56 PARIS DANS SA SPLENDEUR.
soit isolément, soit à la fois, sans réussir à dominer les cris et le tumulte. Raspail essaya de lire quelques passages d’une
prétendue pétition destinée à provoquer une déclaration de guerre. Barbés, Blanqui, Louis Blanc parurent prononcer des phrases
dans le même sens. Les insurgés décrétèrent successivement la création d’un ministère du travail et la levée d’un impôt d’un
milliard sur les riches; d’autres portèrent triomphalement Louis Blanc sur leurs épaules, autour de l’Assemblée. Enfin, à quatre
heures, Huber, se hissant à la tribune, fit entendre d’une voix forte ces mots: « Au nom du peuple, l’Assemblée Nationale est
dissoute! » Vers le même moment, le président et l’Assamblée, expulsés par la force, sortirent de l’enceinte.
Cependant le rappel battait dans tous les quartiers, et la garde nationale, ayant en tête la 10e légion, se massait autour du
palais de l’Assembléë. A peine vit-on apparaître les drapeaux et les baïonnettes, que les insurgés, redoutant à leur tour d’engager
la lutte, se dispersèrent et s’enfuirent au hasard. Toutefois, leur principale colonne, cherchant toujours à compléter sa victoire,
se porta audacieusement sur l’Hôtel-de-Ville, ralliant en chemin des misérables, ivres et coiffés de bonnets rouges. La garde
nationale accourut, barra le passage aux émeutiers, et ce fut à peine si une poignée d’entr’eux parvint à s’introduire dans'
l’Hôtel-de-Ville, où leur arrestation ne tarda pas à être opérée. Quant à l’Assemblée, délivrée des hordes qui l’avaient Un moment
dissoute, elle avait repris ses travaux, et s’occupait à décréter des mesures d’ordre et de répression. Ainsi se termina la journée
du 15 mai, qui fut une odieuse parodie des grands attentats populaires de 1793.
Six jours après, le 21 mai, eut lieu au Chainp-de-Mars une manifestation pacifique, organisée par le pouvoir exécutif, et qui
reçut la dénomination de Fête de la Concorde. Personne ne prenait au sérieux une pareille solennité, car, plus que jamais, on
sentait que la concorde était absente des cœurs, et l’on pressentait de nouvelles luttes. La commission des cinq parodiait volontiers
les fêtes de l’ancien Directoire, comme les hommes des clubs singeaient, plus maladroitement encore, les Jacobins et les Cordeliers
de l’an IL Quoi qu’il en soit, un cortège destiné à honorer l’industrie et le travail, et conduisant les machines et les instruments
symboliques du labeur des classes ouvrières, parcourut pompeusement le Champ-de-Mars, et stationna au pied des effigies
colossales dont on avait décoré cette vaste plaine. En tête du cortège marchaient processionnellement cinq cents jeunes filles,
vêtues de blanc, couronnées de feuilles de chêne, portant ou accompagnant des bannières. Venaient ensuite les corporations
ouvrières, les délégués de chaque corps d’état, avec les attributs de leurs professions respectives et promenant d’une manière
triomphale les chefs-d’œuvre dus à leur intelligence. Le Champ-de-Mars était parsemé de drapeaux, de bannières, d’oriflammes
et de banderoles, et la multitude, d’ailleurs peu nombreuse, considérait avec une froide curiosité les glandes et gigantesques
statues en plâtre qui représentaient l’Égalité, la Liberté, le Commerce, la Marine, la République, etc. Ces imitations des fêtes
de la Grèce païenne, ces jeunes filles dont on critiquait la figure ou le costume, et auxquelles on avait donné des livrets de caisse
d’épargne, ces affectations mensongères de fraternité, émanant de gens ennemis et à la veille de recommencer la guerre civile,
rien de tout cela ne paraissait propre à satisfaire le cœur et à faire surgir l’espérance. Le soir, tout fut terminé par des
illuminations, et le lendemain la question sociale se reproduisit de nouveau avec toutes ses difficultés.
