Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

Bulletin de l' art pour tous — 1895

DOI Heft:
No 114 (Juin 1895)
DOI Seite / Zitierlink: 
https://doi.org/10.11588/diglit.19283#0022
Überblick
loading ...
Faksimile
0.5
1 cm
facsimile
Vollansicht
OCR-Volltext
BULLETIN DE L'ART POUR TOUS

N° 114

progresse ou tout au moins se transforme chaque
jour ; et, si la nature est immuable, elle a la variété
inépuisable de l'infini.

Moderne et français, nous le répétons, tel doit être
notre art : bientôt peut-être cette vérité apparaîtra
évidente à tous ; alors on ne comprendra même
plus qu'il ait fallu l'affirmer. Mais c'est encore notre
rôle, ce doit être encore la mission de l'enseignement
et de l'exemple, ce serait la noble fonction d'un véri-
table Mécène. Et certes, nos qualités de race et d'hé-
rédité peuvent nous promettre une magnifique renais-
sance dès le lendemain de cet affranchissement né-
cessaire.

Le Jury savait bien, ayant cet idéal devant la
pensée, qu'il ne devait pas en rencontrer la réalisa-
tion intégrale dans ce concours. Il faut du temps,
nous l'avons dit, pour briser une servitude, surtout
peut-être une servitude volontaire! Trop nombreux
sont les envois qui n'ont su que s'inspirer des formes
anciennes, emprunter aux siècles passés les éléments
de leur composition ou de leur décoration ; ou encore
apporter des imitations, sinon des copies, de l'art
japonais, cambodgien, ou d'autres exotismes. Nous
leur disons qu'il n'y a pas plus d'originalité à copier
de l'annamite que du Louis XVI, ou encore de l'an-
glais. Plusieurs concurrents, en effet, ont emprunté
aux meubles anglais non seulement leurs combinai-
sons, mais leurs formes, leurs profils, jusqu'à leurs
ferrures. Mauvais calcul : si quelque acheteur veut
absolument un meuble anglais, cela se trouve à
Londres et même à Paris : ce n'est pas chez un fabri-
cant français qu'il ira le chercher. Tâchons, au con-
traire, que celui qui veut un meuble français ait de
valables raisons d'aller le demander à un fabricant
français.

Les meilleurs envois du concours manquent eux-
mêmes de cette indépendance qui est, il faut l'es-
pérer, un avenir prochain. Ainsi le joli meuble de
MM. Dudouit frères, qui a obtenu le premier prix,
n'est pas affranchi de toute imitation. Mais le Jury en
a apprécié l'élégance harmonieuse, la justesse de
proportion, l'étude pleine de goût. L'exécution en est
sérieuse et fine, et certainement MM. Dudouit ont eu
le bonheur rare d'être parfaitement secondés par
tous ceux dont la tête ou la main ont concouru à la
réalisation de ce modèle, dont les qualités sont bien
françaises par la mesure et l'élégance. Leur autre
envoi est aussi très intéressant, notamment par la
disposition des glaces qui permettent les reflets sous
tous les angles possibles.

M. Fuchs n'est représenté que par des dessins. Il y
a dans son projet une recherche évidente de carac-
tère personnel et une décoration bien appropriée à
la matière. Nous ne pouvons parler de l'exécution ;
le Jury pense seulement que, si ces jolis dessins
doivent être exécutés, il y aura lieu de corriger une
certaine lourdeur dans les parties inférieures de l'ar-
moire surtout.

Le dessin de M. Chambry se recommande par des
qualités de bonne proportion et de tenue générale.
On reconnaît dans son envoi l'habitude de bien faire ;
toutefois, dans un concours de cette nature, on aime-
rait trouver plus d'initiative et d'effort direct dans le
sens du programme.

Les projets mentionnés se recommandent par des
qualités diverses, soit de composition, soit de déco-
ration ; mais aucun, croyons-nous, n'est prêt à
passer du projet à l'exécution sans une revision sé-
rieuse. Dans tous il y a quelque chose à garder, mais
quelque chose aussi à corriger. Tous paraissent à la
hauteur de cette tâche.

En terminant ses opérations, le Jury, à l'unanimité,
a chargé son rapporteur de formuler un vœu qui
sera certainement accueilli avec faveur. Ces concours
seront évidemment continués, et avec une volonté
persévérante de les rendre de plus en plus utiles. Or
les concours de ce genre, en dehors de leur action
momentanée, valent autant qu'ils collaborent à ces
deux éléments nécessaires de tout progrès : émula-
tion et enseignement. Et nos industries d'art, quelles
qu'elles soient, ne conserveront ou ne regagneront
leur premier rang que si tout le monde, patron —
dessinateur — modeleur — contremaître — ouvrier
— comprend la nécessité de cette émulation, de cet
enseignement.

