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PARIS DANS SA SPLENDEUR.
donnait une fête à Saint-Cloud à cette même dame d’Averne. Illumination, feu d’artifice, tout un parc en feu : « Si le tonnerre
voulait s’en mêler ! » disait-on dans la foule.
Au milieu de toutes ces hontes, que devient cependant le génie de la France? Massillon faisait entendre dans la chaire un écho
harmonieux mais affaibli de la grande voix du XVIIe' siècle. Montesquieu, du haut de son siège de président à mortier, préludait,
en même temps, à V Esprit des Lois par le Temple de Guide et les Lettres Persanes. Il se plaisait à décrire V aimable folie de
Bacchus, et enseignait à la jeunesse frisée et poudrée du temps que la sagesse philosophique n’excluait ni l’impiété ni la volupté.
Voltaire, d’un autre côté, commençait dès lors à applaudir et à être applaudi. Œdipe avait été joué en 1718; la Henriade
paraissait à Londres en 1723 et popularisait un Henri IV du XVIIIe siècle, tolérant et philosophique, comme on l’était assez peu
au temps de Calvin. Le poète transformait d’ailleurs en vertus de roman les galanteries effrénées qui souillèrent sa vie. Au
même moment et dans la solitude du Jardin du Roi, Buffon, déjà célèbre, travaillait à refaire la Genèse. Enfin, grandissait dans
la boutique d’une vitrière un .enfant trouvé, fruit des débauches d’une grande dame du jour, enfant recueilli, en 1717, sur les -
marches de Saint-Jean-le-Rond, et qu’on appelait Jean-le-Rond, du nom de ce premier asile. Jcan-le-Rond ne tarda pas, au reste, .
comme Arouet, à rejeter le nom de son enfance qui sentait le peuple, et, lorsque parut son premier livre, vers 1740, il était
signé D’Alembert. Le Petit-Carême, les Lettres Persanes, la Henriade, les Epoques de la Nature, l’Encyclopédie, voilà ce que
rappellent ces noms et ces hommes à cette époque de leur existence. Lequel de ces livres, après plus de cent ans, a le moins vieilli?
Alors s’ourdissait cette vaste conspiration contre l’histoire, qui prenait le mensonge comme moyen, et en faisait un des éléments
confidentiellement avoués de*la propagande philosophique. Voilà où en était la France ! L’action de la Régence fut désastreuse
pour la Foi, pour les mœurs et pour la dignité. En politique ses résultats furent moins fâcheux, car ce fut une époque de paix;
mais nos ministres, ce qui ne s’était peut-être jamais vu, furent soudoyés par l’Angleterre. Ce n’était plus Londres qui était Vémule
de Paris, comme disait Voltaire, c’était Paris qui se faisait l’émule de Londres. Les philosophes se prenaient d’enthousiasme pour
le gouvernement de Henri VIII et d’Élisabeth; les poètes, Voltaire du moins, pour Shakspeare, les grands seigneurs, pour les
paris d’Epsom et le costume dégagé de la gentry anglaise; les bourgeois enfin et les hommes de lettres, pour les cafés et les clubs.
Le café Laurent, rue de Seine, réunissait, dès la fin du XVIIe siècle, quelques hommes de lettres, Saurin, Danchet, J.-B. Rousseau;
le café Procope réunit, au XVIIIe, La Motte, Piron, Voltaire, etc., et on vous y montrera aujourd’hui encore la place habituelle
de Jean-Jacques. Le café de la Régence, fondé en 1718, devenait, de son côté, le rendez-vous des joueurs d’échecs.
Louis XV était retourné à Versailles dès 1722', de sorte que Paris ne prit qu’une part indirecte aux événements de son règne.
Le culte de la royauté y était d’ailleurs vivant, autant que jamais, dans tous les cœurs. Les jours du roi ayant paru menacés
en 1721, on vit aussitôt, dit Barbier, la consternation dans les yeux de tout le monde. Et lorsque Helvétius eut triomphé du mal,
les acclamations, les illuminations et les réjouissances allèrent jusqu’à de grandes folies. Pendant quatre jours et quatre nuits,
Paris fut sur pied avec un tel dérangement et un tel tapage, que Barbier renonce à les décrire. Le même sentiment se retrouve,
mais moins bruyant, lors de l’arrivée de la reine. Le peuple sentait sa fierté blessée, « d’autant que la maison de Leckzinski n’est
pas une des quatre grandes noblesses de la Pologne » (Barbier), et cependant il se laissait aller à aimer et à applaudir.
