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PARIS DANS SA SPLENDEUR.
l’une allait de la porte Saint-Antoine à la porte Saint-Honoré; l’autre, de la porte Saint-Victor à la porte Saint-Germain. Ces
quatre voies, se croisant ent'r’elles, et quelques autres, telles que les rues Montmartre, du Temple, de la Harpe, qui mettaient en
communication les ponts et les portes, formaient les principales lignes du canevas immense, confus et inextricable des rues de Paris.
Au-dessus de cet amas prodigieux de maisons inégales, parsemées d’hôtels et séparées, d’espaces en espaces, par des jardins
et des enclos, se dressaient un nombre inouï de clochers et de clochetons, de tours et de flèches. Au centre, et entourée des
deux bras de la Seine, la vieille Cité ressemblait à un navire ayant sa poupe au Levant, sa proue au Couchant. Là, apparaissaient
comme deux énormes géants, les tours carrées de Notre-Dame; plus loin, s’arrondissait le’ chevet de la Sainte-Chapelle surmontée
de sa flèche élancée; à peu de distance, on rencontrait le palais du Parlement, ancienne résidence des rois, et dont l’enceinte
flanquée de tours avait conservé toute l’apparence d’une forteresse féodale. Autour de ces édifices, comme des sentinelles dévouées,
s’élevaient les flèches aiguës et dentelées de plusieurs églises, telles que Saint-Pierre-aux-Bœufs, Saint-Germain-le-Vieux et
Saint-Landry. Sur la rive gauche, on entrevoyait confusément les quarante-deux collèges dont s’enorgueillissait l’Université;
plusieurs palais, tels que l’hôtel de Cluny, l’hôtel de Nevers, l’hôtel de Reims, et de vastes et splendides abbayes, parmi
lesquelles nous mentionnerons les Bernardins, Sainte-Geneviève, les Mathurins, Saint-Benoît, les Augustins, les Carmes, les
Cordeliers, les Jacobins. Sur la rive droite, de la rue des Nonains d’Yères à la rue des Célcstins, on remarquait les hôtels de
Jouy et de Sens, l’hôtel Barbeau et le logis de la Reine; du côté de l’Arsenal, l’ancien hôtel Saint-Pal, dont les dépendances
avaient déjà été diminuées par des rues de construction nouvelle, mais qui naguère avaient pu loger vingt-deux princes avec leur
suite. En suivant la rue Saint-Antoine, dominée, à l’une de ses extrémités, par la Bastille, l’œil rencontrait, d’un côté, l’hôtel
d’Angoulème, vaste construction de plusieurs époques et de plusieurs styles; de l’autre, le palais des Tournelles, surmonté
d’une forêt d’aiguilles de pierre, variées dans leur forme; à côté, des jardins peuplés de grands arbres et où plus tard on
construisit la place Royale;'à l’autre extrémité de Paris, vers le Couchant, le vieux Louvre de Philippe-Auguste, dont la grosse
tour ralliait autour de ses flancs vingt-trois autres tours, sans compter les tourelles, et semblait la gardienne de la ville. Telle
était, vue à vol d’oiseau, et distribuée par grandes masses, la capitale de la France sous le règne de François Ier, et à l’époque où,
sous prétexte de renaissance, on allait faire entrer l’art dans des voies nouvelles et enlever au vieux Paris cette physionomie
dont il est si difficile aujourd’hui de reconstituer l’ensemble.
