerie,
avortement, et vous lirez « qu’une annonce
« irréprochable dans la forme, n’en constitue pas
« moins un délit — voire même un crime ! —-
« s'il est démontré que le but poursuivi en réalité
n. est l’usure, l'escroquerie ou l'avortement. »
Messieurs les membres du comité du Syndicat
de la presse parisienne, dont le président est
M. Jean Dupuy, sénateur, ancien ministre et
directeur du Petit Parisien, parurent prendre
quelque intérêt aux réflexions que nous eûmes
l’honneur de leur exposer, mais... Mais comme
ces messieurs représentent les grands journaux
et que les « grands » journaux n’ont pas peur
de la justice, ils se hâtèrent d’oublier la minute
d’émoi qu’ils avaient ressentie à l’évocation
d’une responsabilité possible qui aurait tant
affligé leurs caissiers... On nous avait promis
une réponse ; on ne nous répondit pas. On nous
avait promis de nous écrire ; on ne nous écrivit
pas. Et oncques, depuis, nous n’entendîmes
plus parler de la chose.

Si nous en reparlons aujourd’hui,. ce n’est
pas pour exhaler de vaines plaintes ; c’est
simplement pour faire savoir aux grands
journaux que la justice vient, enfin, de faire
triompher , la cause que nous défendions et de
déclarer, par un jugement fortement motivé,
quelles annonces irréprochables dans leur forme
ne pouvaient être condamnées, quel que fût le
but secret et caché poursuivi par ces annonces :
« Attendu, dit le jugement prononcé, le 19 mars
dernier, par M. le Président Pâcton, attendu qu’il n y
a lieu de considérer comme punissables que les
annonces qui, dans leur texte ou dans leur forme,
seraient contraires aux bonnes mœurs; que cette
interprétation s’impose d’autant plus qu’un projet de
loi a été déposé, en 1903, en vue de comblerleslacunes
de la législation actuelle..;
« Attendu que, dans la séance du Sénat du 25 mars
1904, le Président de la commission, M. Bérenger,
reconnaissait que les termes de la loi de 1898 avaient
paru insuffisants quand l’annonce n’était pas, dans
son texte, obscène ; qù’il ajoutait également que le
projet dont il sollicitait le vote était destiné à
réprimer les annonces et correspondances licen-
cieuses... et* entre autres, les annonces des maisons de
massage ;
« Attendu que le texte du paragraphe 5 de l’ar-
ticle 1er de la loi de 1898, pour ne laisser prise à
aucune équivoque, fut modifié ainsi : « Par des
annonces ou correspondances publiques faites
dans un but obscène ou contraire aux bonnes
mœurs ;
«Attendu que ce texte nouveau, voté par le Sénat,
 
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