HISTOIRE.
PARIS ANCIEN.
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propension que pour l’ironie et pour la peur, et qui nous ont laissé dans une œuvre célèbre un tableau dont les couleurs se
ressentent beaucoup plus du deuil de l’Université et de l’arriéré des rentes de l’Hôtel-de-Ville, que d’une foi quelconque et
d’aucune tentation d’héroïsme.
« Oh! que nous eussions été heureux si nous eussions été pris dès le lendemain que nous fûmes assiégés! Oh! que nous
serions maintenant riches si nous eussions fait cette perte ! Nqus avions de l’argent pour racheter nos meubles"; depuis, nous avons
mangé nos meubles avec notre argent. Nos reliques seroient entières, les anciens joyaulx de nos roys ne seroient pas fondus
comme ils sont. Nos rentes de l’Hôtel-de-Ville nous seroient payées. Nos fermes des champs seroient labourées et en recevrions
le revenu, au lieu qu’elles sont abandonnées et en friche. Nous n’aurions pas vu mourir cinquante mille personnes de faim qui
sont mortes en trois mois et par les rues et dans les hôpitaux, qui sont mortes sans miséricorde et sans secours. Nous verrions
encore notre Université florissante et fréquentée, au lieu qu’elle est déserte et solitaire, ne servant plus qu’aux paysans et aux
vachers des villages voisins. Nous verrions la salle et la galerie des Merciers pleines de peuple à toute heure, au lieu que nous
n’y voyons plus que de l’herbe verte qui croît là où les hommes avoyent à peine espace de se remuer. Nos ports de Grève et de
l’Ecole seroient couverts de bateaux pleins de blés, de vin, de foin et de bois. Permettez-moi que je m’esclame pour déplorer le
pitoyable estât de ceste royne des villes, de ce microcosme et abrégé du monde. » {Satyre Ménippée.')
Les chefs populaires ne présentaient pas l’aspect de Paris sous de plus riantes couleurs, dans leur correspondance avec
Philippe ÏI; mais la douleur était dominée chez eux par l'énergie du dévoùment et de l’espérance. « Nostre ville comme déserte,
nos beaux collèges vuidés, notre Université despeuplée la misère particulière laquelle est telle que nos pères n’en ont ouy
parler en ce royaume de plus estrange. » Voilà ce qu’ils voient et ce qu’ils écrivent; mais en même temps ils ajoutent: « C’est
une merveille surpassant le sens humain que ce grand peuple parisien, lequel n’avoit accoutumé que l’aise, se soit résolu de
souffrir tant de disettes, voire plutôt mourir, que de subir le joug de l’hérésie. »
Et ce sentiment dominait toujours la situation. Afin même de rendre l’avènement du Béarnais, et par lui, de l’hérésieh impossible,
les seize quarteniers de Paris offraient à Philippe II, et, à son refus, à sa fille Isabelle, la couronne de France. La Ligue avait
d’abord décerné cette couronne au vieux cardinal de Bourbon, oncle du roi de Navarre, et l’avait proclamé roi sous le nom de
Charles X; mais le cardinal était mort dans les prisons des Huguenots, le jour même où commença le siège de Paris (9 mai 1590),
et, si cet événement n’affaiblit ni la résolution ni le courage des assiégés, il sema du moins dans les esprits des germes de division
pour l’avenir. ' . < ’
Le peuple, nous venons de le voir, voulait un prince ou une princesse d’Espagne, c’est-à-dire de la dynastie qui s’était prononcée
le plus énergiquement pour le Catholicisme. Philippe II revendiquait, de son côté 5 le trône de France comme une propriété de
sa fille. Les Bourbons étant exclus et la descendance de saint Louis se trouvant par suite manquer dans les mâles, l’infante
Isabelle invoquait, en effet, non sans quelque apparence de droit, son titre de petite-fille de Henri II par Elisabeth de France, sa
mère; mais, pour la couronner, il fallait rompre avec la loi' salique, et l'on n’en était pas encore venu là en France. Non loin des
politiques qui plaçaient la loi salique au-dessus même de la religion, se formait, peu à peu, au sein de la Ligue, un parti de
transaction et de paix qui cherchait persévérammerit un terrain de conciliation pour tous les principes dans la conversion de
Henri IV. Ce parti se composait surtout des bourgeois riches, fatigués de la guerre, et il reconnaissait pour chef le duc de Mayenne,
bien que le duc ne vît pas sans inquiétude ces efforts d'apaisement qui devaient, en cas de succès, mettre fin à son pouvoir.
