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UNE JOURNEE EN ESPAGNE.
difficile de rencontrer la manola pure sang, au regard assuré, aux cheveux
nattés, àla jupe écourtée, au soulier bordé d'un liseré de satin rouge,
à la tournure pleine de provocation et d'audice. Cette manola, qui pliait
sous le bâton de ses amoureux ou qui succombait d'un coup de
navaja, n'existe plus guère que dans l'histoire. Les héritières des
manolas primitives se costument comme tout le monde, avec la robe
d'indienne, l'ignoble soulier de peau et les cheveux tournés, frisés au lieu
d'être largement tenus aux dents d'un peigne à galerie. De la manola
d'autrefois, je n'ai retrouvé que la bouche souriante et l'œil noir; sou-
rire moqueur plutôt que caressant, œil curieux plutôt que passionné.
L'aristocratie, les gens réputés comme il faut, ont plusieurs points
de réunion en plein air, dont les principaux sont la Puerta del Sol, pour
les nouvellistes ou les négociants, et le Prado pour les flâneurs de bonne
compagnie, aussi bien que pour les désœuvrés de toutes les classes. Le
Prado, vaste promenade, est formé de plusieurs grandes allées qu'om-
bragent des arbres trapus, étiques, malades, presque moribonds depuis
le mois de juin jusqu'au mois de septembre, et qui périraient sans les
rigoles et les petits bassins ménagés autour de leur pied dans un but
d'arrosement journalier. Ces allées commencent au couvent d'Atocha,
passent devant la porte du même nom, devant la rue d'Alcala et vont
finir à la porte de Recoletos; mais le beau monde se réserve un espace
circonscrit appelé le Salon, entre la Carrera de San-Geronimo et la rue
d'Alcala; salon bordé de chaises devant lequel circule en voiture, à
cheval, la fashion madrilénienne. Le Prado, malgré son manque de
verdure et son excès de poussière; malgré l'absence d'art qu'on remar-
que dansla facture des monuments qui le décorent, mérite un rang élevé
parmi les promenades européennes, à cause de l'affluence qui s'y porte.
On y voit des chevaux andalous de la plus grande beauté, des équipages
parisiens parmi beaucoup d'équipages en style Louis XV et Louis XIV;
dès toilettes gracieuses, élégantes, entremêlées de toilettes hétéroclites
copiées sur je ne sais quels patrons venus d'Angleterre ou de France.
Heureusement la mantille s'y rencontre souvent encore; la mantille qui
est à la femme espagnole ce qu est le corsage décolleté aux nymphes
de l'opéra. « Avec une mantille, dit M. Théophile Gautier, il faut qu'une
femme soit laide comme les trois vertus théologales pour ne pas paraître
UNE JOURNEE EN ESPAGNE.
difficile de rencontrer la manola pure sang, au regard assuré, aux cheveux
nattés, àla jupe écourtée, au soulier bordé d'un liseré de satin rouge,
à la tournure pleine de provocation et d'audice. Cette manola, qui pliait
sous le bâton de ses amoureux ou qui succombait d'un coup de
navaja, n'existe plus guère que dans l'histoire. Les héritières des
manolas primitives se costument comme tout le monde, avec la robe
d'indienne, l'ignoble soulier de peau et les cheveux tournés, frisés au lieu
d'être largement tenus aux dents d'un peigne à galerie. De la manola
d'autrefois, je n'ai retrouvé que la bouche souriante et l'œil noir; sou-
rire moqueur plutôt que caressant, œil curieux plutôt que passionné.
L'aristocratie, les gens réputés comme il faut, ont plusieurs points
de réunion en plein air, dont les principaux sont la Puerta del Sol, pour
les nouvellistes ou les négociants, et le Prado pour les flâneurs de bonne
compagnie, aussi bien que pour les désœuvrés de toutes les classes. Le
Prado, vaste promenade, est formé de plusieurs grandes allées qu'om-
bragent des arbres trapus, étiques, malades, presque moribonds depuis
le mois de juin jusqu'au mois de septembre, et qui périraient sans les
rigoles et les petits bassins ménagés autour de leur pied dans un but
d'arrosement journalier. Ces allées commencent au couvent d'Atocha,
passent devant la porte du même nom, devant la rue d'Alcala et vont
finir à la porte de Recoletos; mais le beau monde se réserve un espace
circonscrit appelé le Salon, entre la Carrera de San-Geronimo et la rue
d'Alcala; salon bordé de chaises devant lequel circule en voiture, à
cheval, la fashion madrilénienne. Le Prado, malgré son manque de
verdure et son excès de poussière; malgré l'absence d'art qu'on remar-
que dansla facture des monuments qui le décorent, mérite un rang élevé
parmi les promenades européennes, à cause de l'affluence qui s'y porte.
On y voit des chevaux andalous de la plus grande beauté, des équipages
parisiens parmi beaucoup d'équipages en style Louis XV et Louis XIV;
dès toilettes gracieuses, élégantes, entremêlées de toilettes hétéroclites
copiées sur je ne sais quels patrons venus d'Angleterre ou de France.
Heureusement la mantille s'y rencontre souvent encore; la mantille qui
est à la femme espagnole ce qu est le corsage décolleté aux nymphes
de l'opéra. « Avec une mantille, dit M. Théophile Gautier, il faut qu'une
femme soit laide comme les trois vertus théologales pour ne pas paraître