Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

L' assiette au beurre: pamphlétaire, satirique et illustré — 8.1908-1909 (Nr. 365-417)

DOI Heft:
No. 415 13 Mars 1909
DOI Seite / Zitierlink:
https://doi.org/10.11588/diglit.43983#0817

DWork-Logo
Überblick
Faksimile
0.5
1 cm
facsimile
Vollansicht
OCR-Volltext

811

cernèrent la maison Filder. Les officiers firent sortir un à un
les assistants, non sans confisquer revolvers et cannes à
épée. L’éviction terminée sous le préau, les agents visitèrent
tous les étages et parvinrent dans la chambre où se concer-
taient les révolutionnaires. Ceux-ci refusèrent de livrer
leurs armes. Une bagarre s’ensuivit. Des coups de feu furent
tirés par la fenêtre sur les troupes que la police appelait à la
rescousse. Des salves répondirent qui brisèrent les carreaux.
Des bombes jetées frappèrent à mort un officier de dragons
et huit soldats. La bataille était commencée. Elle devait
durer douze jours, coûter un millier de vies pour la plupart
innocentes, donner- lieu à des actes d’abominable sauvagerie,
rétablir le loyalisme chancelant des troupes, affermir le
pouvoir du gouvernement d’abord anxieux devant cet essor
de forces inconnues, enfin implanter là rancune dans le cœur
de toute la population indignée par les attentats de la solda-
tesque ivre qui tua tant de passants paisibles, selon les

isvochtchiks et leurs attelages qui s’approchaient de la
maison où réside le gouverneur. Il suffit d’un faux coup de
rêne, le policier tire. Tant pis pour le voyageur curieux.
*
* *
M. G..., cité parmi les conservateurs et les riches deMoscou,
sortit, un jour, avec son jeune fils, étudiant de quinze ans,
quand les troubles se furent apaisés. Tous deux s’arrêtèrent
pour lire une affiche fraîche. Survint une patrouille qui leur
enjoignit de se laisser fouiller. Us ouvrirent leurs pelisses,
afin de montrer qu’ils ne cachaient pas d’armes. Dès qu’ils
aperçurent l’uniforme de l’étudiant, les soldats l’arrêtèrent.
Inutilement, le père protesta. Même au poste il ne put obtenir
que l’enfant fût relâché. Le chef de police répondit qu’il
avait ordre d’interroger tous les étudiants rencontrés sur la
voie publique. Le vieillard, insistant trop, fut expulsé par
la garde. Il pensa que le jeune homme lui serait rendu le


hasards de sa fureur, qui démolit et incendia tout un quar-
tier populeux, qui massacra les neutres habitants des logis
envahis un instant, puis délaissés par les prestes héros de
l’insurrection. Les ruines fumèrent. Des fragments de cervelle
séchèrent sur les tiges des lampadaires décapités. Les goro-
dovoïs, pourvus de fusils, bivouaquèrent avec les dvor-
niks, dans la neige, devant un feu de bûches, sous les fenêtres
de mon hôtel. Parfois, une détonation éclatait. Un monsieur
attardé essuyait le feu du sergent de ville las d’inaction.
L’un d’eux a tué sa femme et l’amant qu’il apercevait sur un
trottoir. Les vengeances particulières s’accommodèrent de la
répression légale. Toutes sortes de crimes se perpétrèrent
dans cette ville bruyante, encombrée, aux boutiques provi-
soirement closes par des palissades en bois cru. Le capuchon
de laine brune plié autour de la nuque, la petite calotte
d’astrakan sur l’oreille, le fusil aux mains, lui solide en ses
bottes et bien couvert par sa capote neuve, le gorodovoï
régna sur Moscou. D’un geste impérieux, il écartait les

lendemain, après enquête. Aux premières démarches, les
personnages importants, amis, le promirent, en effet. Toute-
fois, le lendemain, le fils ne revint pas. Le surlendemain,
les amis puissants reçurent M. G..., avec des paroles évasives.
Une cousine inquiète se rendit au dépôt mortuaire. Elle
reconnut, parmi vingt cadavres, celui de l’adolescent, percé
de balles, dépouillé de sa pelisse et de ses objets précieux.
On l’avait fusillé sans jugement, sur l’ordre d’un officier
qui était venu avec des soldats, la nuit, en l’absence du chef
de police, pour exécuter tous les étudiants pris dans la rue.
Il n’avait rien voulu entendre.
Que de parents retrouvèrent ainsi leur enfant, déjà vert,
entre une étudiante osseuse, vêtue de ses seuls cheveux
noirs, et un ouvrier, gras, mamelu, velu de gris. Le froid
retardait la décomposition. La plupart des victimes restèrent
exposées ainsi dans les hangars, nues de la tête aux jambes,
que recouvrait à peine l’amas des seules hardes dédaignées
par la convoitise des bourreaux.
 
Annotationen