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Bulletin de l' art pour tous — 1894

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No 102(Juin 1894)
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LÀRTPOUR-TOUS

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ENCYCLOPEDIE FF L ART INDUSTRIEL ET DECORATIF
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33e Année ^ v juin 1894

bulletin de juin 189/»

L'Art pour Tous au Salon

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Le Champ de Mars

Le jour où éclata la querelle qui a donné nais-
sance à la Société nationale, on put se demander
si cette révolution n'allait pas ouvrir aux artistes
une ère nouvelle et meilleure. Le groupe des
dissidents n'était pas fort nombreux, mais la
qualité rachetait le petit nombre. C'était au
Champ de Mars qu'il faudrait aller pour re-
trouver les grandes décorations de Puvis de
Chavannes, l'honneur de l'art français, les mi-
nuscules chefs-d'œuvre de Meissonier, dont
chacun se vend son poids de bank-notes, les
portraits sensationnels de Carolus, les flamboie-
ments de couleur qui naissent sous le pinceau
magique de Besnard, et les Duez, et les Roll, et
les Gervex, et tant d'autres! Du même coup, les
cimaises des Champs-Elysées, veuves de ces
grands noms, seraient à coup sûr désertées par
la foule des disciples, par toute la jeune école,
dont les aspirations se trouvaient étouffées dans |
ce temple de la routine et de la convention.

De fait, le premier Salon de la Société nationale
fut brillant. Il y eut dix Carolus, quinze Besnard,
trente Dubufe et un Meissonier! Il fallut à ce
dernier, — lantélaitgrand l'enthousiasme! — une
barrière protectrice et la surveillance d'un gar-
dien spécial. Autour des maîtres, un certain
nombre d'élèves de choix, triés sur le volet.
Tout cela fit un ensemble fort attrayant. Ajoulez
que l'exposition était admirablement présentée,
et qu'une branche toute nouvelle, celle des ob-
jets d'art, augmentait encore son charme et son
intérêt.

Et tout le monde fut content, sauf le comité
des Champs-Elysées.

Vint le second Salon. Encore beaucoup de
Carolus, beaucoup de Besnard ; Meissonier dis-
paraissait, hélas! mais Dubufe était plus fécond
que jamais ! Seulement, à travers la sympathie
persistante du public, un étonnement commen-
çait à poindre que ce Salon fût exactement
pareil au premier, et ne se fût corsé que de j
quelques noms indifférents, la plupart étrangers.
On apprit alors qu'il était fort inhospitalier; que
des transfuges notables des Champs-Elysées,
des ralliés retardataires, s'étaient vus retoqués
sans plus de façon qu'aux plus mauvais jours de
leurs débuts; pour les nouveaux, inutile de dire
leur sort.

Tout s'expliqua. La Société nationale n'était
pas nationale du tout : c'était une société au
sens commercial du mot, une société paradions.
Son Salon n'était qu'un autre magasin de vente,
avec un rayon spécial d'objets d'art. Quant aux

nouveaux adhérents admis dans son sein, ce
n'était pas, pour la plupart, la richesse de leur
palette qui leur avait valu cet honneur...

Dans ces conditions, la question d'art qui se
posait à la fondation de la Société nationale
n'existe plus. Il ne sortira jamais de son exis-
tence un bénéfice quelconque. Elle nous vaudra
chaque année quelques centaines de tableaux
de plus : elle nous obligera à aller au Champ
de Mars chercher les artistes de grande valeur
qui s'y sont retirés en si tapageuse compagnie.
Le jour où l'affaire donnera de mauvais divi-
dendes, ceux-là reviendront, degré ou de force,
au Salon où ils ont toujours leur droit d'entrée.
Les autres s'éparpilleront en des sociétés nou-
velles, dans les cercles, chez les marchands, en
Amérique, que sais-je? — et nous ne courrons
pas après.