Eh bien, ici où la lutte est ouverte entre tous les
éléments dont l'union peut seule faire le beau meuble,
pourquoi nommer, comme seul exposant, le patron
seul? Certes, sa part d'initiative et d'intelligence est
grande, mais enfin un meuble comme celui que le
Jury a été heureux de placer en première ligne ne se
fait pas sans collaborations habiles et dévouées.

Le Jury émet donc le vœu — et il croit en cela
suivre une idée libérale et juste — que, dans les pro-
chains concours, les exposants soient invités, de con-

dition expresse, à faire connaître leurs collaborateurs,
et que ces dévoués et modestes travailleurs reçoivent
une part de l'honneur qui, attribué à l'œuvre exposée,
doit en toute justice rejaillir sur tous ceux qui l'ont
créée.

Le Jury est convaincu, en effet, que plus ces con-
cours seront inspirés par des idées élevées et justes,
plus ils seront appréciés et utiles; il est néces-
saire d'affirmer le lien de toutes les hautes questions :
la moralité, la générosité, le dévouement artistique,
voilà le but — lointain peut-être parce qu'il est élevé
-— que doivent se proposer ces luttes fraternelles des
concours artistiques, voilà le but que le Jury n'a pas
perdu de vue dans ses délibérations.

J. Guadet,

Architecte,

Professeur à l'École des Beaux-Arts.

-o-

Deuxième concours

VOII.E nE PIANO

Le Jury auquel les Grands Magasins du Louvre
demandaient de juger le concours pour un voile de
piano s'est réuni au complet le 20 mai, et ayant élu
pour son président M. Luc-Olivier Merson, peintre,
membre de l'Institut, et chargé M. Henri Béraldi du
rapport, a immédiatement procédé à l'examen des
123 projets exposés, dessins ou exécutions. Une pre-
mière opération éliminatoire a ramené au chiffre re-
lativement peu élevé d'une vingtaine les projets mé-
ritant un second examen. Il a été facile, ensuite, de se
mettre d'accord sur ceux qui devaient occuper défi-
nitivement les trois premières places.

Le Jury n'hésite pas à le dire : le concours du
voile de piano a été, dans son ensemble, chargé de
trop de compositions insuffisantes, ou peu claires, ou
à intentions trop profondes. Ce concours n'a pas
donné tout ce que l'on pouvait attendre d'un pro-
gramme aussi heureux, n'a pas été bien compris.

En donnant cette année comme thème de concours
le voile de piano, comme en donnant l'année der-
nière le mouchoir brodé, les Grands Magasins du
Louvre comptaient, d'un côté, provoquer l'émulation
des dessinateurs industriels, et aussi des exécutantes,
des brodeuses, et de l'autre obtenir, pour un objet
souple et féminin, des compositions imprévues, sur-
tout variées et gracieuses.

Or les défauts du concours actuel pris en bloc
sont, d'un côté, le petit nombre des modèles envoyés
en exécution — le Jury n'a pu en retenir qu'un seul
— et de l'autre, chez les dessinateurs, la raideur,
l'absence de recherche et de grâce.

Sans doute, ce sont là hasards de concours qui se
suivent en série et ne peuvent se valoir tous. Ainsi
l'Union centrale des Arts décoratifs avu les concours
insuffisants du mobilier de salle à manger, du lustre
électrique et de la reliure s'interposer entre le brillant
concours de la coupe d'orfèvrerie et le concours,
heureux encore, de l'étoffe de tenture. Ici même,
l'année dernière, le concours de broderie n'a pas
donné des résultats aussi originaux que le con-
cours de la lampe à pétrole.

Mais le Jury n'a pas voulu se contenter de cette
explication, et examinant de près toutes les composi-
tions — spécialement les moins satisfaisantes, — il
a cherché à tirer de l'insuccès relatif d'aujourd'hui
quelque indication utile pour l'avenir. En ce sens on
peut dire sans paradoxe que ce sont les compositions
éliminées qui ont amené les constatations les plus
intéressantes.

L'absence des dessinateurs de métier, c'est-à-dire
parvenus à la maturité de l'esprit, en possession de
tout leur talent et de leur expérience, surtout ayant
la pratique des matières à employer, ne saurait être
trop regrettée. Elle ramène visiblement le concours
du voile de piano à être un exercice théorique et un
peu inexpérimenté, entre élèves.

Mais à ce titre il devait être considéré avec tout
intérêt, et, des tendances fâcheuses y étant reconnues,
le Jury devait, non les relever sévèrement, mais les
signaler avec la sympathie que l'on est toujours
heureux d'avoir pour la jeunesse qui travaille, cherche
et veut bien faire.

Eh bien, le défaut, encore une fois, a été, dans
l'ensemble des concurrents, l'absence de souplesse,
d'élégance et d'invention appropriée.

Avant toute chose, se préoccuper de la destination de
l'objet, de sa construction et de la matière employée,
telle était la recommandation que déjà l'année passée

un des rapports du concours du Louvre était obligé
de faire aux concurrents. II n'en a pas été tenu suffi-
samment compte, et les concurrents de cette année,
en général, n'ont point voulu ou su varier et assouplir,
pour l'adapter à un objet essentiellement féminin et
gracieux, le nouveau répertoire décoratif qu'ils se
sont fait.

