150 VOYAGE EN ESPAGNE.
Dès le 14, Madrid et la banlieue s'ébranlent; le nom de san Isidro
sort de toutes les bouches et son image de tous les magasins d'estam-
pes; les boutiquiers nomades construisent leurs échoppes autour de l'er-
mitage; les loueurs de voitures tirent des remises tout ce qu'ils peuvent
avoir d'équipages neufs on vieux, n'importe; les diligences se trans-
forment en voitures de place, les charrettes en phaétons, les rosses en
chevaux fringants; si deux bêtes ne suffisent pas pour traîner deux
personnes, on en met quatre; si la voix et le fouet du cocher demeu-
rent impuissants, un oficioso les prend parla bride et les force à marcher.
Dans la gent dévote , il est de règle d'aller au moins trois fois à San
Isidro; elle s'y rend le 14; le 15 dès le matin, et le 15 au soir, quel-
quefois même le 16; il en est qui font un pèlerinage de neuvaine.
L'aristocratie chemine dans la soirée do la veille et dans celle du len-
demain; la foule, la cohue dure presque toute la journée du 15. Figu-
rez-vous cent cinquante mille individus en mouvement dans l'espace
d'une lieue tout au plus, formant deux lignes compactes entre lesquelles
vont, viennent, depuis huit heures du matin jusqu'à minuit, un dou-
ble rang de voitures et quantité de cavaliers; figurez-vous une poussière
qui s'élève en nuages à plus de cent mètres d'élévation, qui cache
Madrid aux yeux des pèlerins et l'ermitage à ceux qui courent le visiter ;
imaginez une population haletante peinte en grisaille par Abel de Pujol,
des chevaux tombant de fatigue, des cochers devenus humains depuis
que leur bras engourdi ne peut se mouvoir, et vous n'aurez encore
qu'un imparfait tableau du pèlerinage de Saint-Isidore. Pour qu'il soit
efficace, au point de vue de l'hygiène, il faut, selon toute apparence,
boire de l'eau à la source réputée sainte qui coule près de l'ermitage,
et même en rapporter chez soi. Les gens du peuple ne manquent pas
de le faire. Ils tiennent dans leurs mains un petit vase, espèce d'urne
antique, imitant la poterie romaine, rempli du liquide préservatif dont
les vertus sont exprimées de la manière suivante au-dessus du Pozo
del Santo (le puits du saint) :
Oh! ahijada divina, que segun la historia enscha,
Sacastes agua de peha, prodigiosa y cristalina;
El lâbio al raudal inclina y bebe de su dulzura,
Que san Isidro âsegura que si con fé la bebieres
Y calentura trugeres, volverâs sin calentura. N
Dès le 14, Madrid et la banlieue s'ébranlent; le nom de san Isidro
sort de toutes les bouches et son image de tous les magasins d'estam-
pes; les boutiquiers nomades construisent leurs échoppes autour de l'er-
mitage; les loueurs de voitures tirent des remises tout ce qu'ils peuvent
avoir d'équipages neufs on vieux, n'importe; les diligences se trans-
forment en voitures de place, les charrettes en phaétons, les rosses en
chevaux fringants; si deux bêtes ne suffisent pas pour traîner deux
personnes, on en met quatre; si la voix et le fouet du cocher demeu-
rent impuissants, un oficioso les prend parla bride et les force à marcher.
Dans la gent dévote , il est de règle d'aller au moins trois fois à San
Isidro; elle s'y rend le 14; le 15 dès le matin, et le 15 au soir, quel-
quefois même le 16; il en est qui font un pèlerinage de neuvaine.
L'aristocratie chemine dans la soirée do la veille et dans celle du len-
demain; la foule, la cohue dure presque toute la journée du 15. Figu-
rez-vous cent cinquante mille individus en mouvement dans l'espace
d'une lieue tout au plus, formant deux lignes compactes entre lesquelles
vont, viennent, depuis huit heures du matin jusqu'à minuit, un dou-
ble rang de voitures et quantité de cavaliers; figurez-vous une poussière
qui s'élève en nuages à plus de cent mètres d'élévation, qui cache
Madrid aux yeux des pèlerins et l'ermitage à ceux qui courent le visiter ;
imaginez une population haletante peinte en grisaille par Abel de Pujol,
des chevaux tombant de fatigue, des cochers devenus humains depuis
que leur bras engourdi ne peut se mouvoir, et vous n'aurez encore
qu'un imparfait tableau du pèlerinage de Saint-Isidore. Pour qu'il soit
efficace, au point de vue de l'hygiène, il faut, selon toute apparence,
boire de l'eau à la source réputée sainte qui coule près de l'ermitage,
et même en rapporter chez soi. Les gens du peuple ne manquent pas
de le faire. Ils tiennent dans leurs mains un petit vase, espèce d'urne
antique, imitant la poterie romaine, rempli du liquide préservatif dont
les vertus sont exprimées de la manière suivante au-dessus du Pozo
del Santo (le puits du saint) :
Oh! ahijada divina, que segun la historia enscha,
Sacastes agua de peha, prodigiosa y cristalina;
El lâbio al raudal inclina y bebe de su dulzura,
Que san Isidro âsegura que si con fé la bebieres
Y calentura trugeres, volverâs sin calentura. N