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PARIS DANS SA SPLENDEUR.
France. Un concordat intervint, le 18 germinal an X, qui, en rétablissant solennellement l’exercice du culte, détermina les
nouveaux rapports de l’Église de France avec le chef visible de L’Église universelle. Sans doute cette loi renfermait encore de
graves lacunes, et Pie VII avait dû faire aux intérêts du moment de pénibles concessions; mais la religion catholique était de
nouveau proclamée, et dix ans de blessures profondes furent cicatrisées en un jour. Ce fut une fête bien solennelle que celle qui,
pour la première fois, fut célébrée à Notre-Dame en l’honneur de ce grand événement. Bonaparte y assista lui-même entouré de
ses capitaines et de ses soldats de la République, et le peuple de Paris entendit avec bonheur le bourdon de la vieille métropole
- convoquer les fidèles au pied des autels, lui qui, depuis dix ans, n’avait guère fait entendre que le tocsin de l’émeute.
Cependant la régénération des lois et de l’ordre politique ne pouvait s’accomplir sans exercer une réaction considérable sur les
mœurs et coutumes de la population parisienne. Le premier Consul ne voulait autour de lui aucun des scandales du régime de
Louis XV; il aimait dans les mœurs extérieures une certaine sévérité, il interdisait au vice de s’afficher et de gouverner les caprices
de la mode, et l’honnêteté publique gagnait beaucoup à ce système. La société avait d’ailleurs hâte de se purifier des souillures
du Directoire; l’atticisme reprenait ses droits, et les étrangers, exclus de Paris depuis dix ans, par les fureurs révolutionnaires,
accouraient enfin à Paris, pleins de curiosité et saisis d’admiration; surtout ils se montraient avides de connaître quelques
détails de la vie et des habitudes du premier Consul; ils passaient sur ces places publiques à peine déblayées de ruines, et que
l’imagination leur représentait comme rouges de sang, puis ils encombraient nos salles de théâtres, nos athénées, nos musées
enrichis par les dépouilles opimes de l’Italie. Paris s’étalait à leurs yeux comme une femme fiêre de sa beauté; son peuple affichait
le faste, se plaisait au luxe, aux pompes militaires, aux œuvres de théâtre, non plus comme sous le Directoire, alors que le luxe
des enrichis ne se composait que de confiscations et d’agiotage, mais parce que la confiance reparaissait avec ses joies et ses fêtes,
parce que la fortune semblait être devenue le récompense des services rendus, des talents utiles. Parmi les salons qui s’ouvraient
à la foule, on citait ceux de l’envoyé de Russie, de M. de Talleyrand, des banquiers Perregaux, Séguin, Hainguerlot, et avant
tous les autres, celui de Mme Récamier, femme illustre, belle et généreuse, qu’il suffît de nommer, et que notre grande capitale
n’a point oubliée. On y remarquait déjà l’élite des hommes littéraires de cette époque, et entre tous, M. de Chateaubriand, jeune
alors, et qui s’était rendu célèbre par la publication de son ouvrage, le Génie du Christianisme. Les autres écrivains et penseurs,
M. de Bonald, M. de Fontanes, La Harpe, Delille, Chénier, attiraient à des degrés différents l’attention publique, et déjà commençait
à se révéler le génie original de Béranger.
Les modes et les costumes avaient subi quelques transformations depuis Barras. On avait renoncé aux vêtements qui, par
leur simplicité trop imitée de la statuaire antique, outrageaient à la fois les mœurs publiques et le goût. Les femmes étaient
cependant fort loin encore d’avoir adopté des modes décentes. Au grand détriment de leur réputation et de leur santé, elles se
pavanaient dans les promenades et dans les rues, vêtues comme des actrices sur un théâtre. Les robes à la grecque laissaient à
découvert les bras et la poitrine : elles marquaient la taille d’une façon très-disgracieuse, que les tableaux et les gravures de cette
époque n’ont point laissé ignorer à la génération actuelle. Les vêtements d’hommes étaient assez ridicules. Un frac long, droit,
tout d’une pièce, recouvrait le corps sans le garantir du froid; on portait encore des culottes courtes; les cheveux, noués en
queue, se balançaient sur le collet de l’habit; une immense cravate, négligemment roulée, laissait apparaître une tête qui
terminait en pointe la personne du merveilleux de l’an XL Les spectacles offraient alors à la population et aux étrangers une source
féconde de distractions. La scène française était alors occupée par les artistes les plus célèbres, et, depuis-cette époque, notre pays
n’a jamais été doté d’un si grand nombre de renommées de théâtre.