A cet amour de la royauté se joignaient une foi vive et une pieuse confiance dans la protection d’en haut que le respect
humain n’atteignait point encore. Le roi était-il malade, les biens de la terre étaient-ils compromis? On demandait à grands cris
que la châsse de sainte Geneviève fût apportée à Notre-Dame. Barbier, qui représente assez bien le bourgeois égrillard et esprit
fort, se persuade, en 172b, qu’on ne parlera point de sainte Geneviève, malgré la pluie « incroyable qui perd tout, » et cela
de peur de compromettre la sainte. Mais voilà qu’on parle de sainte Geneviève; les magistrats sont les premiers à provoquer une
procession, et cette procession a lieu au milieu d’un « monde surprenant » et avec une piété, une solennité dont l’avocat
chroniqueur n’avait pas eu l’idée à l’avance.
Et cependant les avocats devenaient de plus en plus des docteurs. Ils le prouvèrent surtout dans les querelles du Jansénisme.
Le Jansénisme avait commencé parmi nous avec Saint-Cyran et les Arnauld, ces raides contemporains de saint François de Salles
et de saint Vincent de Paul, qui s’effrayaient des relâchements du Catholicisme tel qu’il était entendu et pratiqué par ces deux
saints. Rome fut moins sévère, et la constitution Unigenitus, promulguée le 8 septembre 1713, frappa le Jansénisme au cœur,
tant dans ses équivoques que dans ses doctrines. Mais alors les Jansénistes protestèrent contre l’enregistrement, c’est-à-dire qu’ils
portèrent la question de dogme de l’Église au Parlement de Paris, en attendant un futur concile. Les avocat^, les magistrats se
transformèrent donc en graves théologiens; la Foi, à les en croire, dépendait de la Grand’Chambre.
Cependant les Jansénistes, se croyant l’objet d’une grâce spéciale, d’une prédestination assurée, en voulaient voir partout les
manifestations. La mort du diacre Paris, « janséniste dans toutes les formes, » fit surtout grand bruit en 1727; et bientôt on
répandit la nouvelle qu’il faisait des miracles. Mais ce fut surtout en 1731 et 1732 qu’il y eut foule autour de son tombeau.
Ce tombeau était situé dans le petit cimetière de Saint-Médard, derrière le chœur de l’église, sur l’emplacement qu’occupe
aujourd’hui un atelier de menuisier. Le concours des adeptes y fut immense. On parlait de guérisons merveilleuses, et, de
PARIS DANS SA SPLENDEUR.
donnait une fête à Saint-Cloud à cette même dame d’Averne. Illumination, feu d’artifice, tout un parc en feu : « Si le tonnerre
voulait s’en mêler ! » disait-on dans la foule.
Au milieu de toutes ces hontes, que devient cependant le génie de la France? Massillon faisait entendre dans la chaire un écho
harmonieux mais affaibli de la grande voix du XVIIe' siècle. Montesquieu, du haut de son siège de président à mortier, préludait,
en même temps, à V Esprit des Lois par le Temple de Guide et les Lettres Persanes. Il se plaisait à décrire V aimable folie de
Bacchus, et enseignait à la jeunesse frisée et poudrée du temps que la sagesse philosophique n’excluait ni l’impiété ni la volupté.
Voltaire, d’un autre côté, commençait dès lors à applaudir et à être applaudi. Œdipe avait été joué en 1718; la Henriade
paraissait à Londres en 1723 et popularisait un Henri IV du XVIIIe siècle, tolérant et philosophique, comme on l’était assez peu
au temps de Calvin. Le poète transformait d’ailleurs en vertus de roman les galanteries effrénées qui souillèrent sa vie. Au
même moment et dans la solitude du Jardin du Roi, Buffon, déjà célèbre, travaillait à refaire la Genèse. Enfin, grandissait dans
la boutique d’une vitrière un .enfant trouvé, fruit des débauches d’une grande dame du jour, enfant recueilli, en 1717, sur les -
marches de Saint-Jean-le-Rond, et qu’on appelait Jean-le-Rond, du nom de ce premier asile. Jcan-le-Rond ne tarda pas, au reste, .
comme Arouet, à rejeter le nom de son enfance qui sentait le peuple, et, lorsque parut son premier livre, vers 1740, il était
signé D’Alembert. Le Petit-Carême, les Lettres Persanes, la Henriade, les Epoques de la Nature, l’Encyclopédie, voilà ce que
rappellent ces noms et ces hommes à cette époque de leur existence. Lequel de ces livres, après plus de cent ans, a le moins vieilli?