Vraiment père des lettres, François Ier se plut à réunir autour de lui l’élite des écrivains et des érudits dont s’honorait alors
la France, et, à vrai dire, leurs noms étaient parfois assez obscurs. Les évêques de Sens, de Senlis, de Mâcon, de Montpellier, de
Grasse, de Nabbio, et avec eux, Guillaume Cop, Lascaris, Guillaume Budée (lui surtout), vivaient dans la familiarité du prince,
se groupaient autour de lui comme auprès d’un autre Charlemagne. Par les conseils de Budée, François Ier fonda le Collège-Royal
(collège de France), destiné d’abord à l’enseignement supérieur des langues. Plusieurs établissements de ce genre existaient déjà
à l’étranger : Léon X en avait fondé un à Rome; Jérôme Busleiden, un autre à Louvain. 11 s’agissait, à la cour du roi de France,
de savoir à quel homme de génie la direction du Collège-Royal serait confiée, et le roi jeta les yeux sur Érasme le laissant maître
des conditions, lui offrant des faveurs et de l’or plus que n’en pouvait désirer l’orgueil d’un savant: lettres, prières, sollicitations,
promesses, rien ne put déterminer Érasme à quitter sa tranquille retraite de Hollande, et à venir à Paris. Le roi n’en poursuivit
pas moins le but qu’il se proposait d’atteindre. Il décida que l’on construirait à l’hôtel de Nesle un édifice capable de contenir un
grand nombre de professeurs et six cents élèves; 80,000 écus de rente étaient destinés à leur entretien. On s’inquiéta, dans les
rangs de la faculté de théologie, d’une création qui (l’expérience ne le prouvait que trop) pouvait, sous prétexte d’enseignement
scientifique, introduire en France beaucoup de savants luthériens, anabaptistes, sacramentaires et autres, plus disposés à propager
l’hérésie qu’à étendre les conquêtes de la linguistique. Comme il s’agissait d’interpréter publiquement la Bible en hébreu,
l’Université, n’ignorant pas que le.commentaire est presque l’accessoire obligé de la traduction, vit de sérieux dangers à cet
exercice; ce sentiment de répulsion donna lieu à des inquiétudes exagérées et empreintes d’ignorance. François 1er exigea que
1’enseignement du Collège-Royal fût donné à tous, aux frais du Trésor public. L’enthousiasme excité par l’hébreu, le grec et le
latin fit un peu dédaigner aux savants les progrès de la langue française; celle-ci, toutefois, eut d’heureuses destinées. Introduite
dans les tribunaux, discutée par les grammairiens, ennoblie par les traducteurs, réglée par des tentatives novatrices, elle ne cessa
de se développer et de s’affermir. Déjà, sous le règne de François Ier, l’art théâtral avait fait dos progrès assez sensibles; on avait
interdit de mêler dans les Mystères dramatiques la représentation des choses de la Foi mêlées à de grotesques bouffonneries.
Ces pièces étranges avaient été remplacées par des farces, des sottises et des moralités ; mais, en dépit de leur titre, les pièces de
cette dernière catégorie étaient trop souvent entachées d’une’obscénité révoltante. C’était le temps où Clément Marot et Rabelais
étaient en possession de plaire à la cour et au peuple, et, à vrai dire, on ne pouvait contester ni la fécondité de leur verve ni
l’étrange puissance de leur génie.
Sous Henri II (1847), fils et successeur de François Ier, on vit se continuer la politique du dernier règne, et le nouveau roi,
homme sans capacité réelle, exagéra les fautes de son père sans les compenser par le goût, l’intelligence et des améliorations utiles.
PARIS DANS SA SPLENDEUR.
l’une allait de la porte Saint-Antoine à la porte Saint-Honoré; l’autre, de la porte Saint-Victor à la porte Saint-Germain. Ces
quatre voies, se croisant ent'r’elles, et quelques autres, telles que les rues Montmartre, du Temple, de la Harpe, qui mettaient en
communication les ponts et les portes, formaient les principales lignes du canevas immense, confus et inextricable des rues de Paris.
Au-dessus de cet amas prodigieux de maisons inégales, parsemées d’hôtels et séparées, d’espaces en espaces, par des jardins
et des enclos, se dressaient un nombre inouï de clochers et de clochetons, de tours et de flèches. Au centre, et entourée des
deux bras de la Seine, la vieille Cité ressemblait à un navire ayant sa poupe au Levant, sa proue au Couchant. Là, apparaissaient
comme deux énormes géants, les tours carrées de Notre-Dame; plus loin, s’arrondissait le’ chevet de la Sainte-Chapelle surmontée
de sa flèche élancée; à peu de distance, on rencontrait le palais du Parlement, ancienne résidence des rois, et dont l’enceinte
flanquée de tours avait conservé toute l’apparence d’une forteresse féodale. Autour de ces édifices, comme des sentinelles dévouées,
s’élevaient les flèches aiguës et dentelées de plusieurs églises, telles que Saint-Pierre-aux-Bœufs, Saint-Germain-le-Vieux et
Saint-Landry. Sur la rive gauche, on entrevoyait confusément les quarante-deux collèges dont s’enorgueillissait l’Université;
plusieurs palais, tels que l’hôtel de Cluny, l’hôtel de Nevers, l’hôtel de Reims, et de vastes et splendides abbayes, parmi
lesquelles nous mentionnerons les Bernardins, Sainte-Geneviève, les Mathurins, Saint-Benoît, les Augustins, les Carmes, les
Cordeliers, les Jacobins. Sur la rive droite, de la rue des Nonains d’Yères à la rue des Célcstins, on remarquait les hôtels de
Jouy et de Sens, l’hôtel Barbeau et le logis de la Reine; du côté de l’Arsenal, l’ancien hôtel Saint-Pal, dont les dépendances
avaient déjà été diminuées par des rues de construction nouvelle, mais qui naguère avaient pu loger vingt-deux princes avec leur
suite. En suivant la rue Saint-Antoine, dominée, à l’une de ses extrémités, par la Bastille, l’œil rencontrait, d’un côté, l’hôtel
d’Angoulème, vaste construction de plusieurs époques et de plusieurs styles; de l’autre, le palais des Tournelles, surmonté
d’une forêt d’aiguilles de pierre, variées dans leur forme; à côté, des jardins peuplés de grands arbres et où plus tard on
construisit la place Royale;'à l’autre extrémité de Paris, vers le Couchant, le vieux Louvre de Philippe-Auguste, dont la grosse
tour ralliait autour de ses flancs vingt-trois autres tours, sans compter les tourelles, et semblait la gardienne de la ville. Telle
était, vue à vol d’oiseau, et distribuée par grandes masses, la capitale de la France sous le règne de François Ier, et à l’époque où,
sous prétexte de renaissance, on allait faire entrer l’art dans des voies nouvelles et enlever au vieux Paris cette physionomie
dont il est si difficile aujourd’hui de reconstituer l’ensemble.