L'invention a été courte : le répertoire décoratif
dont nous parlons a provoqué l'intérêt la première
fois qu'il apparut dans un concours, pour remplacer
le Louis XV et le Louis XVI dont on était saturé :
mais, en se répétant dans une série de concours, il
commence à donner la sensation de motifs tout faits
appliqués en toute occasion.

Ce répertoire, quel est-il?

Quelques-uns en sont encore, pour un voile de
piano, à faire nager sur un lac symbolique un cygne
wagnérien se profilant sur un soleil dont les rayons
« stylisés «vont frapper des nuagesjaponais. Toutefois,
ce genre de morbidité qui fut épidémique au concours
de la reliure des Arts décoratifs, diminue fortement.
Mais un concurrent — d'ailleurs mentionné par le
Jury pour la fermeté de son dessin, — disposant un
motif de fleurs en auréole autour d'un centre, ce qui
est fort compréhensible de soi-même, croit devoir
s'expliquer et ajouter à la clarté en intitulant sa com-
position : Symbole d'un développement symphonique !
Ceci n'est-il pas bien lourd pour un boudoir ou pour
une chambre de jeune fille? O voile de piano, que de
symboles on commet encore en ton nom I

Le nombre a augmenté de ceux qui, comme à une
branche de salut, se sont attachés à l'emploi de la tige
de lis plus ou moins rigide et hiératique. Certes, le
Jury n'a pas d'hostilité préconçue contre le lis —
témoin les compositions mentionnées; — cependant
on ne peut nier que son emploi ne soit aujourd'hui,
si l'on peut dire, retardataire. Mais les jeunes concur-
rents sont excusables de ne pas savoir que le lis,
malgré sa vertu décorative, est aujourd'hui fort com-
promis par l'abus qu'on en a fait. Le lis mystique,
surtout, est en très mauvaise posture, depuis l'article
exaspéré d'un critique, qui, sautant à la gorge de ce
lis prétentieux et encombrant, l'a laissé pour mort
sur la place (I).

D'autres, entendant sans cesse parler d'art anglais,
et louer avec raison Walter Crâne et Burne Jones,
veulent se mettre dans le courant et vont s'anglaiser
avenue de l'Opéra devant les tons pâles de l'étalage
de Liberty. Ceci est le moins grave : l'anglomanie a
toujours été chez nous à l'état d'accès périodiques,
qui, lorsqu'ils deviennent trop aigus, sont sûrement
coupés par les écrivains satiriques, provoquant une
heureuse réaction.

L'œuvre, aujourd'hui si documenté, si curieux, si
riche de M. G rasset, exerce une considérable influence,
et qui se comprend, sur les élèves ornemanistes. Ils
ne résistent pas à la tentation de le considérer comme
une mine où ils peuvent indéfiniment emprunter, soit
des motifs tout trouvés qu'ils érigent en système, soit
surtout une formule de décoration passe-partout,
applicable en toute occasion. Nous serions mal venus
à le leur reprocher, nous tous qui, ayant été élèves,
nous aussi, avons résolu les difficultés avec des
cahiers de locutions toutes trouvées, et fait des vers
latins à coups de Gradus! Et cependant, comment ne
pas regretter de voir ainsi passer à l'état de copie et
même de procédé, ce qui nous intéressait tant comme
travail personnel, érudition ingénieusement appliquée
et savoureuse étrangeté chez le remarquable illustra-
teur des Quatre Fils Aymon?

Mais le danger le plus saillant semble être aujour-
d'hui dans l'interprétation outrée de la fleur, — pour
employer le grand mot à la mode, dans la stylisa-
tion (les élèves nedessinent plus, ils stylisent!). C'est
l'abus criant de celte stylisation de plus en plus
tendue qui a enlevé à la plupart des projets de voile
de piano la qualité d'appropriation à la destination
de l'objet et à la matière employée.

Nombre de projets présentés semblent sortis d'un
moule unique, qui hier fournissait ses empreintes à la
reliure, à la tenture, à la coupe, à la lampe, qui
demain donnera pour un concours de faïence ou de
ferronnerie les mêmes empreintes à répétition, styli-
sées jusqu'au desséché.

Pour tout résumer d'un trait : comment des élèves,
bons dessinateurs du reste et ayant de la main, sont-
ils amenés à traiter un piano couvert d'un voile,
comme une boîte enfermée dans une housse rigide
sur laquelle s'applique un décor de serrurerie fait de
fleurs en fers de lance? Voilà la question que, en
définitive, votre Jury s'est posée, et qui porte par-
dessus la tête des élèves, et plus loin qu'eux.

(1) Dans le Journal du 7 avril 1895, article de M. Octave Mirbeau,
intitulé : Des lis! Des lis !
 
Annotationen