L’évasion de son jeune neveu, le duc de Guise, que Henri IV tenait prisonnier à Tours, vint tout-à-coup ajouter de nouvelles
complications aux intérêts en jeu. Les Parisiens accueillirent avec transport le fils du Balafré, et tous les vœux furent dés lors
pour l’union du jeune duc avec la princesse espagnole et la substitution en sa personne de la famille de Lorraine aux fils dégénérés
de saint Louis. Les politiques, les parlementaires, tous les hommes de diplomatie et de ménagements que leur conduite durant le
siège de Paris avait déjà rendus suspects, devinrent dès lors l’objet de vives attaques. On entendit même des voix influentes dire
tout haut : C’est trop endurer ; il faut jouer des cordes !
Et les Cordes ne tardèrent pas à jouer! Le 15 novembre 1591, le premier président Brisson qui s’efforcait de nager entre les
deux partis, suivant l’expression de Mézeray, fut arrêté par ordre des Seize et pendu aux poutres du palais. Deux autres magistrats,
Larcher, conseiller du Parlement, et Tardif, juge au Châtelet, subirent le même sort. Le duc de Mayenne était absent de Paris;
à cette nouvelle, il accourt, contraint Bussy Le Clerc à lui livrer la Bastille, et fait pendre dans une salle basse du Louvre
quatre des chefs les plus audacieux: Louchard, Auroux, Esmonnot et Ameline.
Ainsi les partis se balançaient au sein de Paris. C’était beaucoup pour Henri IV qui deux fois encore était venu se heurter en
vain contre les barrières parisiennes. Une première fois, il avait espéré surprendre le faubourg Saint-Marceau (10 septembre 1590) :
deux échelles étaient même déjà appliquées au mur; mais quelques moines qui veillaient, jettent l’alarme. L’un d’eux fait plus:
il renverse l’une des échelles et lutte hardiment contre les assaillants qui montent par l’autre. Les secours arrivèrent à temps,
et les Royalistes se dispersèrent.
2"’ P. — P. A.
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propension que pour l’ironie et pour la peur, et qui nous ont laissé dans une œuvre célèbre un tableau dont les couleurs se
ressentent beaucoup plus du deuil de l’Université et de l’arriéré des rentes de l’Hôtel-de-Ville, que d’une foi quelconque et
d’aucune tentation d’héroïsme.
« Oh! que nous eussions été heureux si nous eussions été pris dès le lendemain que nous fûmes assiégés! Oh! que nous
serions maintenant riches si nous eussions fait cette perte ! Nqus avions de l’argent pour racheter nos meubles"; depuis, nous avons
mangé nos meubles avec notre argent. Nos reliques seroient entières, les anciens joyaulx de nos roys ne seroient pas fondus
comme ils sont. Nos rentes de l’Hôtel-de-Ville nous seroient payées. Nos fermes des champs seroient labourées et en recevrions
le revenu, au lieu qu’elles sont abandonnées et en friche. Nous n’aurions pas vu mourir cinquante mille personnes de faim qui
sont mortes en trois mois et par les rues et dans les hôpitaux, qui sont mortes sans miséricorde et sans secours. Nous verrions
encore notre Université florissante et fréquentée, au lieu qu’elle est déserte et solitaire, ne servant plus qu’aux paysans et aux
vachers des villages voisins. Nous verrions la salle et la galerie des Merciers pleines de peuple à toute heure, au lieu que nous
n’y voyons plus que de l’herbe verte qui croît là où les hommes avoyent à peine espace de se remuer. Nos ports de Grève et de
l’Ecole seroient couverts de bateaux pleins de blés, de vin, de foin et de bois. Permettez-moi que je m’esclame pour déplorer le
pitoyable estât de ceste royne des villes, de ce microcosme et abrégé du monde. » {Satyre Ménippée.')