Vraiment père des lettres, François Ier se plut à réunir autour de lui l’élite des écrivains et des érudits dont s’honorait alors
la France, et, à vrai dire, leurs noms étaient parfois assez obscurs. Les évêques de Sens, de Senlis, de Mâcon, de Montpellier, de
Grasse, de Nabbio, et avec eux, Guillaume Cop, Lascaris, Guillaume Budée (lui surtout), vivaient dans la familiarité du prince,
se groupaient autour de lui comme auprès d’un autre Charlemagne. Par les conseils de Budée, François Ier fonda le Collège-Royal
(collège de France), destiné d’abord à l’enseignement supérieur des langues. Plusieurs établissements de ce genre existaient déjà
à l’étranger : Léon X en avait fondé un à Rome; Jérôme Busleiden, un autre à Louvain. 11 s’agissait, à la cour du roi de France,
de savoir à quel homme de génie la direction du Collège-Royal serait confiée, et le roi jeta les yeux sur Érasme le laissant maître
des conditions, lui offrant des faveurs et de l’or plus que n’en pouvait désirer l’orgueil d’un savant: lettres, prières, sollicitations,
promesses, rien ne put déterminer Érasme à quitter sa tranquille retraite de Hollande, et à venir à Paris. Le roi n’en poursuivit
pas moins le but qu’il se proposait d’atteindre. Il décida que l’on construirait à l’hôtel de Nesle un édifice capable de contenir un
grand nombre de professeurs et six cents élèves; 80,000 écus de rente étaient destinés à leur entretien. On s’inquiéta, dans les
rangs de la faculté de théologie, d’une création qui (l’expérience ne le prouvait que trop) pouvait, sous prétexte d’enseignement
scientifique, introduire en France beaucoup de savants luthériens, anabaptistes, sacramentaires et autres, plus disposés à propager
l’hérésie qu’à étendre les conquêtes de la linguistique. Comme il s’agissait d’interpréter publiquement la Bible en hébreu,
l’Université, n’ignorant pas que le.commentaire est presque l’accessoire obligé de la traduction, vit de sérieux dangers à cet
exercice; ce sentiment de répulsion donna lieu à des inquiétudes exagérées et empreintes d’ignorance. François 1er exigea que
1’enseignement du Collège-Royal fût donné à tous, aux frais du Trésor public. L’enthousiasme excité par l’hébreu, le grec et le
latin fit un peu dédaigner aux savants les progrès de la langue française; celle-ci, toutefois, eut d’heureuses destinées. Introduite
dans les tribunaux, discutée par les grammairiens, ennoblie par les traducteurs, réglée par des tentatives novatrices, elle ne cessa
de se développer et de s’affermir. Déjà, sous le règne de François Ier, l’art théâtral avait fait dos progrès assez sensibles; on avait
interdit de mêler dans les Mystères dramatiques la représentation des choses de la Foi mêlées à de grotesques bouffonneries.
Ces pièces étranges avaient été remplacées par des farces, des sottises et des moralités ; mais, en dépit de leur titre, les pièces de
cette dernière catégorie étaient trop souvent entachées d’une’obscénité révoltante. C’était le temps où Clément Marot et Rabelais
étaient en possession de plaire à la cour et au peuple, et, à vrai dire, on ne pouvait contester ni la fécondité de leur verve ni
l’étrange puissance de leur génie.
Sous Henri II (1847), fils et successeur de François Ier, on vit se continuer la politique du dernier règne, et le nouveau roi,
homme sans capacité réelle, exagéra les fautes de son père sans les compenser par le goût, l’intelligence et des améliorations utiles.