Dans les premiers jours de juin des élections partielles eurent lieu à Paris. La population n’était point encore revenue de son
engouement pour Marc Caussidière, ce vieux conspirateur qui, étant préfet de police, avait laissé s’accomplir l’attentat du 15 mai,
Cet homme fut élu. Or, jamais les oracles du suffrage universel n’avaient paru plus étranges et plus contradictoires. Parmi les
nouveaux députés figuraient le général Changarnier, M. Victor Hugo, M. Proudhon, le citoyen Lagrange, et l’homme à qui Dieu
réservait la gloire de sauver la France mise en péril par tant d’insensés : nous voulons parler du prince Louis-Napoléon Bonaparte,
neveu de l’Empereur, et alors exilé volontairement à Londres. Cette élection ayant ravivé les haines et servi de prétexte aux
socialistes pour faire croire à de prétendus complots contre la république, le prince Louis-Napoléon, par une lettre pleine de
dignité et de patriotisme, dont il fut donné lecture à l’Assemblée Nationale, déclara refuser le mandat de représentant. « Mon
nom est avant tout, écrivait le prince, un symbole d’ordre, de nationalité et de gloire, et, plutôt que d’être le sujet de troubles
et de déchirements, j’aimerais mieux rester en exil. » La démission du prince fut acceptée; mais cet acte d’abnégation et de
sacrifice ne put garantir la capitale des épreuves dont la menaçait le socialisme. . v
L’Assemblée Nationale avait rendu un décret pour dissoudre les ateliers nationaux et éloigner de Paris une masse considérable
de citoyens étrangers à cette ville, et qui, depuis six mois, y avaient apporté, de tous les points de la France, leurs besoins, leur
oisiveté, leurs convoitises. Si cet ordre de la loi s’exécutait, l’armée de l’émeute était dissoute, la révolution était vaincue; or, le
socialisme n’entendait pas désarmer sans combattre.
Parmi les hommes qui, sous prétexte de travailler aux ateliers nationaux, vivaient tranquillement aux dépens du Trésor public,
il s’en trouvait bon nombre qui avaient servi sous les drapeaux, beaucoup d’autres qui, au milieu des clubs, puisaient sans
relâche des idées de destruction et de vengeance. Ces individus constituaient naturellement l’armée de l’insurrection et de la
guerre civile; leur masse dépassait quarante mille combattants, et comme la république avait pourvu de sabres, de fusils et de
cartouches tous les citoyens en état de porter un mousqueton, ni les armes ni les munitions ne leur manquaient. Formés depuis
longtemps à la science des barricades, ils savaient les moyens d’arrêter la garde nationale et l’armée aux abords des carrefours
soit isolément, soit à la fois, sans réussir à dominer les cris et le tumulte. Raspail essaya de lire quelques passages d’une
prétendue pétition destinée à provoquer une déclaration de guerre. Barbés, Blanqui, Louis Blanc parurent prononcer des phrases
dans le même sens. Les insurgés décrétèrent successivement la création d’un ministère du travail et la levée d’un impôt d’un
milliard sur les riches; d’autres portèrent triomphalement Louis Blanc sur leurs épaules, autour de l’Assemblée. Enfin, à quatre
heures, Huber, se hissant à la tribune, fit entendre d’une voix forte ces mots: « Au nom du peuple, l’Assemblée Nationale est
dissoute! » Vers le même moment, le président et l’Assamblée, expulsés par la force, sortirent de l’enceinte.
Cependant le rappel battait dans tous les quartiers, et la garde nationale, ayant en tête la 10e légion, se massait autour du
palais de l’Assembléë. A peine vit-on apparaître les drapeaux et les baïonnettes, que les insurgés, redoutant à leur tour d’engager
la lutte, se dispersèrent et s’enfuirent au hasard. Toutefois, leur principale colonne, cherchant toujours à compléter sa victoire,
se porta audacieusement sur l’Hôtel-de-Ville, ralliant en chemin des misérables, ivres et coiffés de bonnets rouges. La garde
nationale accourut, barra le passage aux émeutiers, et ce fut à peine si une poignée d’entr’eux parvint à s’introduire dans'
l’Hôtel-de-Ville, où leur arrestation ne tarda pas à être opérée. Quant à l’Assemblée, délivrée des hordes qui l’avaient Un moment
dissoute, elle avait repris ses travaux, et s’occupait à décréter des mesures d’ordre et de répression. Ainsi se termina la journée
du 15 mai, qui fut une odieuse parodie des grands attentats populaires de 1793.
