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Bulletin du Musée National de Varsovie — 16.1975

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Nr. 4
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Sandoz, Marc: Les peintures decoratives de la Chambre des Seigneurs du Château de Varsovie: "aujourd'hui au Musée National de Varsovie
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https://doi.org/10.11588/diglit.18860#0139
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quelle nature on a prise. Fermez les yeux sur reste de la composition, et dites-moi si vous recon-
noissez là l'homme destiné à être le vainqueur et le maître du monde. Caesar à droite est debout.
C'est Caesar que cela ! C'étoit bien un autre bougre que celui-cy. C'est un fesse-mathieu, un pisse-
-froid, un morveux dont il n'y a rien à attendre de grand. Ah, mon ami, qu'il est rare de trouver
un artiste qui entre profondément dans l'esprit de son sujet. Et conséquemment nul ethousiasme,
nulle idée, nulle convenance, nul effet. Us ont des règles qui les tuent. U faut que le tout piramidę.
Il faut une masse de lumière au centre. Il faut de giandes masses d'ombres sur les côtés. U faut
des demies-teintes sourdes, fugites [sic], pas noires. U faut des figures qui contrastent. U faut dans
chaque figure de la cadence dans les membres. Il faut s'aller faire foutre, qu'on ne scait que cela.
Caesar a le bras droit étendu, l'autre tombant, les regards attendris et tournés vers le ciel. Il me
semble, maître Vien, qu'appuié contre le pié d'estal, les yeux attachés sur Alexandre et pleins
d'admiration et de regrets ; ou, si vous l'aimez mieux, la tête penchée, humiliée, pensive, et les
bras admiratifs, il eut mieux dit ce qu'il avoit à dire. La tête de Caesar est donnée par mille
antiques ; pourquoi en avoir fait une d'imagination qui n'est pas si belle et qui, sans l'inscription,
rendroit le sujet inintelligible ? Plus sur la droite et sur le devant on voit un vieillard, la main
droite posée sur le bras de Caesar ; l'autre dans l'action d'un homme qui parle. Que fait là cette
espèce de cicerone ? Qui est-il ? que dit-il ? Maître Vien, est-ce que vous n'auriez pas du sentir que
le Caesar devoit être isolé, et que ce bavard épisodique détruit tout le sublime du moment.
Sur le fond, derrière ces deux figures, quelques soldats. Plus encore vers la droite, dans le lointain,
autres soldats à terre, vus par le dos ; avec un vaisseau en rade, et voiles déployées. Ces voiles
déployées font bien ; d'accord. Mais s'il vient un coup de vent de la mer, au diable, le vaisseau.
A gauche, au pié de la statue, deux femmes accroupies. La plus avancée sur le devant, vue par
le dos et le visage de profil. L'autre vue de profil et attentive à la scène. Elle a sur ses genoux
un petit enfant qui tient une rose. La première paroit lui imposer silence. Que font là ces femmes ?
que signifie cet épisode du petit enfant à la rose ? quelle stérilité ! quelle pauvreté ! et puis cet
enfant est trop mignard, trop fait, trop joli, trop petit ; c'est un Enfant Jésus. Tout à fait à gauche,
sur le fond, en tournant autour du pié d'estal, autres soldats. Autres défauts. Ou je me trompe
fort, ou la main droite de Caesar est trop petite ; le pié de la femme accroupie sur le devant
informe, sourtout aux orteils, vilain pié de modèle, le vêtement des cuisses de Caesar mince
et sec comme du papier bleu. Composition de tout point insignifiante. Sujet d'expression, sujet
grand, où tout est froid et petit. Tableau sans aucun mérite que le technique... « mais n'est-il
pas harmonieux et d'un pinceau spirituel »? ... Je le veux, plus harmonieux même et plus vigou-
reux que le Saint Denis. Après... «-n'est-ce pas une jolie figure que Caesar ? » .. .Et oui, bourreau ;
et c'est ce dont je me plains... « Cet ajustement n'est-il pas riche et bien touché ? cette broderie
ne fait-elle pas bien l'or ? ce vieillard n'est-il pas bien drappé ? sa tête n'est-elle pas belle ? celle
des soldats interposés, mieux encore ? celle surtout qui est casquée, d'un esprit infini pour la
forme et la touche, ce pié d'estal, de bonne forme ? cette architecture, grande ? ces femmes sur
le devant bien coloriées? » ...Bien coloriées! mais ne les faudrait-il pas peintes plus fièrement,
puisqu'elles sont au premier plan. Voilà les propos des artistes. Intarrissables sur le technique
qu'on trouve partout ; muets sur l'idéal qu'on ne trouve nulle part. Ils font cas de la chose qu'ils
ont; ils dédaignent celle qui leur manque. Cela est dans l'ordre... Eh bien, gens de l'académie,
c'est donc pour vous une belle chose que ce tableau?... Très belle: et pour vous? ...Pour moi,
ce n'est rien. C'est un morceau d'enfant, le prix d'un écolier qui veut aller à Rome et qui le
mérite.

La tête de Pompée présentée à Caesar ; Caesar au pié de la statue d'Alexandre ; la Leçon de
Scilurus à ses enfants, trois morceaux à cogner le nez contre, à ces maudits amateurs qui mettent
le génie de l'artiste en brassière."

D'après Diderot, Salons, texte établi et présenté par Jean Seznec et Jean Adhémar, III, Salon
1767, Oxford, 1963, pp. 84-87.

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