une grande renommée, et qu'on a appelé La Barque de saint Pierre (n° 120), aujourd'hui
dans la collection de lord Francis Pelham Clinton Hope, à Deepdene. Une vague
puissante soulevée par la tempête vient de saisir et d'enlever, pour la laisser ensuite
retomber au creux des flots, une barque de pêcheur où sont montés les disciples de Jésus ;
sous la violence de l'ouragan, la voile s'est décliirée, et quelques-uns des Apôtres
s'efforcent en vain de la retenir, tandis que d'autres, saisis d'effroi, supplient Jésus,
assis tranquillement à l'arrière de l'embarcation, de leur porter secours. Si puissam-
ment que soient rendus à la fois l'agitation des éléments et le désespoir des Apôtres,
cette compréhension du sujet ne répond plus cependant à notre façon actuelle de sentir.
Les personnages sont trop petits, trop dispersés, d'une expression trop exagérée, parfois
même trop grossière; l'éclairage, obtenu par un rayon de soleil qui traverse les
nuages, est trop cru et trop papillotant, pour que la scène revête un caractère élevé
et tire, comme Rembrandt saura le faire plus tard, une harmonie du constraste formé
par l'imperturbable tranquillité du Sauveur avec le déchaînement de la nature et le
désespoir des disciples pusillanimes.
Plusieurs autres petits tableaux auxquels Rembrandt, pour varier, travaillait alors
en même temps qu'à cette Barque de saint Pierre, prouvent combien il savait aussi,
à cette époque, rendre avec succès, quand il avait trouvé un sujet approprié, les sen-
timents de bonheur contemplatif ou de charité active qu'il sut exprimer mieux que tout
autre peintre. Les deux Philosophes, qui, au siècle dernier, comptaient parmi les tableaux
estimés le plus hautement et le plus cher de tous ceux qui étaient à Paris, jusqu'au jour
où Louis XVI les acheta et les plaça au Louvre, ont encore aujourd'hui à bon droit
toute la faveur du public. Chacun se plaît à les chercher parmi l'amas des tableaux dont
l'interminable « Grande Galerie » est comme marquetée, pour goûter le repos qu'exhalent
ces calmes asiles de vie méditative. Dès i63i, Rembrandt avait peint un tableau sem-
blable : le Saint Ânastase, de la Galerie de Stockholm, et l'avait imprégné de la même
tonalité; et même quelques-unes de ses premières œuvres, par exemple le Saint Paul de
Nuremberg, sont très parentes, comme sujet et comme impression générale, des deux
Philosophes du Louvre. Mais ici, pour la première fois, l'artiste domine librement son
sujet, atteint à la pleine expression de l'effet intime voulu. Si, dans le Philosophe avec
un livre ouvert (n° 121), l'architecture de la vaste salle et des couloirs offre encore un
certain parti pris choquant, l'intérieur pittoresque du Philosophe en méditation (n° 122)
ne fait qu'accroître l'impression de recueillement. La chaude lumière du soleil couchant
entre par la haute fenêtre dans la salle, d'aspect tout particulier, qui sert moitié de
chambre de travail, moitié de cuisine, et où un large escalier tournant mène à la
chambre à coucher, tandis qu'au fond s'aperçoit la porte cintrée de la cave. Au-devant,
dans la cheminée, brille un maigre feu qu'attise une vieille femme et dont la lueur
et les reflets rougeâtres contrastent d'une façon intéressante avec la clarté dorée du
couchant qui entre en plein par la fenêtre et fait se jouer sur toutes choses de magiques
effets de lumière et d'ombre. Cette claire et tranquille sérénité de la nature est aussi
— i3 —
dans la collection de lord Francis Pelham Clinton Hope, à Deepdene. Une vague
puissante soulevée par la tempête vient de saisir et d'enlever, pour la laisser ensuite
retomber au creux des flots, une barque de pêcheur où sont montés les disciples de Jésus ;
sous la violence de l'ouragan, la voile s'est décliirée, et quelques-uns des Apôtres
s'efforcent en vain de la retenir, tandis que d'autres, saisis d'effroi, supplient Jésus,
assis tranquillement à l'arrière de l'embarcation, de leur porter secours. Si puissam-
ment que soient rendus à la fois l'agitation des éléments et le désespoir des Apôtres,
cette compréhension du sujet ne répond plus cependant à notre façon actuelle de sentir.
Les personnages sont trop petits, trop dispersés, d'une expression trop exagérée, parfois
même trop grossière; l'éclairage, obtenu par un rayon de soleil qui traverse les
nuages, est trop cru et trop papillotant, pour que la scène revête un caractère élevé
et tire, comme Rembrandt saura le faire plus tard, une harmonie du constraste formé
par l'imperturbable tranquillité du Sauveur avec le déchaînement de la nature et le
désespoir des disciples pusillanimes.
Plusieurs autres petits tableaux auxquels Rembrandt, pour varier, travaillait alors
en même temps qu'à cette Barque de saint Pierre, prouvent combien il savait aussi,
à cette époque, rendre avec succès, quand il avait trouvé un sujet approprié, les sen-
timents de bonheur contemplatif ou de charité active qu'il sut exprimer mieux que tout
autre peintre. Les deux Philosophes, qui, au siècle dernier, comptaient parmi les tableaux
estimés le plus hautement et le plus cher de tous ceux qui étaient à Paris, jusqu'au jour
où Louis XVI les acheta et les plaça au Louvre, ont encore aujourd'hui à bon droit
toute la faveur du public. Chacun se plaît à les chercher parmi l'amas des tableaux dont
l'interminable « Grande Galerie » est comme marquetée, pour goûter le repos qu'exhalent
ces calmes asiles de vie méditative. Dès i63i, Rembrandt avait peint un tableau sem-
blable : le Saint Ânastase, de la Galerie de Stockholm, et l'avait imprégné de la même
tonalité; et même quelques-unes de ses premières œuvres, par exemple le Saint Paul de
Nuremberg, sont très parentes, comme sujet et comme impression générale, des deux
Philosophes du Louvre. Mais ici, pour la première fois, l'artiste domine librement son
sujet, atteint à la pleine expression de l'effet intime voulu. Si, dans le Philosophe avec
un livre ouvert (n° 121), l'architecture de la vaste salle et des couloirs offre encore un
certain parti pris choquant, l'intérieur pittoresque du Philosophe en méditation (n° 122)
ne fait qu'accroître l'impression de recueillement. La chaude lumière du soleil couchant
entre par la haute fenêtre dans la salle, d'aspect tout particulier, qui sert moitié de
chambre de travail, moitié de cuisine, et où un large escalier tournant mène à la
chambre à coucher, tandis qu'au fond s'aperçoit la porte cintrée de la cave. Au-devant,
dans la cheminée, brille un maigre feu qu'attise une vieille femme et dont la lueur
et les reflets rougeâtres contrastent d'une façon intéressante avec la clarté dorée du
couchant qui entre en plein par la fenêtre et fait se jouer sur toutes choses de magiques
effets de lumière et d'ombre. Cette claire et tranquille sérénité de la nature est aussi
— i3 —