Six jours après, le 21 mai, eut lieu au Chainp-de-Mars une manifestation pacifique, organisée par le pouvoir exécutif, et qui
reçut la dénomination de Fête de la Concorde. Personne ne prenait au sérieux une pareille solennité, car, plus que jamais, on
sentait que la concorde était absente des cœurs, et l’on pressentait de nouvelles luttes. La commission des cinq parodiait volontiers
les fêtes de l’ancien Directoire, comme les hommes des clubs singeaient, plus maladroitement encore, les Jacobins et les Cordeliers
de l’an IL Quoi qu’il en soit, un cortège destiné à honorer l’industrie et le travail, et conduisant les machines et les instruments
symboliques du labeur des classes ouvrières, parcourut pompeusement le Champ-de-Mars, et stationna au pied des effigies
colossales dont on avait décoré cette vaste plaine. En tête du cortège marchaient processionnellement cinq cents jeunes filles,
vêtues de blanc, couronnées de feuilles de chêne, portant ou accompagnant des bannières. Venaient ensuite les corporations
ouvrières, les délégués de chaque corps d’état, avec les attributs de leurs professions respectives et promenant d’une manière
triomphale les chefs-d’œuvre dus à leur intelligence. Le Champ-de-Mars était parsemé de drapeaux, de bannières, d’oriflammes
et de banderoles, et la multitude, d’ailleurs peu nombreuse, considérait avec une froide curiosité les glandes et gigantesques
statues en plâtre qui représentaient l’Égalité, la Liberté, le Commerce, la Marine, la République, etc. Ces imitations des fêtes
de la Grèce païenne, ces jeunes filles dont on critiquait la figure ou le costume, et auxquelles on avait donné des livrets de caisse
d’épargne, ces affectations mensongères de fraternité, émanant de gens ennemis et à la veille de recommencer la guerre civile,
rien de tout cela ne paraissait propre à satisfaire le cœur et à faire surgir l’espérance. Le soir, tout fut terminé par des
illuminations, et le lendemain la question sociale se reproduisit de nouveau avec toutes ses difficultés.
Dans les premiers jours de juin des élections partielles eurent lieu à Paris. La population n’était point encore revenue de son
engouement pour Marc Caussidière, ce vieux conspirateur qui, étant préfet de police, avait laissé s’accomplir l’attentat du 15 mai,
Cet homme fut élu. Or, jamais les oracles du suffrage universel n’avaient paru plus étranges et plus contradictoires. Parmi les
nouveaux députés figuraient le général Changarnier, M. Victor Hugo, M. Proudhon, le citoyen Lagrange, et l’homme à qui Dieu
réservait la gloire de sauver la France mise en péril par tant d’insensés : nous voulons parler du prince Louis-Napoléon Bonaparte,
neveu de l’Empereur, et alors exilé volontairement à Londres. Cette élection ayant ravivé les haines et servi de prétexte aux
socialistes pour faire croire à de prétendus complots contre la république, le prince Louis-Napoléon, par une lettre pleine de
dignité et de patriotisme, dont il fut donné lecture à l’Assemblée Nationale, déclara refuser le mandat de représentant. « Mon
nom est avant tout, écrivait le prince, un symbole d’ordre, de nationalité et de gloire, et, plutôt que d’être le sujet de troubles
et de déchirements, j’aimerais mieux rester en exil. » La démission du prince fut acceptée; mais cet acte d’abnégation et de
sacrifice ne put garantir la capitale des épreuves dont la menaçait le socialisme. . v
L’Assemblée Nationale avait rendu un décret pour dissoudre les ateliers nationaux et éloigner de Paris une masse considérable
de citoyens étrangers à cette ville, et qui, depuis six mois, y avaient apporté, de tous les points de la France, leurs besoins, leur
oisiveté, leurs convoitises. Si cet ordre de la loi s’exécutait, l’armée de l’émeute était dissoute, la révolution était vaincue; or, le
socialisme n’entendait pas désarmer sans combattre.
Parmi les hommes qui, sous prétexte de travailler aux ateliers nationaux, vivaient tranquillement aux dépens du Trésor public,
il s’en trouvait bon nombre qui avaient servi sous les drapeaux, beaucoup d’autres qui, au milieu des clubs, puisaient sans
relâche des idées de destruction et de vengeance. Ces individus constituaient naturellement l’armée de l’insurrection et de la
guerre civile; leur masse dépassait quarante mille combattants, et comme la république avait pourvu de sabres, de fusils et de
cartouches tous les citoyens en état de porter un mousqueton, ni les armes ni les munitions ne leur manquaient. Formés depuis
longtemps à la science des barricades, ils savaient les moyens d’arrêter la garde nationale et l’armée aux abords des carrefours