L'ARAGON.
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échecs; mais à la fin de juillet, quelques renforts leur ayant permis de
cerner la ville, les horreurs d'une famine imminente se firent bientôt
sentir.
On ne voyait par les rues que des malades, des blessés et des morts;
à chaque instant quelque incendie nouveau se manifestait; les habi-
tants, les soldats, épuisés de fatigues et de privations, ne tenaient plus
leurs armes que d'une main défaillante; mais l'odeur de la poudre, le
tambour, la cloche d'alarme, ranimaient leur courage. Enfin Verdier,
général en chef de l'armée de siège, ayant pénétré dans la ville jusqu'au
Cosso, grande rue qui enveloppait Saragosse comme les anciens bou-
levards de Paris, et se trouvant ainsi maître d'une moitié de la ville,
crut le moment venu de faire une sommation. Elle fut laconique, la
voici : — Une capitulation. — Palafox répondit ; — Guerra à cuchillo,
littéralement la guerre jusqu'aux couteaux, c'est-à-dire guerre à mort.
Les Français occupaient un des côtés du Cosso; les Espagnols défen-
daient l'autre côté, qu'ils s'étaient hâtés de retrancher et de garnir de
canons. L'espace fut bientôt comblé par des monceaux de cadavres jetés
du haut des maisons où ils venaient de périr, ou tués dans la mêlée. Les
deux partis demeurèrent de la sorte en présence, combattant sans cesse
et laissant accumuler les morts. Un tel entassement de cadavres ne pou-
vait manquer de produire quelque épidémie grave; mais l'exaspération
des Aragonais était si grande qu'ils n'eussent jamais voulu demander
une trêve de quelques heures pour donner la sépulture aux victimes.
Dans cet état de choses, Palafox imagina de faire lier les prisonniers
français avec des cordes et de les forcer d'aller au milieu des morts pour
y chercher les corps de leurs compatriotes, tandis que les Espagnols, de
leur côté, rendraient aux leurs le même devoir. Un renfort considérable
et quelques vivres arrivés aux assiégés ranima leur énergie. Il fut décidé
dans un conseil de guerre que, si les Français triomphaient, la popula-
tion tout entière traverserait le pont de l'Èbre et se retirerait dans les
faubourgs dont la possession serait défendue jusqu'à la dernière extré-
mité.
Alors commença un nouveau genre de guerre ; les Espagnols, animés,
guidés par Palafox, par les moines, par les femmes, reprirent une à
une les rues et les maisons. Les prêtres, tenant d'une main le crucifix,
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échecs; mais à la fin de juillet, quelques renforts leur ayant permis de
cerner la ville, les horreurs d'une famine imminente se firent bientôt
sentir.
On ne voyait par les rues que des malades, des blessés et des morts;
à chaque instant quelque incendie nouveau se manifestait; les habi-
tants, les soldats, épuisés de fatigues et de privations, ne tenaient plus
leurs armes que d'une main défaillante; mais l'odeur de la poudre, le
tambour, la cloche d'alarme, ranimaient leur courage. Enfin Verdier,
général en chef de l'armée de siège, ayant pénétré dans la ville jusqu'au
Cosso, grande rue qui enveloppait Saragosse comme les anciens bou-
levards de Paris, et se trouvant ainsi maître d'une moitié de la ville,
crut le moment venu de faire une sommation. Elle fut laconique, la
voici : — Une capitulation. — Palafox répondit ; — Guerra à cuchillo,
littéralement la guerre jusqu'aux couteaux, c'est-à-dire guerre à mort.
Les Français occupaient un des côtés du Cosso; les Espagnols défen-
daient l'autre côté, qu'ils s'étaient hâtés de retrancher et de garnir de
canons. L'espace fut bientôt comblé par des monceaux de cadavres jetés
du haut des maisons où ils venaient de périr, ou tués dans la mêlée. Les
deux partis demeurèrent de la sorte en présence, combattant sans cesse
et laissant accumuler les morts. Un tel entassement de cadavres ne pou-
vait manquer de produire quelque épidémie grave; mais l'exaspération
des Aragonais était si grande qu'ils n'eussent jamais voulu demander
une trêve de quelques heures pour donner la sépulture aux victimes.
Dans cet état de choses, Palafox imagina de faire lier les prisonniers
français avec des cordes et de les forcer d'aller au milieu des morts pour
y chercher les corps de leurs compatriotes, tandis que les Espagnols, de
leur côté, rendraient aux leurs le même devoir. Un renfort considérable
et quelques vivres arrivés aux assiégés ranima leur énergie. Il fut décidé
dans un conseil de guerre que, si les Français triomphaient, la popula-
tion tout entière traverserait le pont de l'Èbre et se retirerait dans les
faubourgs dont la possession serait défendue jusqu'à la dernière extré-
mité.
Alors commença un nouveau genre de guerre ; les Espagnols, animés,
guidés par Palafox, par les moines, par les femmes, reprirent une à
une les rues et les maisons. Les prêtres, tenant d'une main le crucifix,