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LARTPOUR-TOUS

FnCYCLOPSDIE'US L'ART INDUSTRIEL ET DECORA TLS
■toaratssarul ïaus les mots

Emile Reiber

Directeur - Fondateur
1861-64 o iSS6-go

C. Sauvageot j P. Gêlis-Didot

Directeur

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Directeur

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PARIS

' 2, rue Mignon, 2 ' ,

33e Année ^ ^ Janvier 1894

bulletin de janvier 1894

Jules Chéret

There is a spécial providence in the fall of
sparrow. « Il est une providence spéciale pour
la chute d'un moineau. »

Ainsi dit le prince Hamlet.

A plus forte raison en est-il une pour la création
d'un artiste.

Et Dieu, le Dieu de La Fontaine, le Dieu « qui
fait bien ce qu'il fait », sait comment il procède
et, toujours pareil à lui-même, toujours procède
de façon pareille.

C'est la raison pourquoi Walteau et Chéret,
cousins germains en l'art, ont eu semblable exis-
tence et même carrière.

Tous deux, dès la jeunesse, crayonnent, irré-
sistiblement épris du mouvement vital et des
amusements graphiques offerts à la pensée et à
l'œil par l'humain troupeau ; tous deux gagnent
d'abord leur vie par des travaux à la douzaine,
toiles de sainteté ou dessus de romances.

Bons à tout faire, tous deux peignent des
enseignes.

Savants aux arabesques fantaisistes, aux dispo-
sitions pittoresques, aux groupements mouve-
mentés, tous deux, étant allés en Albion —
quelqu'un a fait sur Chéret ce quatrain :

// fut longtemps en Angleterre ;
Il y but le sherry brandy.

Voyej sur les murs où Vœil erre
L'Affiche que Chéret brandit —,

tous deux, étant allés en Albion, en reviennent
avec une vision nouvelle des choses, plus libre
et dégagée des froideurs de procédé du style
académique au profit d'une conception abso-
lument personnelle, indépendante, recherchant
avant tout l'abandon naturel de la créature. Tous
deux, amoureux des grâces natives, créent cette
femme-fleur, enivrant bouquet des fêtes galantes,
en 1893 aussi bien qu'en 1717. Dix-sept cent dix-
sept, l'année où le tsar Pierre le Grand vint
visiter Paris! Tous deux, fins, spirituels, poètes,
ont le dessin vif, la palette éclatante, l'ensemble
harmonieux. Tous deux rejettent la morne plati-
tude des formules pour faire vibrer, pour faire
chanter les tons, résolvant ce difficile problème :
donner aux allégories le tressaillement, la respi-
ration, l'existence.

Vigoureux enfants de France, le brouillard
spleenilique de Londres leur a donné le vertige
de la lumière ; la brume anglaise les a assoiffés
de rayons. A eux toutes les fulgurances! Et de
boire tous deux la liqueur à palette que veux-tu !

Ils aiment le soleil, ils en boivent — et nous
grisent de leur ivresse!

Pour le caractère moral, tous deux, mélan-
coliques, rêveurs, chérissant la solitude des soli-
tudes, ont une pareille horreur des fréquentations
mondaines et des amiliés artificielles; tous deux
sont naïfs, graves et sincères, comme les petits
enfants. Ces âmes-là sont de la neige — de la
neige sur laquelle on n'a pas marché.

Aussi, quand ce grand indiscret l'Avenir,
cherchera à déchiffrer l'âme lyrique de notre
temps, — ce temps si curieux dont nous sommes
en possession pour le quart d'heure, et que
nous ne voyons pas parce que nous le traversons !
— les Odes funambulesques, fêtes galantes du
Maître de Banville, et les Affiches de Chéret le
j renseigneront mieux et plus sûrement que les
toiles médaillées, immortelles... jusqu'à la mort
de leur auteur, c'est-à-dire pour fort peu de
temps. Les dessins de Baffet, en leur épique
simplicité, en leur âpre vérité, disent mieux
Napoléon et son épopée que toutes les officielles
apothéoses picturales primées par les gouver-
nements, sans garantie des lendemains.

if ,

V,

f

C'est qu'elles sont merveilleuses, ces Affiches !

C'est que leur Inventeur a trouvé ce qu'on
appelle une Manière, c'est-à-dire une façon
jusque-là inemployée d'exprimer l'esprit d'un
peuple, l'esprit de France, si riche déjà en indé-
pendantes formules, malgré les Écoles — et jus-
tement à cause d'elles, peut-être, par loi d'oppo-
sition; c'est que la Muse du poète, en toute
liberté vagabondant par les champs du monde,
y fait des ripailles, des ribotes inouïes, cueillant
toutes les fleurs, dévalisant tous les vergers,
respirant tous les parfums, buvant à toutes les
treilles, joyeuse, éperdue, folle, possédée d'idéal
et, puissante et gaie, réalisant le rêve !

Celui-là ne ressemble à personne. Voyez ! A
travers les siècles, voici les Le Nain, les Coypel,
les Lancret, les Chardin, les Boucher, les Van
Loo, les Lantara, les Fragonard, les Prudhon,
les Boilly, les Delacroix, les Daumier, les Manet,
les Carrière, les Forain, les Besnard : tous ont
quelque chose de lui comme il a quelque chose
d'eux tous; mais, d'eux et de lui, de lui et d'eux,
nul n'est semblable.

L'originalité n'est pas de ne ressembler à per-
sonne ; elle est que personne ne vous puisse
ressembler.

Chaque fois qu'un artiste personnel, « lui-
mêmiste », s'est plu à copier l'œuvre d'un congé-
nère, il s'est, à son insu et malgré lui, mis tout
entier dans sa copie, si hermétiquement sem-
blable et pareille à l'original qu'elle soit. — Je
voudrais voir un Tiepolo copié par Chéret : la
copie serait d'eux deux.

Et si je ne parle ici que des Affiches, sans rien
dire des adorables pastels, chefs-d'œuvre presti-
gieux dont un jour s'ennoblira le Louvre, c'est
que les Affiches, irradiant la ville, sont vues de
tous, civilisant l'œil des foules, leur apprenant
à voir, à comprendre, à sentir, à tressaillir à la
communion du beau rayonnant.

Je ne dresse point ici de catalogue, mais arrê-
tons-nous au bonheur du mur, tenez, devant
les Coulisses de l'Opéra du Musée Grévin.

Cela est nerveux, puissant, vibrant, jeune;
cela étincelle, ruisselle, pantèle; cela poudroie,
chatoie, flamboie; cela brille, scintille et frétille ;
cela est tout ensemble l'ironie et le soupir, la
corruption et la nature; cela, symbole réaliste,
réalise, synthétise toute une époque; c'est fou,
exquis, délicieux; c'est cruel et tendre; c'est
délicat et tapageur; c'est... c'est un pur chef-
d'œuvre — c'est du Chéret!

bulletin de l'art pour tous. — n" 97.
 
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