Parmi les édifices utiles, les travaux de grande voirie et les monuments dont la construction remonte à l’époque consulaire,
bien que, pour la plupart, ils n’aient été achevés que sous l’Empire, nous citerons le pont d’Austerlitz, commencé en 1802, le
pont de la Cité, commencé en 1801, le pont des Arts (1802), le quai des Invalides, commencé en 1802, le quai du Louvre, le
quai Desaix, le quai de la Cité, le canal de l’Ourcq, le Musée du Louvre (18 brumaire an IX), etc.
En résumé, le Consulat fut une période de transition entre la Révolution et l’Empire. Le gouvernement du premier Consul
n’exerça point le despotisme, mais la dictature, qui était une nécessité de ce temps et qui fut évidemment légitime, parce qu’elle
sauva le pays. Ce fut une époque vraiment civilisatrice, vraiment forte, durant laquelle le pouvoir remplit laborieusement sa
mission. Réorganisation religieuse et morale, restauration du culte, retour du crédit, extinction du brigandage, défaite de
l’anarchie, soumission de l’Europe, abolition successive des institutions vicieuses que la Révolution nous avait léguées, résurrection
inattendue d’un pouvoir craint, obéi et respecté, telle fut l’histoire de la ville de Paris et de la France, livrées l’une et l’autre,
pendant quatre ans, à un travail de reconstitution générale et dont l’étude appelle au plus haut degré les préoccupations des
hommes réfléchis et des publicistes intelligents.
Quoi qu’il en soit, la période consulaire touchant à son terme, l’œuvre de régénération était accomplie, et la France, convoquée
dans ses comices, appela au trône impérial le vainqueur de Marengo, le grand capitaine qui avait rétabli le règne des lois et
relevé les autels.
PARIS DANS SA SPLENDEUR.
France. Un concordat intervint, le 18 germinal an X, qui, en rétablissant solennellement l’exercice du culte, détermina les
nouveaux rapports de l’Église de France avec le chef visible de L’Église universelle. Sans doute cette loi renfermait encore de
graves lacunes, et Pie VII avait dû faire aux intérêts du moment de pénibles concessions; mais la religion catholique était de
nouveau proclamée, et dix ans de blessures profondes furent cicatrisées en un jour. Ce fut une fête bien solennelle que celle qui,
pour la première fois, fut célébrée à Notre-Dame en l’honneur de ce grand événement. Bonaparte y assista lui-même entouré de
ses capitaines et de ses soldats de la République, et le peuple de Paris entendit avec bonheur le bourdon de la vieille métropole
- convoquer les fidèles au pied des autels, lui qui, depuis dix ans, n’avait guère fait entendre que le tocsin de l’émeute.