Les chefs populaires ne présentaient pas l’aspect de Paris sous de plus riantes couleurs, dans leur correspondance avec
Philippe ÏI; mais la douleur était dominée chez eux par l'énergie du dévoùment et de l’espérance. « Nostre ville comme déserte,
nos beaux collèges vuidés, notre Université despeuplée la misère particulière laquelle est telle que nos pères n’en ont ouy
parler en ce royaume de plus estrange. » Voilà ce qu’ils voient et ce qu’ils écrivent; mais en même temps ils ajoutent: « C’est
une merveille surpassant le sens humain que ce grand peuple parisien, lequel n’avoit accoutumé que l’aise, se soit résolu de
souffrir tant de disettes, voire plutôt mourir, que de subir le joug de l’hérésie. »
Et ce sentiment dominait toujours la situation. Afin même de rendre l’avènement du Béarnais, et par lui, de l’hérésieh impossible,
les seize quarteniers de Paris offraient à Philippe II, et, à son refus, à sa fille Isabelle, la couronne de France. La Ligue avait
d’abord décerné cette couronne au vieux cardinal de Bourbon, oncle du roi de Navarre, et l’avait proclamé roi sous le nom de
Charles X; mais le cardinal était mort dans les prisons des Huguenots, le jour même où commença le siège de Paris (9 mai 1590),
et, si cet événement n’affaiblit ni la résolution ni le courage des assiégés, il sema du moins dans les esprits des germes de division
pour l’avenir. ' . < ’
Le peuple, nous venons de le voir, voulait un prince ou une princesse d’Espagne, c’est-à-dire de la dynastie qui s’était prononcée
le plus énergiquement pour le Catholicisme. Philippe II revendiquait, de son côté 5 le trône de France comme une propriété de
sa fille. Les Bourbons étant exclus et la descendance de saint Louis se trouvant par suite manquer dans les mâles, l’infante
Isabelle invoquait, en effet, non sans quelque apparence de droit, son titre de petite-fille de Henri II par Elisabeth de France, sa
mère; mais, pour la couronner, il fallait rompre avec la loi' salique, et l'on n’en était pas encore venu là en France. Non loin des
politiques qui plaçaient la loi salique au-dessus même de la religion, se formait, peu à peu, au sein de la Ligue, un parti de
transaction et de paix qui cherchait persévérammerit un terrain de conciliation pour tous les principes dans la conversion de
Henri IV. Ce parti se composait surtout des bourgeois riches, fatigués de la guerre, et il reconnaissait pour chef le duc de Mayenne,
bien que le duc ne vît pas sans inquiétude ces efforts d'apaisement qui devaient, en cas de succès, mettre fin à son pouvoir.
L’évasion de son jeune neveu, le duc de Guise, que Henri IV tenait prisonnier à Tours, vint tout-à-coup ajouter de nouvelles
complications aux intérêts en jeu. Les Parisiens accueillirent avec transport le fils du Balafré, et tous les vœux furent dés lors
pour l’union du jeune duc avec la princesse espagnole et la substitution en sa personne de la famille de Lorraine aux fils dégénérés
de saint Louis. Les politiques, les parlementaires, tous les hommes de diplomatie et de ménagements que leur conduite durant le
siège de Paris avait déjà rendus suspects, devinrent dès lors l’objet de vives attaques. On entendit même des voix influentes dire
tout haut : C’est trop endurer ; il faut jouer des cordes !
Et les Cordes ne tardèrent pas à jouer! Le 15 novembre 1591, le premier président Brisson qui s’efforcait de nager entre les
deux partis, suivant l’expression de Mézeray, fut arrêté par ordre des Seize et pendu aux poutres du palais. Deux autres magistrats,
Larcher, conseiller du Parlement, et Tardif, juge au Châtelet, subirent le même sort. Le duc de Mayenne était absent de Paris;
à cette nouvelle, il accourt, contraint Bussy Le Clerc à lui livrer la Bastille, et fait pendre dans une salle basse du Louvre
quatre des chefs les plus audacieux: Louchard, Auroux, Esmonnot et Ameline.
Ainsi les partis se balançaient au sein de Paris. C’était beaucoup pour Henri IV qui deux fois encore était venu se heurter en
vain contre les barrières parisiennes. Une première fois, il avait espéré surprendre le faubourg Saint-Marceau (10 septembre 1590) :
deux échelles étaient même déjà appliquées au mur; mais quelques moines qui veillaient, jettent l’alarme. L’un d’eux fait plus:
il renverse l’une des échelles et lutte hardiment contre les assaillants qui montent par l’autre. Les secours arrivèrent à temps,
et les Royalistes se dispersèrent.
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