*

Des impressions, des notes, des taches : tout
le Salon du Champ de Mars est là, et c'est ce
qui donne à ses salles de peinture leur caractère
particulier. Aux Champs-Elysées, ce qui n'est
pas tableau s'intitule étude; on y met, ou on veut
avoir l'air d'y mettre la recherche de la chose
vue, — quitte à tomber dans le banal et le poncif.
Au Champ de Mars, on veut prouver surtout
qu'on voit autrement que le vulgaire, c'est-à-
dire mieux : et l'on glisse tout doucement à
l'incohérence. Le but d'ailleurs est loin d'être
atteint. C'est qu'il n'est pas facile de déformer
à volonté sa vision, et celui qui parvient à la
modifier par un entraînement tenace, ne le fait
qu'aux dépens de la qualité de son œuvre. La
plupart du temps même, c'est à sa facture que
s'arrête la transformation, et ne pouvant devenir
dallonisle, il devient un simple pasticheur. Pour
n'en citer qu'un exemple, M. Besnard et M. Car-
rière, qui sont deux artistes éminemment doués,
ont mis à la mode deux factures bien différentes,
correspondant à la qualité particulière de vision
qui est propre àchacun d'eux. De la juxtaposilion
brutale des tons les plus opposés, M. Besnard
fait jaillir une vibrante et forte harmonie : c'est
dans les douceurs indécises d'un brouillard très
fin, très décoloré, que M. Carrière trouve celle
de ses belles figures. Eh bien, amusez-vous
donc à faire le dénombrement des faux Carrière
et des pseudo-Besnard qui fourmillent au Champ
de Mars, et dites-moi si leur nombre même ne
doit pas faire écarter tout soupçon de conscience
et de sincérité de leur part, et quel profit l'art
peut retirer des productions de ces aimables
« fumistes ».

Une autre impression se dégage de la visite
de ce Salon : il y a trop de toiles. Sans doute, un
Salon qui se respecte doit présenter une raison-
nable surface de peinture, et les exposants du
Champ de Mars, pour se suffire à eux-mêmes,
sont obligés de se multiplier; mais le remplis-
sage en devient un peu trop apparent. A un
artiste qui expose tous les ans une douzaine de
tableaux, on ne peut demander qu'ils soient tous
d'égale importance. Mais, si chacun étale sur le

panneau qui lui est réservé toute la menue pro-
duction de l'année, cela finit par devenir fatigant
et nuire à ses meilleures œuvres. Ce ne sont pas
les maîtres, d'ailleurs, qui abusent le plus de la
liberté que leur laisse le règlement.

* *

M. Puvis de Chavannes expose une très grande
peinture décorative, dont le panneau central est
consacré à Y Apothéose de Victor Hugo. Il y a
eu dans la carrière de M. Puvis de Chavannes
des sujets qui l'ont plus heureusement inspiré.
Aucune idée bien nette ne se dégage de cette
composition, où l'arrangement a presque tout
fait. Mais les qualités d'ampleur et de style sont
demeurées celles que l'on connaît au maître, el
les figures qui s'enlèvent dans le ciel, notam-
ment, sont des plus belles qu'il ait conçues.

La toile de M. Delance est, comme la précé-
dente, commandée par la Ville. C'est une page
de l'histoire du vieux Paris, comme l'excellent
artiste excelle à les faire revivre, et une des
plus intéressantes de cette Exposition.

Superbement décoratif encore, le grand
paysage de M. Monténard, tout ruisselant de la
chaude lumière du Midi.

Citons enfin les panneaux de fleurs de
Mme Madeleine Lemaire, exposés dans un encadre-
ment identique à celui qui leur est destiné, —
disposition intelligente dont trop peu de déco-
rateurs peuvent bénéficier.

M. Besnard se moquerait, si nous discutions
sérieusement sa toile de cette année. Ses che-
vaux qui se battent, l'un mauve, l'autre violet,
sont à mettre dans la même ménagerie que
l'historique chien d'AIcibiade. Nous avons assez
loué M. Besnard aux précédentes Expositions
pour avoir le droit de ne pas le regarder cette
fois.

Passons bien vile devant le Chemin de Croix
de M. Jean Béraud, un autre artiste qui prend
l'habitude de tirer à chaque Salon son pclil
coup de pistolet pour attrouper les bourgeois,
au grand regret de ceux qui se rappellent
l'excellent peintre de mœurs parisiennes qu'il
fut jadis, avant d'exploiter le genre mystique.

Du mystique? Nous avons ici l'artiste délicat et
attendri qui en a créé la formule moderne, et qui
l'a consacrée par de si belles toiles, M. de Uiide.
Celles qu'il expose cette année ne leur sont pas
inférieures comme sentiment, et pourtant nous
nous permettrons une critique: M. de Uhde est
bien près d'aller à l'encontre de sa thèse en
l'exagérant. Ses premières scènes bibliques
n'étaient si poignantes que parce qu'en trans-
portant ses personnages dans un cadre mo-
derne, en les dégageant des formes convenues,
il en faisait ressortir le caractère intime et si
profondément humain Dans sa Fuite en Egypte,
M. de Uhde tombe dans l'excès : tout se précise
à outrance, paysage, types et costumes, et sa
scène biblique devient un simple anachronisme,
plutôt bizarre qu'intéressant, pénible à sup-
porter. Mais nous sommes bien sûr que M. de

bulletin de l'art pour tous. — n« 102.
 
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