Cependant la régénération des lois et de l’ordre politique ne pouvait s’accomplir sans exercer une réaction considérable sur les
mœurs et coutumes de la population parisienne. Le premier Consul ne voulait autour de lui aucun des scandales du régime de
Louis XV; il aimait dans les mœurs extérieures une certaine sévérité, il interdisait au vice de s’afficher et de gouverner les caprices
de la mode, et l’honnêteté publique gagnait beaucoup à ce système. La société avait d’ailleurs hâte de se purifier des souillures
du Directoire; l’atticisme reprenait ses droits, et les étrangers, exclus de Paris depuis dix ans, par les fureurs révolutionnaires,
accouraient enfin à Paris, pleins de curiosité et saisis d’admiration; surtout ils se montraient avides de connaître quelques
détails de la vie et des habitudes du premier Consul; ils passaient sur ces places publiques à peine déblayées de ruines, et que
l’imagination leur représentait comme rouges de sang, puis ils encombraient nos salles de théâtres, nos athénées, nos musées
enrichis par les dépouilles opimes de l’Italie. Paris s’étalait à leurs yeux comme une femme fiêre de sa beauté; son peuple affichait
le faste, se plaisait au luxe, aux pompes militaires, aux œuvres de théâtre, non plus comme sous le Directoire, alors que le luxe
des enrichis ne se composait que de confiscations et d’agiotage, mais parce que la confiance reparaissait avec ses joies et ses fêtes,
parce que la fortune semblait être devenue le récompense des services rendus, des talents utiles. Parmi les salons qui s’ouvraient
à la foule, on citait ceux de l’envoyé de Russie, de M. de Talleyrand, des banquiers Perregaux, Séguin, Hainguerlot, et avant
tous les autres, celui de Mme Récamier, femme illustre, belle et généreuse, qu’il suffît de nommer, et que notre grande capitale
n’a point oubliée. On y remarquait déjà l’élite des hommes littéraires de cette époque, et entre tous, M. de Chateaubriand, jeune
alors, et qui s’était rendu célèbre par la publication de son ouvrage, le Génie du Christianisme. Les autres écrivains et penseurs,
M. de Bonald, M. de Fontanes, La Harpe, Delille, Chénier, attiraient à des degrés différents l’attention publique, et déjà commençait
à se révéler le génie original de Béranger.
Les modes et les costumes avaient subi quelques transformations depuis Barras. On avait renoncé aux vêtements qui, par
leur simplicité trop imitée de la statuaire antique, outrageaient à la fois les mœurs publiques et le goût. Les femmes étaient
cependant fort loin encore d’avoir adopté des modes décentes. Au grand détriment de leur réputation et de leur santé, elles se
pavanaient dans les promenades et dans les rues, vêtues comme des actrices sur un théâtre. Les robes à la grecque laissaient à
découvert les bras et la poitrine : elles marquaient la taille d’une façon très-disgracieuse, que les tableaux et les gravures de cette
époque n’ont point laissé ignorer à la génération actuelle. Les vêtements d’hommes étaient assez ridicules. Un frac long, droit,
tout d’une pièce, recouvrait le corps sans le garantir du froid; on portait encore des culottes courtes; les cheveux, noués en
queue, se balançaient sur le collet de l’habit; une immense cravate, négligemment roulée, laissait apparaître une tête qui
terminait en pointe la personne du merveilleux de l’an XL Les spectacles offraient alors à la population et aux étrangers une source
féconde de distractions. La scène française était alors occupée par les artistes les plus célèbres, et, depuis-cette époque, notre pays
n’a jamais été doté d’un si grand nombre de renommées de théâtre.
Parmi les édifices utiles, les travaux de grande voirie et les monuments dont la construction remonte à l’époque consulaire,
bien que, pour la plupart, ils n’aient été achevés que sous l’Empire, nous citerons le pont d’Austerlitz, commencé en 1802, le
pont de la Cité, commencé en 1801, le pont des Arts (1802), le quai des Invalides, commencé en 1802, le quai du Louvre, le
quai Desaix, le quai de la Cité, le canal de l’Ourcq, le Musée du Louvre (18 brumaire an IX), etc.
En résumé, le Consulat fut une période de transition entre la Révolution et l’Empire. Le gouvernement du premier Consul
n’exerça point le despotisme, mais la dictature, qui était une nécessité de ce temps et qui fut évidemment légitime, parce qu’elle
sauva le pays. Ce fut une époque vraiment civilisatrice, vraiment forte, durant laquelle le pouvoir remplit laborieusement sa
mission. Réorganisation religieuse et morale, restauration du culte, retour du crédit, extinction du brigandage, défaite de
l’anarchie, soumission de l’Europe, abolition successive des institutions vicieuses que la Révolution nous avait léguées, résurrection
inattendue d’un pouvoir craint, obéi et respecté, telle fut l’histoire de la ville de Paris et de la France, livrées l’une et l’autre,
pendant quatre ans, à un travail de reconstitution générale et dont l’étude appelle au plus haut degré les préoccupations des
hommes réfléchis et des publicistes intelligents.
Quoi qu’il en soit, la période consulaire touchant à son terme, l’œuvre de régénération était accomplie, et la France, convoquée
dans ses comices, appela au trône impérial le vainqueur de Marengo, le grand capitaine qui avait rétabli le règne des lois et
relevé les autels.