Alors s’ourdissait cette vaste conspiration contre l’histoire, qui prenait le mensonge comme moyen, et en faisait un des éléments
confidentiellement avoués de*la propagande philosophique. Voilà où en était la France ! L’action de la Régence fut désastreuse
pour la Foi, pour les mœurs et pour la dignité. En politique ses résultats furent moins fâcheux, car ce fut une époque de paix;
mais nos ministres, ce qui ne s’était peut-être jamais vu, furent soudoyés par l’Angleterre. Ce n’était plus Londres qui était Vémule
de Paris, comme disait Voltaire, c’était Paris qui se faisait l’émule de Londres. Les philosophes se prenaient d’enthousiasme pour
le gouvernement de Henri VIII et d’Élisabeth; les poètes, Voltaire du moins, pour Shakspeare, les grands seigneurs, pour les
paris d’Epsom et le costume dégagé de la gentry anglaise; les bourgeois enfin et les hommes de lettres, pour les cafés et les clubs.
Le café Laurent, rue de Seine, réunissait, dès la fin du XVIIe siècle, quelques hommes de lettres, Saurin, Danchet, J.-B. Rousseau;
le café Procope réunit, au XVIIIe, La Motte, Piron, Voltaire, etc., et on vous y montrera aujourd’hui encore la place habituelle
de Jean-Jacques. Le café de la Régence, fondé en 1718, devenait, de son côté, le rendez-vous des joueurs d’échecs.
Louis XV était retourné à Versailles dès 1722', de sorte que Paris ne prit qu’une part indirecte aux événements de son règne.
Le culte de la royauté y était d’ailleurs vivant, autant que jamais, dans tous les cœurs. Les jours du roi ayant paru menacés
en 1721, on vit aussitôt, dit Barbier, la consternation dans les yeux de tout le monde. Et lorsque Helvétius eut triomphé du mal,
les acclamations, les illuminations et les réjouissances allèrent jusqu’à de grandes folies. Pendant quatre jours et quatre nuits,
Paris fut sur pied avec un tel dérangement et un tel tapage, que Barbier renonce à les décrire. Le même sentiment se retrouve,
mais moins bruyant, lors de l’arrivée de la reine. Le peuple sentait sa fierté blessée, « d’autant que la maison de Leckzinski n’est
pas une des quatre grandes noblesses de la Pologne » (Barbier), et cependant il se laissait aller à aimer et à applaudir.
A cet amour de la royauté se joignaient une foi vive et une pieuse confiance dans la protection d’en haut que le respect
humain n’atteignait point encore. Le roi était-il malade, les biens de la terre étaient-ils compromis? On demandait à grands cris
que la châsse de sainte Geneviève fût apportée à Notre-Dame. Barbier, qui représente assez bien le bourgeois égrillard et esprit
fort, se persuade, en 172b, qu’on ne parlera point de sainte Geneviève, malgré la pluie « incroyable qui perd tout, » et cela
de peur de compromettre la sainte. Mais voilà qu’on parle de sainte Geneviève; les magistrats sont les premiers à provoquer une
procession, et cette procession a lieu au milieu d’un « monde surprenant » et avec une piété, une solennité dont l’avocat
chroniqueur n’avait pas eu l’idée à l’avance.
Et cependant les avocats devenaient de plus en plus des docteurs. Ils le prouvèrent surtout dans les querelles du Jansénisme.
Le Jansénisme avait commencé parmi nous avec Saint-Cyran et les Arnauld, ces raides contemporains de saint François de Salles
et de saint Vincent de Paul, qui s’effrayaient des relâchements du Catholicisme tel qu’il était entendu et pratiqué par ces deux
saints. Rome fut moins sévère, et la constitution Unigenitus, promulguée le 8 septembre 1713, frappa le Jansénisme au cœur,
tant dans ses équivoques que dans ses doctrines. Mais alors les Jansénistes protestèrent contre l’enregistrement, c’est-à-dire qu’ils
portèrent la question de dogme de l’Église au Parlement de Paris, en attendant un futur concile. Les avocat^, les magistrats se
transformèrent donc en graves théologiens; la Foi, à les en croire, dépendait de la Grand’Chambre.
Cependant les Jansénistes, se croyant l’objet d’une grâce spéciale, d’une prédestination assurée, en voulaient voir partout les
manifestations. La mort du diacre Paris, « janséniste dans toutes les formes, » fit surtout grand bruit en 1727; et bientôt on
répandit la nouvelle qu’il faisait des miracles. Mais ce fut surtout en 1731 et 1732 qu’il y eut foule autour de son tombeau.
Ce tombeau était situé dans le petit cimetière de Saint-Médard, derrière le chœur de l’église, sur l’emplacement qu’occupe
aujourd’hui un atelier de menuisier. Le concours des adeptes y fut immense. On parlait de guérisons merveilleuses, et, de